L’upcycling (on parle aussi de « surcyclage » en bon français de France) est le principe de redonner de la valeur à des objets et des produits qui auraient terminé à la poubelle, sans assurance d’être recyclés. C’est très courant en mode et en déco (qui n’est jamais tombé sur une table basse fabriquée à partir de vieilles palettes en bois ?), mais beaucoup moins développé en beauté.
Pourtant, entre les packagings et les ingrédients produits pour réaliser les formules, il y a de quoi faire pour l’industrie cosmétique !
Audrey Ducardonnet de Rose Pirate, Christelle de Châlus d’Ensème et Marina Berger Collinet-Ourthe d’Océopin sont trois entrepreneuses qui ont mis l’upcycling au cœur de leur projet de marque, pour une beauté plus vertueuse et responsable.
Rose Pirate donne une nouvelle vie aux étuis de rouges à lèvres
Ingénieure chimiste de formation, Audrey Ducardonnet a travaillé pendant 15 ans au développement des collections de maquillage de l’une des plus grandes maisons de haute couture françaises.
Habituée aux packagings robustes et esthétiques, elle a toujours eu beaucoup de mal à s’en séparer et rêvait d’un autre destin que l’incinération pour ces contenants ayant souvent été développés pendant plusieurs années par des designers de renom :
« Je n’ai jamais aimé jeter et c’est devenu un vrai cas de conscience pour moi de me débarrasser d’un pot ou d’un étui une fois le produit terminé.
Je me suis demandé ce qu’on pourrait faire pour leur donner une seconde vie et pour prolonger l’expérience client. »
Le choix du rouge à lèvres s’est vite imposé à l’entrepreneuse en herbe pour lancer Rose Pirate, son projet d’upcycling beauté :
« C’est un produit très émotionnel qui peut rappeler de nombreux souvenirs et moments heureux. On aime se le transmettre entre les générations, je trouvais donc que ça avait du sens de commencer par là.
C’est aussi un objet qui se vend chaque année à plusieurs millions d’exemplaires dans le monde mais qui ne se recycle pas, alors j’ai trouvé le challenge intéressant. »
Intéressant mais aussi nécessaire. En effet, à partir du 1er janvier 2022, comme dispose la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire (AGEC) du 10 février 2020, les marques ne pourront plus brûler leurs invendus de rouges à lèvres (et autres produits destinés à être appliqués sur la bouche).
Mais une fois que le plus gros aura été donné à des associations, qu’adviendra-t-il des produits arrivés à date de péremption qui ne pourront pas être réemployés ?
Dans son laboratoire de Bois-Colombe (92), Audrey nettoie et stérilise tous les tubes envoyés par ses clientes puis les remplit d’une formule de baume à lèvres naturelle composée de beurre de karité, d’huile de noyau d’abricot, de cire de fleur de rose et de patate douce.
Un produit universel et simple d’usage : exactement ce dont elle avait envie pour inciter un maximum de personnes à upcycler leurs étuis chéris. Bien emballé dans un papier de soie, l’étui (et son précieux contenu) est ensuite renvoyé à sa propriétaire, prêt à vivre de nouvelles aventures.
Et si on veut donner ses vieux rouges à lèvres sans acheter le baume ? C’est possible aussi ! Après un petit coup de polish et un remplissage en bonne et due forme, ils sont proposés à l’achat sur l’e-shop de Rose Pirate :
« Ça permet à celles qui ne possèdent pas de pack vintage de pouvoir s’offrir le baume dans un bel écrin. Et, je l’espère, de le faire remplir à nouveau lorsqu’il sera terminé ! »
Financé par une campagne de crowdfunding en juin dernier, le projet n’en est qu’à ses débuts (les premiers baumes sont partis il y a quelques semaines) mais Audrey Ducardonnet ne manque pas d’idées pour développer sa marque :
« Dans l’avenir, j’aimerais pouvoir proposer d’autres produits de beauté sur le principe de l’upcycling, mais il est encore tôt et, même si je suis optimiste, je me demande si les gens sont vraiment prêts à changer leur façon de consommer les cosmétiques. »
En attendant de pouvoir lancer une gamme complète, elle espère que de nombreuses marques penseront à elle au moment de dire au-revoir à leurs stocks dormants. Et nous aussi !
Ensème revalorise les coproduits de l’industrie agroalimentaire
Au moment de rédiger le cahier des charges de son projet de cosmétiques solides bio et zéro déchet, Christelle de Châlus n’avait qu’une seule idée en tête : préserver les ressources naturelles en revalorisant au maximum ce qui existe déjà. Elle explique à Madmoizelle :
« J’ai travaillé 15 ans dans l’industrie du parfum et je savais qu’il était possible d’aller plus loin dans les exigences qu’on avait en termes de formulation.
Pourquoi faudrait-il produire de nouvelles matières premières alors que les industries agroalimentaires et agricoles se débarrassent de tonnes de résidus qui pourraient être utilisés en cosmétique ? »
Avec Jérôme Martino, ingénieur dans le biomédical et co-fondateur d’Ensème, elle a passé deux longues années à sourcer les déchets les plus intéressants.
