Malgré les clichés qui perdurent, ce n’est plus un secret que le monde du rap n’est pas qu’une affaire d’hommes. Les femmes qui rappent prennent la lumière — notamment dans le documentaire Reines, pour l’amour du rap, diffusé sur Canal+ le 25 octobre, qui suit le parcours de cinq rappeuses et leur collaboration pour un titre inédit.
Mais il n’y a pas que les musiciennes qui font leur place dans cette industrie.
On ne parlera donc pas ici des rappeuses, qui font leur place de plus en plus, avec des artistes comme Chilla, Shay (tu nous manques, sors de la musique stp), Le Juiice, Lala&ce…
Le média français Madame Rap a d’ailleurs communiqué quelques chiffres montrant que la France est le premier pays européen avec le plus de rappeuses (296) !
Alors ici, nous ne parlerons pas des femmes au-devant de la scène mais plutôt de celles qui travaillent derrière les caméras et dans les coulisses les salles de concerts : les passionnées de rap qui ont réussi à faire de leur amour pour la musique leur métier.
Celles qui font le rap
Vous pensiez que SCH choisit la pochette de son album tout seul, ou que Chilla opte pour la date de tournage de son prochain clip elle-même ? Eh bien non ! Il y a des personnes qui sont là pour tout coordonner, tout organiser et faire en sorte que ça se passe bien. Alors Madmoizelle en a rencontré quelques-unes.
Directrice de production, gestion de clips
Juliette Beulaguet est directrice de production chez Jardins Noirs, un label de musique toulousain. Elle a collaboré avec plusieurs rappeurs, dont SCH (encore lui) pour son clip Corrida.
Son métier consiste à tout gérer pour créer un clip : les budgets, la location de matériel, les lieux de tournage, les accessoires… Elle prépare l’avant, le pendant et l’après d’un tournage. Et comme elle le confie à Madmoizelle, cette vision à 360° lui convient parfaitement !
« Ce dont je me suis rendue compte en prenant le poste de directrice de production, c‘est qu’en étant l’interlocutrice principale, cela me permet de voir et gérer un projet dans son ensemble — l’avant, le pendant et l’après production. »
Son travail ne semble pas de tout repos, car il faut tout gérer, mais dans des délais très courts. Un tournage de clip ne durant qu’un ou deux jours, avec des demandes qui arrivent parfois une semaine avant le jour J, ça peut être stressant ! Mais Juliette Beulaguet nous explique explique qu’elle a appris à gérer ce stress —« Ça peut arriver d’avoir des voitures louées qui ne viennent pas, mais on n’a pas d’autre choix que de rebondir. »
Prendre le rap avec du recul, en acceptant ses bons et ses mauvais côtés
On peut se dire qu’écouter du rap fait partie des nombreux paradoxes constituant la vie d’une femme féministe aujourd’hui. Aimer ce genre, c’est parfois se heurter à des propos violents envers les femmes dans les paroles de chansons.
Juliette Beulaguet, pour sa part, explique que la musique rap ne fait pas partie de ses passions à la base :
« Je n’écoutais pas spécialement de rap à la base, plutôt de la musique latine, ou du rock. Je m’y suis mise en travaillant chez Jardins Noirs, qui est à la fois boîte de production, studio de musique et label, où j’en entends donc en permanence. C’est aussi important pour mon métier de suivre les actualités de ce milieu. »
Elle explique que parfois, effectivement, des répliques peuvent la surprendre car elles ne glorifient pas vraiment les femmes. Mais elle dit préférer scinder les choses :
« Moi je travaille sur la partie vidéo, donc le son, les paroles, ce ne sont pas mon domaine. Je peux entendre certaines phrases qui vont me faire tiquer, mais je vais le prendre avec beaucoup de recul. »
Juliette construit sa carrière dans l’industrie du rap et même si elle n’a pas toujours été passionnée par la musique rap, elle montre que l’amour pour son métier va au-delà de ça.
