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Cinéma

Face aux César 2020, ma honte, ma colère, puis mon optimisme

Polanski sacré aux César, Adèle Haenel quittant la cérémonie… Pour Alix, le week-end a été mouvementé, et son féminisme bousculé. Elle te raconte.

Vendredi soir, j’ai regardé la cérémonie des César 2020.

Adèle Haenel le rappelait dans le New York Times il y a quelques jours : « le cinéma français a complètement raté le coche #MeToo ».

Alors j’espérais que cette cérémonie soit décisive pour le cinéma français.

Si j’ai vécu la cérémonie comme un fiasco total, j’ai cependant été surprise des réactions de ceux qui m’entouraient… et j’ai constaté que ma façon de voir les choses, que je pensais consensuelle dans mon cercle proche, ne l’était définitivement pas.

Le contexte de la cérémonie des César 2020

La 45ème cérémonie des César s’annonçait mouvementée, à cause du contexte dans lequel elle s’inscrivait.

À mon sens, tout a commencé quand Polanski a expliqué utiliser son film J’Accuse pour créer une analogie entre lui et Dreyfus.

Il disait à Deadline le 29 août 2019 :

« Travailler, faire un film comme celui-là m’aide beaucoup, je retrouve parfois des moments que j’ai moi-même vécus, je vois la même détermination à nier les faits et me condamner pour des choses que je n’ai pas faites. »

Autre élément de contexte : le 3 novembre 2019, Adèle Haenel, actrice emblématique du cinéma français, accuse Christophe Ruggia de harcèlement sexuel et d’attouchements sur sa personne, entre ses 12 et 15 ans.

En conséquence, Christophe Ruggia a été radié de la Société des Réalisateurs de Film, qu’il a longtemps coprésidée ; l’actrice a également porté plainte.

Le 13 novembre 2019, J’accuse est sorti au cinéma en France, et a déclenché des manifestations féministes devant les salles qui le projetaient.

Ce qui ne l’a pas empêché de totaliser plus d‘1 300 000 entrées au box office français.

Le 29 janvier 2020, J’Accuse est nommé 12 fois aux César. Polanski est nommé dans la catégorie Meilleur réalisateur.

Le 10 février 2020, 400 des membres de l’Académie signent une tribune dans Le Monde, criant leur mécontentement quant au manque d’inclusivité, faisant de l’Académie des César la cible d’accusations en tous genres : sous-représentation des minorités, inégalités hommes-femmes, opacité des prises de décisions

Le 13 février 2020, à quelques jours de la cérémonie, le Conseil d’Administration des César annonce sa démission.

Le 27 février 2020, la veille de la cérémonie, Polanski annonce qu’il ne se rendra pas à la salle Pleyel le 28 février, suivi par toute l’équipe du film J’Accuse

.

Le 28 février 2020, Polanski est sacré Meilleur réalisateur pour son film.

Il s’en est passé, des choses.

Les César 2020 : la honte

Quand Emmanuelle Bercot prononce le nom de Polanski, lauréat du César du meilleur réalisateur, mon cœur rate un battement.

J’Accuse a par ailleurs reçu deux autres César, celui de la meilleure adaptation et des meilleurs costumes.

Mais celui du meilleur réalisateur relève pour moi le pire scénario : c’est remercier et récompenser l’homme, le réalisateur, en personne.

Suite à cette annonce, Adèle Haenel décide de quitter la salle en lançant un « la honte » que tout le monde a pu lire sur ses lèvres.

Elle a été suivie entre autres de Céline Sciamma, Aïssa Maïga ou encore Leïla Slimani.

C’est clairement ce que j’ai ressenti moi aussi : de la honte.

J’étais indignée, dégoûtée et en colère, que les victimes que cet homme a faites aient eu à subir la récompense de leur agresseur pour son travail de réalisateur, pour un film qui cherche à le défendre.

J’avais honte de me dire que la France, foyer originel du cinéma, soit aussi à l’aise à l’idée de remettre une récompense à un tel homme, alors que les États-Unis viennent de condamner Harvey Weinstein.

La France n’a-t-elle retenu aucune leçon du mouvement #MeToo ?

Mes proches, pas choqués par le César de Polanski

Ma collègue Philippine me racontait ce matin que ses amis étrangers, avec lesquels elle a passé le week-end, n’en revenaient pas d’une telle histoire.

Ils étaient choqués de voir célébré un homme qui a été reconnu coupable par la justice.

