Il y a quelques années, j’ai rencontré l’homme de ma vie, comme le veut le gimmick des Celui qui. On était jeudi, j’avais réussi à me coiffer, j’avais enfilé mon tout nouveau blazer, je me trouvais jolie et je savais que je sentais bon parce que je venais de changer de parfum. C’est fou, maintenant que j’y pense, de réaliser à quel point on oublie sa propre odeur dès qu’on porte le même nectar plus de quelques jours d’affilée.
Je m’aimais bien ce soir-là, ce qui était plutôt rare à l’époque où mes tout petits vingt ans, ma mauvaise connaissance de moi-même et ma tendance à prendre pour argent comptant ce que les canons de beauté me balançaient à la face me rendaient toujours un peu dégoûtée de moi-même. On était sortis avec des amis, et des amis d’amis. C’était février et il était tard mais personne n’avait trop froid, alors on s’était installés en terrasse, debout, sous les petits champignons-parasols-chauffants.
C’était une bonne soirée, beaucoup plus que celle de la veille où j’avais fini par pleurer, l’alcool aidant, dans les bras de ma meilleure amie en réalisant que j’avais envie de rencontrer un mec bien, ou même une fille bien (je ne savais pas trop où je me situais à l’époque), qui me ferait ressentir ce que je n’avais jamais ressenti pour personne. Une personne qui pourrait pas s’empêcher de sourire bêtement en pensant à moi.
C’est bizarre la pression que je me mettais : à vingt ans, il n’est pas rare de n’avoir jamais connu l’amour, le vrai. J’en ai cinq de plus et je ne suis pas certaine à 100% d’avoir connu ça (même si j’ai aimé plein de fois, plus ou moins fort).
Peut-être qu’à l’âge de Betty White, je serai pas encore sûre d’avoir vécu ça. On sait pas.
Je pense que ce qui me rendait triste, c’est que je m’étais pas remise de ma première vraie rupture un an plus tôt, et que j’étais un peu lassée d’avoir des relations sexuelles souvent avec des gens différents à chaque fois. Chez moi c’est comme ça : le cul pour le cul, pour le flirt avant, pour la tendresse éphémère et la complicité vite fait, ça me va un temps, mais quelques mois plus tard je veux surtout des bras toujours là et des messages (et du cul aussi, parce que tout de même). J’étais plutôt heureuse ce jeudi soir-là, mais particulièrement vulnérable en terme de craquage du palpitant.
J’étais tranquillement en train de discuter quand je l’ai vu. Il était beau putain, il était BEAU. Pas beau comme un acteur qui fait des couvertures de magazine, mais beau dans le sens où son physique me plaisait à MORT. À l’époque encore timide, j’ai pris mon courage à deux mains et je suis allée lui demander un briquet dont je n’avais pas besoin.
C’était assez gratifiant de voir que son regard a changé quand il s’est posé sur moi, alors que je suis loin d’être Kerry Washington. Ça aurait pu être un moment express mais c’était finalement assez joli, tout en douceur, en séduction timide et un peu en gêne puisque la pote avec qui il discutait quand je suis arrivée est restée, sans dire quoique ce soit.
Le lendemain, il me contactait et on passait notre première nuit ensemble – une nuit à base d’embrassades et de câlins mais sans acte sexuel. À l’époque, je savais pas encore si c’était parce qu’il n’avait pas envie de moi ou parce qu’il voulait qu’on prenne notre temps, qu’on se laisse le temps d’avoir envie de l’autre jusqu’à l’implosion…
Cette seconde idée me plaisait. Ce qui me plaisait moins, c’est que le lendemain matin, alors que je me réveillais à ses côtés, j’ai eu la gastro. On pourrait penser que je dis ça pour la vanne, genre « hihi c’était un article beaucoup trop romantique alors je vais rajouter de la diarrhée dedans », mais rien à voir. Alors que j’étais sur les toilettes, honteuse et triste, je me suis dit que ça servirait de test : s’il me rappelait alors que notre premier réveil s’était déroulé de cette triviale façon, c’est qu’il avait envie de quelque chose de sérieux avec moi.
Et quelques heures plus tard, je recevais un nouveau message enthousiaste de sa part. Bien sûr, il me disait au revoir en me faisant la bise chaque fois qu’on dormait ensemble, bien sûr, il pouvait rester des jours sans me donner de nouvelles et sans me répondre, mais vraiment, j’y croyais : il me plaisait, je semblais lui plaire, il sentait bon, il était drôle et tout ce qu’il disait me paraissait monstrueusement intéressant.
