Pour 63% des Français et Françaises, la séropositivité est un critère important pour s’engager ou non dans une relation sentimentale. La raison invoquée est la peur d’être contaminé par le VIH. C’est un des chiffres qui ressort de l’enquête CSA réalisée en 2021 pour le Crips Ile-de-France (Crips : Centre régional d’information et de prévention du sida). Une donnée qui montre que quarante ans après le début de l’épidémie, malgré des avancées majeures dans l’accès aux traitements, les discriminations à l’égard des personnes qui vivent avec le VIH sont tenaces.
Qu’est ce que la sérophobie ?
Ces comportements portent un nom : on parle de sérophobie pour qualifier la peur, l’aversion ou les préjugés à l’égard des personnes qui vivent avec le VIH (PvVIH). Ils se traduisent dans une grande variété de situations.
Pour Florence Thune, directrice générale de Sidaction, la lutte contre la sérophobie fait partie intégrante de la stratégie contre le VIH : « Aujourd’hui en France, la sérophobie c’est ce qui fait le plus obstacle à la qualité de vie et à la santé des personnes » explique-t-elle à Madmoizelle.
« On a des traitements qui ont beaucoup progressé, qui permettent de vivre avec le VIH, or beaucoup de personnes mettent en avant le fait d’être confronté à des discriminations. On sait que l’impact sur la santé mentale comme physique peut être délétère. »
Elle souligne des chiffres de plus en plus inquiétants chaque année, comme le montrait le dernier sondage Ifop pour Sidaction en mars 2022 : 23% des jeunes sondés pensent que le virus peut se transmettre en embrassant une personne séropositive.
47% des Français pensent aujourd’hui qu’il n’existe pas de traitement empêchant de transmettre le VIH. C’est ce que montre le tout dernier sondage du Crips-Ile-De-France par Harris Interactive et paru pour ce 1er décembre 2022 : moins d’un Français sur 3 indique avoir déjà entendu parler de la PrEP, la prophylaxie pré-exposition qui permet aux personnes qui n’ont pas le VIH/sida d’éviter d’être contaminé lors de rapports sexuels non protégés, et du TasP, le traitement antirétroviral comme prévention, qui permet à une personne séropositive de ne pas transmettre le virus.
La faute selon Florence Thune à un manque d’informations en direction du grand public : « Comme on parle de moins en moins du VIH, ce qu’il reste, ce sont les vieilles peurs et les vieux fantasmes. » Et cela a aussi un impact sur la santé de personnes qui ignorent leur statut sérologique et qui ne vont pas oser se faire dépister de peur d’apprendre une mauvaise nouvelle : « D’un côté, elles vont se dire que ça ne les concerne pas, de l’autre, si elles s’imaginent avoir une annonce de séropositivité, elles restent parfois figées dans les années 80 et pensent qu’elles vont mourir », déplore Florence Thune.
Au travail, chez le médecin, dans l’entourage… les nombreux visages de la sérophobie
Emmanuel est Président de l’association Aides Bourgogne-Franche-Comté. Aujourd’hui âgé de 27 ans, il a découvert sa séropositivité en 2018. Le 1er décembre de la même année, il accepte de témoigner et apparaît en première page d’un journal local. « Ma première confrontation à la sérophobie, ça a été le lendemain, quand un collègue a refusé de me serrer la main », nous confie-t-il.
« C’était de la méconnaissance avec un brin d’homophobie derrière. Ce petit acte m’a scandalisé sur le moment et ça m’a renforcé dans cette idée que c’est nécessaire d’en parler et de lutter contre la discrimination. »
Avec plusieurs autres activistes de Aides, il incarne la nouvelle campagne de l’association « Militer, Agir, Transformer ».
Dans une enquête de Sida Info Service réalisée auprès de personnes qui vivent avec le VIH en 2019, 67% des répondants se sont déjà sentis discriminés depuis l’annonce de leur séropositivité. Dans quel contexte s’exercent ces oppressions ? C’est paradoxalement dans le milieu médical qu’elles sont le plus fréquentes : 59,1% des répondants évoquent une interaction sérophobe avec un professionnel de santé.
Emmanuel en a aussi fait les frais :
« Un peu plus d’une année après mon témoignage, j’ai été confronté à la sérophobie dans le système de santé. Une infirmière devait me faire un prélèvement des gaz du sang et elle a passé une paire de gants supplémentaires. Je m’attendais à être victime de sérophobie dans la vie de tous les jours… mais à l’hôpital ? »
Le deuxième contexte de discriminations sérophobes est le contexte privé, l’entourage proche, poussant ainsi les personnes qui vivent avec le VIH à dissimuler leur état de santé, renforçant leur isolement et le sentiment de stigmatisation : 48,8% des personnes interrogées faisaient part de discriminations ou de rejet venant d’amis ou de membres de leur famille. Enfin le travail est aussi un terrain où s’exercent des discriminations liées au VIH.
Comment faire reculer la sérophobie
Le fait de ne plus transmettre le virus à partir du moment où l’on est sous traitement ne semble pas faire reculer les discriminations sérophobes, note aussi l’enquête de Sida Info Service : « La peur d’une contamination malgré une charge virale indétectable chez le partenaire séropositif reste un facteur de rejet ou de fuite pour plus de la moitié des répondant(e)s (54,6%) et 21,7% ne souhaitent pas encore se prononcer sur cette question ».
Florence Thune se montre d’ailleurs réservée sur le slogan « Indétectable = Intransmissible », justement utilisé pour parler d’une personne séropositive qui a une charge virale indétectable grâce à son traitement et qui peut avoir des relations sexuelles sans préservatif sans risque de transmettre le VIH.
Un slogan trop peu compréhensible du grand public, selon elle. « Si cette information de base était mieux transmise, oui ça éviterait cette sérophobie, ça permettrait de rassurer un peu plus les personnes pour aller vers le dépistage. »
Florence Thune en appelle à de nouvelles grandes campagnes d’information pour faire reculer les préjugés sur les personnes qui vivent avec le VIH dans la société : « La prévention ciblée est utile, mais il faut aussi quelques campagnes de prévention un peu générales. Et pourquoi pas, soyons fous, remettre au goût du jour les séances d’éducation à la sexualité ! »
Une recommandation qui va finalement dans le sens d’une forte demande du grand public, qui, selon le dernier sondage du Crips Ile-de-France, est en attente d’un renforcement de la prévention en milieu scolaire (58% des personnes interrogées l’expriment) et d’une augmentation des campagnes de communication et de prévention dans les médias (54%).
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Crédit photo : Anna Shvets via Pexels
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