Mon week-end a cependant été bien différent…

Samedi soir, je me suis rendue à un dîner entre potes, et forcément, le sujet César a été abordé.

Alors que je pensais avoir une opinion plutôt consensuelle, au moins dans les gens de mon âge qui m’entourent, j’ai été bien surprise.

L’éternel débat de la séparation de l’homme et de l’artiste est revenu sur la table, et ça m’a fatiguée de voir l’énergie qu’il est possible de dépenser pour défendre un pédocriminel-artiste considéré comme fugitif.

Voici ses aveux en 1979 (c’était, certes, une autre époque) :

Si tu veux mon avis, séparer l’homme de l’artiste, et donc l’homme de l’œuvre, c’est aussi sortir une œuvre de son contexte, c’est la rendre orpheline, flottante dans l’univers.

Elle perd de son sens, forcément.

Je comprends que l’Affaire Dreyfus soit un élément important de l’Histoire de France, et que son adaptation au cinéma puisse en attirer plus d’un dans les salles sombres.

J’ai d’ailleurs expliqué dans un précédent article pourquoi je ne suis pas allée voir J’Accuse, en rappelant que chacun et chacune est libre de faire le même choix que moi ou non.

Certains de mes potes m’ont dit, en substance, que « si Polanski a objectivement réalisé le meilleur film, c’est normal qu’il soit meilleur réalisateur ». Ce qui me paraît un peu réducteur.

Car au-delà de l’aspect artistique, une récompense telle que le César revêt une forte résonance politique, et le nier me semble de mauvaise foi.

Je me suis sentie si seule à défendre ce point de vue face à mes potes, j’en ai eu si marre du chipotage et de la théorisation de grands concepts tels que l’homme ou l’artiste ou l’œuvre…

On parle de femmes qui ont vécu des traumatismes, et voient aujourd’hui leur agresseur récompensé. C’est ça, le message. Où est l’empathie ?

Malgré les César 2020, mon optimisme triomphe

C’est le tweet de Sandrine Rousseau qui a eu raison de ma colère :

J’ai été ravie de voir dans mes stories Instagram la photo d’Adèle Haenel qui quitte la salle, reprise maintes et maintes fois.

J’ai été heureuse de lire ce matin la tribune de Virginie Despentes dans Libération.

Désormais, on se lève, et on se barre.

En y réfléchissant, j’ai été soulagée que ce soit Polanski et non Adèle Haenel qui boycotte la cérémonie en premier lieu.

J’ai pris ça comme une manière de se la réapproprier, une volonté de se battre contre le vieux système quand l’autre le fuit.

Le départ d’Adèle Haenel et le refus de Florence Foresti de clôturer la cérémonie n’ont été violents que grâce à leur présence initiale.

Alors de tout mon cœur, j’espère que cette cérémonie des César 2020 représente le fond du trou, et qu’il n’est maintenant possible que de remonter le niveau.

À lire aussi : Voir le dernier Polanski, ça trahirait mon féminisme ? (Réponse à une lectrice)


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Les Commentaires

28
Avatar de missaaj
6 mars 2020 à 21h03
missaaj
Je trouve le témoignage intéressant mais pas incompatible avec le ressenti d'Adèle Haenel.
Et autant Adèle Haenel, hormis le fait de parler au nom de "toutes les victimes" ce qui ne peut pas être le cas (vu que tout le monde à sa réalité), je trouve qu'elle ne dit aucun propos blessant pour Samantha Geimer. Autant Samantha y a certaines parties de son discours qui sont un peu difficile...
Elle dit :

Okay elle, elle a porté plainte d'emblée. Mais y a plein de femmes qui ne l'ont pas fait pour tout un tas de raison (notamment pour ne pas avoir de préjudice sur leur carrière ou parce qu'elles étaient dans une relation d'emprise) et en gros elles devraient fermer leur gueule parce qu'elles n'ont pas parlé à l'époque et qu'à l'époque c'était monnaie courante... Bof bof comme discours !

