En octobre 2003, j’ai rencontré l’homme de ma vie. Il était grand, brun, et Viennois. Il avait un charme fou, une prestance de dingue et un Loden vert mousse (pour les non-germanophiles, un Loden est un long manteau typiquement autrichien en laine bouillie, du plus grand chic, qui rappelle les temps anciens glorieux de l’Autriche impériale des Habsbourg).
Je venais d’arriver dans la capitale de Sissi pour une année Erasmus. Et là, dans une salle de cours, je l’ai vu. Il était à 20 mètres de moi, les phéromones ne pouvaient pas jouer leur rôle, et pourtant, il m’a plu instantanément. Un mec pas franchement beau mais inoubliable.
Je l’avais à peine vu que je commençais déjà à réfléchir : quoi faire, quoi dire, comment tomber dans ses bras et lui dans les miens, sans nous vautrer tous les deux au beau milieu de la fac ?
Quelques semaines après (je suis une grande timide), le hasard faisant bien les choses (surtout quand je l’aide), mon beau Viennois n’avait plus une seule place de libre dans l’amphithéâtre… sauf à côté de moi. Je regarde discrètement son nom pendant qu’il remplit la feuille de présence. Il a le plus beau prénom du monde. Très autrichien, mais magnifique quand même. Rien que de m’imaginer murmurer un jour ce prénom avec des trémolos d’amour dans la voix, je chavire. J’en profite pour participer en cours, histoire qu’il remarque que je ne suis pas n’importe qui. Et non, je suis française, et je tiens bien mettre à profit la délicieuse réputation que nous avons hors de nos frontières.
A la sortie du cours, la discussion s’engage, et à partir de là, j’accélère dans mon récit, sans quoi tu vas mourir d’ennui avant la fin de mon histoire, qui en est pourtant – comme souvent – la meilleure partie.
Au mois de novembre, on se parle un peu avant ou après notre cours.
Au mois de décembre, on va ensemble jusqu’au métro.
Au mois de janvier, bonnes résolutions aidant, nous poursuivons la discussion pendant des heures. Enfin non, c’est ce que j’aurais aimé. Mais son tramway a fini par arriver. Mais en partant, il m’a dit « à très bientôt j’espère ». J’ai répondu « oui, j’espère aussi », et il m’a fait un sourire béat et moi aussi. Un jour, attablé avec des amis, il s’enquiert l’air de rien l’état de leur vie sentimentale. Et il conclut bien fort et bien distinctement : « donc je suis le seul célibataire de cette table ». Je n’ose ajouter « moi aussi » tant je me réjouis déjà intérieurement de cette nouvelle inattendue.
Au mois de février, nous avions un mois de vacances. J’étais en Belle-Province, il faisait du ski dans la plus snob des stations autrichiennes. Echange de mails vifs, légers et profonds à la fois.
Au mois de mars, après cette longue séparation, retrouvailles émues et présentation à tous ses amis. Dans le café, il me place d’office en face de lui et à côté de son ami d’enfance, ce que je prends clairement pour la phase finale de mon test de personnalité. Le meilleur ami est conquis. C’est l’euphorie. Nous allons sans doute nous marier dans une merveilleuse petite église autrichienne, et son meilleur ami, témoin, fera un discours furieusement émouvant en reparlant de cette soirée « où il a tout de suite compris que j’étais la bonne pour Celui qui était amnésique« .
Au mois de mars encore je découvre un soir qu’il est à l’opposé de mes convictions politiques et religieuses, qu’il aurait tendance à mépriser allègrement. Oui, mais il est tellement beau dans son Loden vert mousse, j’oublie vite. Et puis un homme, ça change (surtout de convictions), non ?
Au mois de mars toujours, on se voit de plus en plus. Mais il y a encore des vacances. Alors un soir, « comme il ne peut pas partir une semaine sans m’avoir dit au revoir », il débarque chez moi à 23h30, enflammé. Et me dit au bout de 5 minutes de conversation banale : « bon ben… faut qu’j’y aille. A dans une semaine, hein« . J’ai passé une semaine à me demander… ce qu’il s’était passé justement.
Au mois d’avril, il revient. Mais bizarrement, impossible de le voir. Tous les jours, on doit se voir. Tous les matins, je passe des heures dans ma salle de bain et devant ma penderie. Tous les midis, il y a un truc qui fait qu’on ne peut pas se voir.
Tant d’émotions et d’impatience accumulées + le début du printemps ont raison de moi. Alors que je l’appelle innocemment pour lui proposer une soirée chez des amis, je deviens réellement hystérique en exigeant de lui « qu’il me dise une bonne fois pour toutes ce qui lui arrive d’un seul coup« . Il fait celui qui ne comprend pas, me dit qu’il réfléchit pour la soirée et qu’il m’envoie un SMS.
A 4 h du matin, le SMS tombe. Il m’aime vraiment beaucoup beaucoup beaucoup, mais il a déjà une copine en Belgique (mais d’où sort-elle cette pétasse ?? jeune fille délicieuse ???) qui n’est pas sure de leur relation (oui, mais LUI, il est sûr ou pas ? Mystère). Fin, le rideau tombe.
En octobre 2003, j’ai rencontré l’homme de ma vie. Après des mois de tournage autour du pot, la mémoire lui était revenue. J’ai rencontré le seul Viennois capable d’oublier qu’il avait déjà une petite copine. Et je me suis rendue compte qu’un homme, aussi beau qu’il puisse être dans son Loden vert mousse, qui n’aimait ni ma religion ni mon parti politique et qui, EN PLUS, était amnésique, ne pouvait être l’homme de ma vie.
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
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