« On a rencontré beaucoup de producteurs et de fabricants, et certains sont devenus de véritables partenaires. On récupère les pépins, les noyaux, la paille de blé ; on les transforme en huile, en extraits végétaux et en poudre pour nos shampoings et savons solides.
Nos formules contiennent de 30 à 50% d’ingrédients upcyclés, et nos étuis sont réalisés en papier fabriqué à partir de résidus de raisins. »
Pour une marque qui se lance à peine (la production des premières références vient d’être lancée), c’est un très bon début, mais Chistelle ne compte pas s’en satisfaire :
« Notre but c’est de développer la filière de l’upcycling, mais encore faut-il que les déchets puissent avoir un intérêt pour nos produits. Avec Jérôme, qui crée toutes nos formules, on a fait de nombreux essais avec d’autres résidus et coproduits mais parfois ça ne marche pas.
On a eu une bonne surprise avec la mélasse [le résidu sirupeux de la cristallisation du sucre, ndlr], qui fait un super agent lavant, mais ce n’est pas toujours le cas. »
Même si la marque espère un jour pouvoir proposer des produits 100% upcyclés, elle doit pour le moment compléter ses formules avec d’autres ingrédients triés sur le volet :
« On est intransigeants sur leur efficacité, leur innocuité et leurs conséquences sur l’environnement. On pense chaque composant dans son utilisation mais aussi dans l’impact qu’il pourrait avoir sur nous et sur l’écosystème une fois utilisé.
On ne veut pas uniquement créer des produits performants et qui sentent bon, on veut avoir une vraie action sur le quotidien. C’est notre mission. »
Lancée en novembre 2020 sur Ulule, Ensème a vite explosé ses objectifs de financement et près de 3000 produits ont été précommandés en quelques semaines.
« Les gens sont de plus en plus sensibles au fait qu’on ne peut plus consommer comme avant : une fois qu’ils ont compris notre démarche, ça les intéresse, même s’il y a encore beaucoup de pédagogie à faire autour de l’upcycling.
Notre but n’est pas de surfer sur une tendance émergente mais bien de changer les modes de consommation. »
En tout cas, la petite graine est bien semée.
Océopin upcycle les coproduits de l’extraction de son huile star
Lorsque, comme Marina Berger Collinet-Ourthe, on a le privilège de pouvoir bénéficier d’une matière première aussi rare et précieuse que l’huile de pin maritime (son père, Jean-Jacques Berger est le dernier grainetier en exercice), quand on décide de créer une marque de cosmétiques, on fait les choses bien.
Océopin, lancée en 2012, fait le pont entre savoir-faire traditionnel et exigences contemporaines. Formules, esthétique, impact environnemental… Rien n’est laissé au hasard et l’upcycling fait tout naturellement partie de son cahier des charges :
« Notre ingrédient star, c’est l’huile de pin maritime pressée à froid, extraite des graines de pommes de pin, mais on essaie de tirer profit de tout ce que nous offre le cône.
Après l’extraction de l’huile, on récupère les tourteaux [les résidus solides de la trituration, rien à voir avec les crustacés, ndlr] puis on les broie pour créer un autre produit, notre poudre gommante pour le corps.
Le seul résidu de la graine qu’on n’arrive pas encore à upcycler, c’est l’ailette qui lui permet de voler et d’aller se déposer plus loin pour créer un autre pin. Elle n’a aucun intérêt pour la formulation de produits cosmétiques, mais on espère pouvoir lui trouver une utilité dans un autre domaine. »
Les pommes de pin, qui renferment les précieuses graines, ne sont pas non plus oubliées après avoir livré leur trésor :
« Les plus jolies sont utilisées en décoration florale et les moins esthétiques sont réemployées directement dans notre usine : elles sont transformées en combustible pour alimenter les fours qui servent à ouvrir les cônes.
Chez nous, rien ne se perd, tout se transforme et on essaye d’avoir la chaîne de production la plus vertueuse possible. »
Même les packagings sont pensés pour pouvoir être upcyclés :
« Depuis l’origine, on essaye de tendre vers le zéro déchet, mais dès qu’il faut un emballage, on fait attention à proposer quelque chose de durable. C’est notamment le cas pour notre crème de soin, qui est vendue dans une jolie boîte en carton très épais et que nos clients aiment réutiliser pour ranger leurs bijoux. »
Fidèle à son engagement pour une cosmétique plus responsable, la marque teste le vrac dans les boutiques Maison Orso à Rennes et à La Rochelle, et propose son produit best-seller, le Gel lavant corps et cheveux, en recharge souple de 5L en exclusivité sur son e-shop.
« Nous sommes les seuls à pouvoir produire cette huile de graines de pin maritime, c’est une opportunité incroyable mais aussi une grande responsabilité qui nous engage à faire toujours mieux. »
Pas de doute, avec des marques aussi engagées et la tendance actuelle à produire de façon plus raisonnée et raisonnable, l’upcycling en beauté a de beaux jours devant lui.
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Crédits photos image de Une : Alesia Kozik sur Pexels
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