Et puis elle dit que les féministes qui instrumentalisent son histoire ne le font que pour faire chuter les puissants mais je pense que c'est pas la motivation principale. Les personnes qui ont été victimes de viol ou pédophilie peuvent aussi le faire pour que ça ne se répète (comme c'est bien expliqué dans le film Les Chatouilles). Et je pense que la lutte actuelle dans le cinéma c'est pour qu'on arrête de penser que c'est normal d'abuser des comédiennes, qu'on arrête de sexualiser des mineures et qu'on arrête de prendre les femmes pour des objets.
Et Roman Polanski cristallise tout ça. Et je pense qu'on ne peut pas diviser l'homme et l'artiste mais on ne peut pas non plus dire que c'est un "monstre". C'est un pédophile, un violeur mais également un juif victime de la Shoah, un mari qui a perdu sa femme enceinte de 8 mois dans des circonstances injustes et sordides, et également un grand réalisateur. Mais c'est un homme qui est toutes ses réalités à la fois.
Ce qui est choquant dans cette affaire c'est qu'il s'est extrait à la justice, et qu'il a certes avoué l'agression de Samantha Geimer mais pas les autres. Et celle de Samantha était difficile à niais au vu des preuves...
Et c'est difficile de concevoir qu'une personne fugitive dans la quasi totalité du monde sauf 3 pays puissent faire des films en toute impunité alors qu'il est certain que si ça n'avait pas été un homme d'influence il aurait été en prison et sa vie aurait été brisée. C'est aussi une vraie lutte des classes cette affaire.
Et dire c'est okay, c'est accepter la situation et ces inégalités.

Mais après c'est très intéressant la question qu'elle pose de la résilience qu'il puisse avoir chez certaines personnes coupables. Et que des personnes puissent avoir eu des actes pédophiles à un moment donné, se rendre compte de leurs actes et ne plus recommencer, ce n'est pas à exclure. Si on est pas uniquement victime ni victime toute sa vie, c'est également valable pour les coupables. Surtout s'ils comprennent en quoi leur acte a été nocif, qu'ils en éprouvent de la culpabilité et qu'ils ont une certaine empathie pour les victimes.
C'est quand même dans la nature humaine d'évoluer et je trouve dommage de l'oublier. (Après je n'inclue pas les sociopathes/sérial killer qui font des actes malfaisants sans aucune empathie et qui sont assez nocifs pour la société et les autres).
Par exemple Bertrand Cantat, il a été puni par son acte dès le moment où il l'a fait parce qu'il en éprouve une culpabilité lourde. Et il a été jugé et condamné pour son acte. Donc même si je vais pas aller soutenir son travail, je peux comprendre qu'on le laisse vivre sa vie sans que ce soit un outrage pour Marie Trintignant.

Donc bref j'ai trouvé le témoignage intéressant avec des opinions qui changent mais comme Adèle Haenel, elle a tendance à généraliser sa situation et à parler pour d'autres. Mais contrairement à Adèle Haenel, on a l'impression que son avis doit être mieux qu'un autre et qu'il ne peut pas coexister. Que les autres avis nieraient le sien rien que par le fait d'exister et non par leur contenu.
Pour moi Cantat c'est pire même s'il ny a pas de gradations car je le crois encore dangereux contrairement a Polanski. Cantat apres les faits aurait poussé sa compagne au suicide...je n'étais pas la donc je ne sais mais c'est pour moi la difference. Quand on dit Cantat a payé, oui mais...enfin aussi je nai pas une impression de grande culpabilité ...encore une fois je préfère lire les deux dossiers en details avant de trancher tres nettement mais là je pense quand même au dela des cesars etc que si je devai mettre Cantat ou Polanski en prison ce serair Cantat car je crains qu'il ne fasse d'autres victimes..

Moi l'article de France culture que jai posté précédemment me plaisait bien car effectivement je ne me retrouve dans aucun discours....je veux dire Virgine Despentes écrit bien....et je n'aurais peut-être pas primé Polanski...mais j'ai vraiment une réflexion différente par rapport à cela....par exemple je n'en veux pas à Fanny Ardant...si c'est un ami ben voilà elle est mal prise.

Enfin tout cela est bien triste ..

.jespere que Polanski n'a plus fait de mal depuis les dernières d'accusations qui datent je crois de 2000. Et qu'il se repentira s'il vit encore plus longtemps. Il a purgé une partie de la peine, moi si j'étais lui j'irai refaire les quelques mois en plus.

Si ca se trouve c'est possible (ou je suis naïve) que au vu de sa vie horrible, il ait déliré deux décennies et tombé dans la
perversion et que maintenant, il ne soit plus comme ca, prédateur. Enfin je ne sais pas, j'espère juste que :
- l'opprobre dune partie de la population intimidera de potentiels agresseurs.
- Polanski se repentira pas seulement pour samantha geiber mais pour tout.
- que les prédateurs sexuels actifs ds le cinéma (je doute que Polanski soit encore activement dangereux enfin j'espère pas) genre Besson etc soient stoppés

Triste triste tout ca! :/
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