Cheffe de projet, suivre un artiste de A à Z
Un autre métier de l’industrie qui est assez méconnu est celui de cheffe de projet. Myriem Gerzsó fait partie de la compagnie Virigin Records anciennement appelée Caroline ; elle y est cheffe de projet et directrice artistique. Elle s’occupe donc de plusieurs artistes et encore une fois, il s’agit de tout gérer.
Sa mission est de suivre les rappeurs ou rappeuses sur le long terme, et gérer les choses de manière globale. Son travail se concentre principalement sur les albums que les artistes produisent.
« En gros, être DA et cheffe de projet, c’est être le point central de tout ce qui est lié à l’album. L’organisation des photos, des clips, suivre la fabrication physique de l’album, le merchandizing… »
En ce moment Myriem s’occupe d’artistes tels que LVZ, YL, Ash Kidd, Django… Elle explique qu’à chaque nom correspond une stratégie de marketing et de communication.
« Il y a un standard et en même temps il n’y en a pas, les campagnes d’albums se ressemblent toutes un peu. On sort quelques singles, puis les précommandes de l’album, et enfin la sortie de l’album. Mais ce standard change en fonction de l’artiste. Les fans attendent des choses différentes. Y a pas de recette pour annoncer un single, des fois il faut le drop du jour au lendemain, des fois il faut teaser pendant 10 jours. »
Se sentir à sa place
Si on suit les clichés (et on ne préfère pas), on pourrait se dire que les femmes qui travaillent dans le rap, en plus d’être entourées d’hommes, doivent se sentir souvent renvoyées au fait qu’elles sont des femmes.
Contre toute attente, nos interviewées ont raconté qu’elles se sentaient accueillies et à l’aise dans le milieu au sein duquel elles évoluent.
Juliette explique qu’elle n’a jamais eu à se poser la question. Elle a cependant envie de s’entourer de femmes quand elle le peut :
« Ça ne m’a jamais dérangée d’être une femme dans ce milieu… À vrai dire je ne me suis jamais posé la question, parce qu’en ayant des frères et des cousins, j’ai toujours été entourée essentiellement de mecs. Par contre, je trouve ça bien qu’il y ait des femmes sur les tournages, notamment sur des postes très investis par les hommes, et j’essaie de le favoriser lorsque je peux. »
Même chose pour Myriem, cheffe de projet chez Virigin Records. Elle explique d’ailleurs que ce sont plutôt les gens en dehors du milieu rap qui la renvoient à cette condition de femme.
« Moi je me sens chanceuse parce que jusqu’ici, je me suis jamais sentie “femme dans l’industrie”. Ça m’est arrivé très peu de fois.
C’est plus a l’extérieur du milieu qu’on me fait sentir comme une femme dans le rap. Une fois on m’a déjà dit, quelqu’un pas du tout du milieu : “ah ouais mais t’es une michto”… juste parce que je travaille dans le rap. »
Les femmes qui font leur place dans l’industrie du rap depuis plusieurs années telle que Juliette ou Myriem sont là pour la passion de leur métier. Elle permettent à beaucoup d’artistes d’avoir une image travaillée, car les clips, les pochettes d’albums, les concerts… C’est ce qui fait l’identité d’un artiste.
Mais un autre métier indispensable pour que les rappeurs et rappeuses puissent se faire connaître, c’est bien sûr celui de journaliste !
Celles qui parlent du rap
Les journalistes rap, en France, ne sont ultra nombreux. Cependant, c’est un milieux où des femmes inspirées et passionnées se font un nom.
Les journalistes rap femmes sont de plus en plus nombreuses. Mekolo Biligui travaille notamment au Mouv’, dans After Rap qui décrypte les sorties chaque semaine. Elle apparaît également dans l’émission La Récré créée par Aboubakar Sakanoko et Barbe Rish où plusieurs intervenants et intervenantes se réunissent pour débattre d’un sujet autour du rap.
Avant même de discuter de son travail, Mekolo nous cite plusieurs de ses collègues : Ouafa Mameche journaliste et éditrice, Emmanuelle Carinos, sociologue spécialiste des questions sur le rap, Lola Levent, fondatrice du média DIVA qui informe et donne des ressources sur le sexisme et les violences sexuelles dans l’industrie de la musique…
Mekolo a commencé sur un blog ; avec le temps, elle s’est rendu compte qu’écrire sur le rap pouvait devenir son métier.
