« Je pense entrer en religion. »
Cette phrase résonne encore dans ma tête.
Comment ai-je fait pour avoir le coup de foudre pour le seul type sur mille désireux de se la jouer frère Cadfael.
Je n’avais rien demandé à personne, moi. Je n’ai jamais demandé à ce que notre rencontre me chamboule le myocarde à ce point-là.
Le coup de foudre, je n’avais jamais connu ça. L’amour non plus d’ailleurs.
Pourtant jusque-là je n’avais jamais eu vraiment à me plaindre. Des copains, des expériences de couple, j’en avais eus.
Je m’en étais toujours bien tirée, au final. Me lassant vite de ces braves garçons, j’avais une forte propension à les larguer sans sommation. Il n’y avait donc pas de séquelles au moral, ni de bobo au cœur.
En gros, malgré mon côté fleur bleue, je vivais mes ruptures avec un certain détachement, sans connaître les affres du désespoir amoureux.
La tchernobylisation de mon cœur
Et puis, par un bel après-midi ensoleillé, ça m’est tombé sur le coin de la tronche sans crier gare.
C’était un dimanche ; je devais retrouver des amis au parc, après un rugby improvisé. Je me rappelle m’être dépêchée, car j’étais en retard (comme toujours). Je me revois rejoindre ma pote sur le bord du terrain, après avoir traversé la ville en hâte
Je me souviens avoir repris mon souffle tant bien que mal, pendant que mon amie m’annonçait : « Regarde un peu le gars là-bas, c’est la première fois qu’il joue avec nous ».
J’ai levé la tête. Je l’ai regardé. Et là, ce fut le drame.
Je n’ai strictement rien compris à ce qu’il se passait. C’est comme si d’un coup tout chavirait partout autour de moi, à commencer par mon cerveau. Des hommes beaux, je pensais en avoir déjà vus dans ma petite vie.
Mais LE MEC BEAU, jamais. J’ai compris plus tard que c’était bel et bien un coup de foudre que j’avais eu pour ce type — appelons-le Gaston, tiens.
Lorsque je l’ai vu s’approcher de moi, grand, baraqué, suant d’effort dans son t-shirt sombre après ce match de rugby (comment ça, c’est cliché ?!), j’ai vécu ma première explosion ovarienne. Littéralement.
Feu ma culotte.
Puis lorsqu’il a baissé les yeux vers moi pour me saluer, mes cordes vocales ont décidé de me dire merde. Jamais de ma vie je n’ai eu autant de mal à me souvenir de mon prénom pour me présenter.
Après ce rugby, nous nous sommes rendus à l’appart’ dans lequel je vivais à l’époque, histoire de se rincer le gosier avec quelques bonnes bières.
Gaston connaissait un peu mon coloc’ (et aimait bien la bière) ; il décida donc de se joindre à nous. J’étais véritablement fascinée par le moindre de ses mouvements. Sa manière de conduire ou encore la façon qu’il avait de boire étaient à mes yeux dignes d’un pur slow motion. Ne pas le regarder, ne pas lui parler alors qu’il était dans la même pièce que moi était un gâchis de temps incommensurable.
Qu’avait-il de plus que les autres ?
Je n’en savais rien et je m’en contrefichais. Tout ce que je savais, c’est que dès l’instant où il partirait de chez moi et me laisserait avec ces autres gens, tellement « normaux », tout mon monde s’assombrirait d’un coup.
J’étais soudain terrifiée à l’idée de ne plus le revoir. Et pourtant, c’est bien ce qu’il s’est passé.
Les montagnes russes et ma santé mentale
En effet, pas de Gaston pendant plusieurs mois suite à cette rencontre. Désespoir et tristesse dans les chaumières.
Ces quelques heures passées avec lui m’avaient tellement marquée que je ne pouvais m’empêcher de le comparer à tous les garçons que je croisais.
Il était bien plus grand. Plus charismatique. Plus attirant.
Bref, je l’avais mis sur un piédestal tellement haut que même la Tour Eiffel semblait minuscule à côté. Ce fut donc le début des montagnes russes.
Faire le moindre pas vers lui me semblait plus compliqué que de faire un numéro de claquettes sur le dos d’un lion en rut — chose assez étrange, puisqu’en général j’avais tendance à prendre assez facilement les choses en main lorsqu’un garçon me chatouillait les hormones.
Dès que je décidais de passer à autre chose et de l’oublier, mon cerveau de rêveuse n’en faisait qu’à sa tête.
Devant n’importe quelle personne le connaissant, je jouais l’indifférence la plus complète en entendant son nom, mais mon p’tit cœur s’agitait dans tous les sens dans ma poitrine. Au final, je ne savais quasiment rien de lui.
Les seules infos dont je disposais à son sujet me parvenaient d’individus le connaissant de près ou de loin, comme une espèce de légende urbaine. C’est de cette façon (un peu tordue, je dois le reconnaître) que j’ai commencé à appréhender le bestiau.
Voici les résultats de la récolte : on obtenait un trentenaire sportif, bosseur, sociable, célibataire, et catholique pratiquant.
