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— Habitue-le à dormir tout seul, qu’il comprenne que c’est pas lui le chef !
— Il est un peu pâlot, tu devrais lui donner de la sanquette…
— Quoi, tu manges des pommes de terre bouillies alors que tu es enceinte ?! Tu fais comme tu veux, mais moi je ne prendrais pas le risque.
Ah, les petits « conseils » non sollicités. Ces réflexions imbéciles — qui n’ont de conseils que le nom — sont proférées partout, tout le temps, par des gens que je connais à peine mais qui souhaitent pourtant me signifier leur opinion quant à la façon que j’ai d’élever mes enfants et qui répètent tous les mêmes choses, à la virgule près.
Je ne suis pas paranoïaque, mais tout de même, je trouve l’emphase indignée de certains badauds confrontés aux pieds nus de mon bébé en plein été de plus en plus suspecte. Je veux bien que la vie des autres provoque chez les gens une ambivalence parfois difficile à gérer en silence, mais là ça va trop loin pour être sincère. On parle de chaussettes, soit de l’objet le moins intéressant du monde !
Et si ces commentaires non sollicités que je reçois quotidiennement n’avaient en fait rien de spontané ? Et si nous autres parents étions les cibles d’un complot mondial dont le but serait de nous enquiquiner gratos ?
Voici comment je me figure la chose.
Les commentaires gratuits pour faire chier les parents
Vendredi soir, comme toutes les semaines, la salle des fêtes louée pour l’occasion est pleine à craquer. Les retardataires restés debout s’entassent dans le fond en râlant. À 18 heures pile, un homme s’engage sur l’estrade.
Le groupe est ouvert à tous et se compose de milliers de sections réparties dans le monde entier. Ici, les seniors fréquentent des jeunes à peine sortis de l’enfance dans une ambiance décontractée mais soudée. Tous les bords politiques et toutes les confessions religieuses sont représentés, unies derrière un objectif commun : la déstabilisation systématique des parents.
Le chef de la section a été clair sur le sujet : « Le parent visé va peut-être répliquer, alors ne vous démontez pas et dites que vous ne faites que donner des conseils ».
« Pourquoi on fait ça, au fait ? », aura le malheur de se renseigner une participante qui vient seulement de rejoindre le groupe après la naissance de son premier neveu. Sa réponse sera vite éludée.
« Ce groupe a toujours existé, si on arrêtait maintenant ce serait le chaos. »
La participante ne comprend pas, mais elle se tait. Elle n’a pas envie de se faire remarquer dès le premier jour.
Distiller ses commentaires non sollicités partout, tout le temps
Le président de la section va bientôt livrer son compte-rendu de la semaine. On tremble dans les rangs. Certains savent qu’ils ont assuré et attendent les félicitations de rigueur ; d’autres au contraire n’ont pas été très bons élèves. Difficile de croiser un parent quand il pleut autant dehors.
Le monologue commence.
« Bon, les gars je remarque qu’il y en a beaucoup parmi vous qui oublient leur “MOI DE MON TEMPS”. Je vous rappelle que c’est obligatoire avant de commencer une phrase. Vous, les jeunes, vous n’avez pas d’excuses non plus hein ! Je vous ai déjà expliqué que vous pouviez le remplacer par “Quand j’aurai des enfants…”.
Et toi, Josette, ça va pas du tout là. Tu n’as répété qu’UNE fois à ta petite-fille qu’il fallait laisser les bébés pleurer seuls dans leur chambre. Fais mieux que ça la prochaine fois !
Hervé, par contre : je comptabilise six “Mais lâche-le enfin, tu vas trop l’habituer”, c’est super ! Continue comme ça. »
Le débrief continue, chacun note religieusement les retours du chef de la section. Ce dernier fait finalement signe à son assistant resté en coulisses. L’arpette pousse un lourd tableau blanc noirci de phrases au milieu de l’estrade.
« Face à votre relâchement je me permets de vous rappeler la liste non-exhaustive de tous les petits commentaires disponibles. Pas besoin d’être inventif, cette ressource est très efficace : vous ne vous embêtez pas, vous vous contentez de répéter.
Souvenez-vous qu’à la fin de l’année, ceux qui auront réussi à caser le plus de phrases toutes faites remporteront un prix exceptionnel. Allez, on y va tous ensemble ! Encore une fois… »
- « Moi, à mon époque… » / « Moi, de mon temps… »
- « Ne le prends pas trop dans les bras, tu vas l’habituer ! »
- « Si tu le prends à chaque fois qu’il pleure, il va prendre de mauvaises habitudes. »
- « À mon époque, on laissait pleurer. »
- « Habitue-le dès qu’il est petit à ne pas te coller ! »
- « C’est pour quand le deuxième ? »
- « Elle te manipule » / « Il fait des caprices » — « c’est évident. »
- « Mère au foyer ? Quel exemple tu lui donnes… »
- « De mon temps, les enfants dormaient dans leur berceau ! »
- « Tu es sûre que ton lait est nourrissant ? »
- « Tu l’allaites encore ? C’est malsain, non ? »
- « Tu lui donnes du lait maternisé, tu as pas peur de l’empoisonner ? »
- « Tu es sûre qu’il a assez mangé ? »
- « Si tu dégaines le sein dès qu’il pleure, tu vas l’habituer ! »
- « Il est dodu quand même, fais attention… »
- « Vous avez deux filles, vous pensez à tenter le garçon ? »
- « De mon temps, les enfants étaient polis. »
- « À mon époque, on n’avait pas de couches jetables et on s’en sortait bien, hein ! »
- « Mais pourquoi tu veux t’emmerder avec des couches jetables / petits pots maisons / l’allaitement ? Ne viens pas te plaindre que tu es débordée, après. »
- « Qu’est-ce que tu as l’air fatiguée… »
- « QUOI ? Il ne fait pas encore ses nuits ?! »
- « À trois semaines tous les bébés font leurs nuits. »
- « Ouh là… attends, je t’envoie le numéro de ma femme de ménage. »
- « Elle ne mange rien, quand même, fais attention. »
- « Il n’a pas de chaussettes, pourquoi il n’a pas de chaussettes ? Tu sais qu’on attrape le Covid par les pieds ?! »
- « Mais il a trop chaud, il va mourir de déshydratation ! »
- « Vous avez de la chance de pouvoir vous reposer pendant le congé maternité. »
- « Tu te laisses aller, là, pense à ton mari… »
- « Ouh là ! Je vais t’envoyer le nom d’une nutritionniste. »
- « Vous ne devriez pas travailler : un enfant doit rester avec sa mère. »
- « Moi, de mon temps, on ne se laissait pas faire ! »
« Et on finit avec mon préféré… »
- « Une bonne fessée, ça n’a jamais tué personne ! »
« Allez, merci à tous et à la semaine prochaine ! »
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Crédit photo : The Letdown
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Les Commentaires
Mais effectivement NON, ce n'est PAS une raison!