« On avait tous un blog en vrai. J’ai toujours été passionnée par le rap, j’en ai toujours écouté avant de vouloir en faire un métier. Donc du coup, c’est arrivé assez naturellement.
Après j’ai arrêté la fac, même si je suis diplômée. J’ai commencé à écrire pour des petits sites. J’ai fait beaucoup de live-reporting au début. J’ai écrit pour un magazine qui s’appelait iHH. Puis une émission sur une web-radio. Je ne suis pas passé par le parcours classique d’école mais j’ai fait mes classes. »
Puisque Mekolo participe à plusieurs émissions, elle doit se tenir au courant de l’actualité du rap, ce qui n’est pas de tout repos :
« Parfois on ne reçoit pas les projets en avance, alors il faut se lever tôt pour tout écouter. Ça nécessite une petite organisation. Tous les vendredis je tourne After Rap, et La Récré les dimanches. »
Une misogynie pointée du doigt
Pour la journaliste, le rap n’est pas une exception : la misogynie est présente partout, pas seulement dans ce milieu.
« Dans le rap comme dans les autres échelles de la société, il y a des problèmes de sexisme, de misogynie, d’agressions sexuelles. Mais c’est plus facile de pointer le rap du doigt parce que les têtes d’affiches sont des personnes racisées. »
Elle explique que selon elle, il y a effectivement deux « grands axes » très peu nuancés pour parler des femmes dans le rap :
« T’es soit la mère, soit la pute, entre les deux, y a rien. Y a pas beaucoup de nuances, mais dans la société on nuance pas tant les femmes que ça non plus. C’est soit la putain soit la vierge. »
Mekolo comprend qu’il y a des problèmes de sexisme dans son milieu, comme dans beaucoup d’autres. Cela dit, elle ne veut pas être renvoyé à sa condition de femme pour autant.
« Je suis très consciente qu’être une femme exposée dans ce milieu, ça veut dire quelque chose. Mais j’aimerais tellement parfois qu’on ne me ramène pas à ce truc-là. En fait, je suis juste quelqu’un qui travaille dans ce métier et qui parle de musique. Le fait que je sois une femme, est-ce que ça joue sur mes goûts ? Peut-être, parce qu’on est pas traités pareil quand on est un homme et une femme.
Je pense que moi, j’écoute des trucs plus hard-core que la plupart des mecs que je connais. Donc après, c’est une question de sensibilité humaine de chacun. Je pense qu’on devrait plus se concentrer sur les personnes qu’on est que sur nos genres. »
Mekolo fait partie de ces passionnées de rap qui en parlent avec justesse. Son parcours est impressionnant et son emploi du temps bien rempli, ce qui forge l’admiration !
Que ce soit en étant journaliste, cheffe de projet ou directrice de production, nos trois intervenantes se sont toutes lancées avec la passion du métier. Leur travail contribue à l’expansion des artistes. Mais il y a également une autre branche très importante : les métiers de l’image.
Celles qui créent l’image du rap
On peut avoir tendance à penser que l’image est l’élément le plus important de la carrière d’un artiste. C’est en effet un élément central, mais le musicien ne décide pas de tout tout seul. Des personnes sont là pour l’aider à atteindre l’image qu’il ou elle veut véhiculer à son public.
Axelle Gomila est styliste ; elle a commencé en travaillant pour le média Shoesup, un magazine de mode qui n’existe plus, mais qui a vu passer devant son objectif énormément de stars du rap français. Axelle s’est occupée de beaucoup de shootings, c’est comme ça qu’elle a rencontré les gens du milieu de la mode hip-hop et du streetwear.
Dans ses débuts, Axelle a été styliste pour le rappeur Hornet La Frappe, puis pour Aya Nakamura, notamment pour la pochette de son album : Nakamura.
La liste des artistes qu’Axelle a habillés est tellement longue qu’on ne pourrait pas tous les énumérer ici ! Elle a récemment commencé à faire de la direction artistique pour des pochettes d’album.