En grand passionné de cinéma, il me faisait regarder des classiques que je ne connaissais pas et ne se formalisait même pas quand je m’endormais dès les dix premières minutes. Moi, je lui faisais lire ce que j’écrivais, il était fier et j’avais l’impression qu’une fois qu’il se serait décidé à s’ouvrir à moi on serait un de ces couples qui font rêver les gens sur Tumblr (même si à l’époque, je connaissais pas Tumblr).
Mais surtout, surtout, il avait un petit côté mystérieux qui me happait littéralement. Sans le savoir, je venais de mettre l’étrier dans mon premier ténébreux. Je savais qu’il avait quelque chose qui le rendait triste, un peu, et j’avais envie de le réparer avec ma personnalité toujours plus pétillante que la sienne.
Alors je patientais, j’attendais. Je le laissais me faire la bise quand on se disait au revoir, je ne me formalisais pas quand il rejetait son épaule, que je venais d’effleurer, en arrière, je le laissais me contacter en premier après plusieurs jours de silence, j’acceptais de ne pas avoir de relation sexuelle avec lui. C’était quand il voulait, comme il voulait. J’étais un putain de pantin.
Le fameux regard « j’ai des fêlures ».
J’étais très jeune sentimentalement parlant, et je ne savais pas encore déceler la douleur qu’on ressent quand on croit aimer et qu’on ne l’est pas en retour. Je pensais qu’être amoureu-x-se, c’était ça, c’est tout. Que c’était de la souffrance et de l’incertitude. Alors j’attendais qu’il se décide et je parlais de lui avec des étoiles dans les yeux : « Oh, il m’a même pas envoyé ne serait-ce qu’un message par erreur depuis des jours et des jours et je le vis très mal parce que je suis tout l’inverse mais oui, il est vraiment parfait ».
Un jour, quand on s’est revus, j’ai enfin osé lui demander pourquoi il était si sombre parfois. Il m’a alors raconté que sa mère s’était suicidée peu de temps avant, et qu’il pensait encore beaucoup trop à son ex avec qui il n’arrivait pas à tourner la page. L’indice laissé par ce dernier point aurait dû me sauter au cerveau : il n’était pas prêt à être en couple avec moi, il n’était pas prêt à me donner ce que j’attendais de lui, je ne m’épanouirai pas à ses côtés.
Ce message qui aujourd’hui me paraît très clair était tout à fait brouillé à l’époque. Alors j’ai continué à imaginer que je serai celle qui partagerait un moment de vie avec lui et dont il tomberait amoureux, pour son bien. Qu’il était fragile à cause de ces deux drames mais qu’il allait consolider ses arrières grâce à sa moi. Que j’allais devenir le pilier sur lequel il s’appuierait.
C’était des conneries.
J’ai continué à m’efforcer d’y croire, perdant un peu de confiance en moi chaque fois qu’il ne m’appelait pas et chaque fois qu’on se voyait, et puis « on a couché ensemble une fois alors vraiment, c’est qu’il tient à moi ». Et puis un jour, le déclic. La vanne de trop.
On se réveillait, on était nus, il faisait chaud, la couette était à nos pieds et j’étais toute abandonnée à lui, à ses yeux et ses mains. Je me suis étirée pour finir de me réveiller et il a soudain claqué sa main sur ma cuisse. Je l’ai regardée, surprise, et il m’a lâché un goguenard :
« Dites donc, y a vachement de viande à bouffer là-dessus. »
Et là, j’ai compris. J’ai compris que ce mec n’était pas fait pour moi. J’ai compris que, soit il n’avait pas envie de vivre un truc avec moi, soit il n’était pas prêt, mais que dans tous les cas, il me serait toxique.
Aujourd’hui, je suis contente d’avoir finalement choisi de ne pas continuer les frais. Aujourd’hui, je sais que j’ai envie que les gens de mon entourage se sentent bien mais je sais surtout que ce n’est pas parce qu’ils ne sont pas bien qu’ils doivent me tirer vers le bas.
Aujourd’hui en fait, surtout, j’espère qu’il va bien… même si je ne veux plus jamais le contacter.
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Les Commentaires
et puis on a le même groupe d'amis donc c'est un peu plus difficile mais j'ai deja pris conscience du problème donc c'est déjà un progrès !
Sinon je pense qu'il y a toujours des choses que l'on oublie jamais vraiment donc ca me supprend pas que t'es pas totalement enterré