Elle explique que lorsqu’elle style un ou une artiste, c’est vraiment un travail qui se fait à deux. Elle bosse depuis un an et demi avec SCH, après l’avoir rencontré sur un shooting pour Shoesup — elle a notamment collaboré avec lui lors de la création de Rooftop, son avant-dernier album.
« Il s’y connaît vraiment. Notre façon de travailler était très complémentaire, je lui apportais certains éléments auxquels il ne pensait pas pour ses looks, et vice-versa. »
Axelle explique que suivre un artiste pendant longtemps est toujours bénéfique, pour travailler d’une façon plus globale : « c’est plus intense ». En ce qui concerne son amour pour la musique rap , ça a toujours été une passion ; venant de Marseille, elle ressent beaucoup de fierté en ce qui concerne les artistes originaires de sa ville !
Une gestuelle authentique
Il n’y a pas que les sapes qui sont importantes dans l’image, surtout pas pour un ou une artiste qui monte sur scène. Une compétence très importante aussi, c’est de savoir bouger ! Car oui, faire de la musique, ça veut dire faire des clips et des concerts, et idéalement ne pas faire la Macarena pendant que tu chantes ton dernier tube.
Carmel Loanga est une danseuse professionnelle qui donne des cours dans Paris, et qui travaille sur des pubs et des clips, notamment pour des artistes rap. Elle collabore depuis un petit moment avec la rappeuse Chilla,
« Chilla, ce que j’aime beaucoup avec elle, c’est que c’est une meuf underground et qui envoie. La première fois qu’on a bossé ensemble c’est parce qu’elle avait repéré mon collectif de danseuses Swaggers, elle voulait qu’on fasse son clip Dans Le Movie #1. »
Et la connexion entre les deux a si bien fonctionné qu’aujourd’hui, Carmel coache Chilla ! C’est-à-dire qu’elle l’entraîne sur sa gestuelle, entre autres :
« Pour moi, tout ce qui est urbain et hip-hop, j’aime quand ça reste authentique. J’ai un caractère assez dur et c’est ce qu’elle cherchait. On a collaboré depuis 2020 et on travaille ensemble sur son nouvel album.
Je la coache pour qu’elle garde une bonne énergie, pour qu’elle soit à l’aise avec son corps, qu’elle ne soit pas codifiée comme dans les clips américains, et qu’elle exprime sa personnalité. C’est une meuf qui rappe franc-jeu comme les gars, et elle a les ongles parfaitement faits quand même. Ça reste gang, et moi j’adore ça. »
On ne s’imagine pas nécessairement que les artistes s’entourent au quotidien de personnes pour les aider à perfectionner l’image qu’ils et elles veulent créer autour d’eux. Et pourtant, des professionnelles comme Axelle ou Carmel sont indispensables pour les rappeurs et rappeuses aujourd’hui, qui doivent plus que jamais se montrer sur les réseaux en plus de leurs apparitions publiques.
Carmel explique s’attacher à des sons « à l’ancienne ». Cependant, le plus important pour elle, c’est l’authenticité.
« Je baigne dans le hip-hop et aujourd’hui ça a évolué. Je ne dirais pas que je suis moins touchée par le rap de maintenant, mais globalement, j’aime quand les artistes racontent des choses, autant dans le texte que dans les clips ou la chorégraphie. Je suis toujours très inspirée par cette musique. »
Carmel a collaboré avec SCH — encore lui — sur le clip de Crack sorti en juin dernier, et explique que ce dernier a « une vraie vision » à ses yeux de professionnelle.
« Il est dans une direction artistique où il a envie de raconter quelque chose. Il est complètement dans son personnage d’acteur italien et c’est ce qui m’a plu quand on a bossé ensemble. Les danseurs sont vraiment présents dans cet univers. »
Cette large galerie de créatrices, de manageuses, de passionnées modèlent, diffusent et participent à l’image d’une musique à la puissance folle ; elles ne se limitent jamais à être « une femme dans le milieu du rap ».
Leurs parcours inspirants forgent l’admiration et donneront, on l’espère, envie à plein de jeunes femmes de se lancer sans peur !
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