CATHOLIQUE. PRATIQUANT.
Et c’est là qu’on perd mon myocarde.
Vous la voyez maintenant la montagne russe ?
En apprenant cette nouvelle, j’ai été, il est vrai, assez refroidie. Je me disais que je ne pouvais pas être une fille pour lui, moi qui ne suis pas franchement du genre à aller à la messe tous les dimanches, contrairement à lui.
Je fis tout pour me convaincre que ça ne pouvait pas marcher dans tous les cas, et je pris la décision de le refouler dans un coin de ma mémoire à grands coups de pieds au derrière, comme si de rien n’était.
Finalement je parvins même à blinder mon myocarde d’un énorme rempart, genre muraille de Chine, l’obligeant dorénavant à bien se tenir. C’est ainsi que les montagnes russes cessèrent, du moins pendant un temps.
J’eus deux copains. Je crus même avoir trouvé godasse à mes gros orteils en leur compagnie. Peine perdue. Plus de deux années passèrent ainsi, durant lesquelles je croisais Gaston sporadiquement.
Tout bascula à nouveau lorsque je décidai de me mettre à la boxe.
La reprise des hostilités
Quelle idée, me direz-vous. La boxe. La raison est très simple. Je pris la décision immédiate et non révocable de m’y mettre suite à cette conversation avec une amie :
« – Hé dis donc, ça te dirait de te mettre à la boxe ?
– Euh, je sais pas trop, franchement c’est quand même bourrin comme sport, non ?
– C’est Gaston qui donne les cours, dommage. »
Et voilà comment j’ai replongé. Plus de deux ans après l’avoir rencontré, je le retrouvais dans ce même foutu parc, entourée des mêmes foutus potes. Étant donné que cela faisait plus d’un an que je ne l’avais pas revu, je me disais qu’avec un peu de chance, le retrouver ne me ferait absolument aucun effet.
En un an les gens changent. Peut-être était-il devenu archi-moche. Et puis si ça se trouve, il ne se souviendrait même pas de moi !
Tu parles Charles. Non seulement il était toujours aussi canon, mais il me fit exactement le même effet que lors de notre rencontre. Et puis il ne m’avait absolument pas oubliée. Monde de merde.
Ainsi, avec une régularité et une ponctualité exemplaire, je venais à l’entraînement toutes les semaines échanger des marrons avec Gaston. Ça, c’est de la tactique de drague ! Coller des patates à un garçon pour lui montrer son intérêt !
Rocky VS Drago, cette grande parade nuptiale.
Je devais me rendre à l’évidence : j’étais en pleine rechute gastonienne. Il m’obsédait totalement.
Lorsque je n’étais pas à l’entraînement avec lui, je n’arrêtais pas de penser à lui (et à la façon dont son marcel blanc collait à ses abdos, ok).
Au bout d’un looooong moment, j’ai compris que si je voulais l’avoir ailleurs que sur un ring, il allait falloir prendre mon tout petit courage à deux mains et l’inviter à boire un verre. Ce que je fis. Via Facebook bien sûr, je suis courageuse mais pas téméraire !
À mes yeux, il semblait tellement inaccessible que j’étais persuadée d’essuyer un refus.
À ma grande surprise, il accepta. C’est ainsi que par un lundi soir pluvieux, j’arrivai (en retard, bien sûr) à mon premier rendez-vous avec Gaston. Évidemment, j’étais apprêtée du style « je-suis-sublime-sans-le-faire-exprès » (toi-même tu sais). La soirée se passa bien. Je m’étais persuadée, dans un dernier espoir, que ce n’était pas possible d’être aussi canon sans être con comme un balai.
Une fois encore, mes espoirs furent déçus. Non seulement il avait une conversation intéressante, mais nous parlions de tout et de rien.
Son niveau de culture n’avait d’égal que sa sexyness — à mon grand désespoir. J’en profitai pour lui poser des tas de questions sur le catholicisme, et surtout sur les raisons qui l’avaient poussé à s’y convertir.
Plus j’en discutais avec lui, plus j’avais la sensation que la religion constituait pour lui une sorte de refuge, une bouée à laquelle se raccrocher dans un monde qu’il pigeait de moins en moins.
L’attente, la tristesse et la révélation
Il ne se passa rien à l’issu de ce premier rendez-vous. Ni après les deux autres d’ailleurs. Oui oui oui. On peut dire que je me suis bien acharnée. À l’issue du premier rendez-vous, il ne m’a pas recontactée.
J’ai attendu. Un jour. Deux jours. Une semaine.
Puis je me suis rendue à l’évidence. Je ne l’intéressais pas. Durant les deux mois qui ont suivi, j’ai tout fait pour le sortir de ma tête.
Tout, même ce qu’il y a de moins recommandable. Sortir. Se noyer dans les révisions. Boire, beaucoup. Pleurer comme une madeleine dès que j’avais le moindre coup de mou.
Passer la nuit avec des types rencontrés dans la journée. Boire encore. Bref, je voulais me prouver que je n’avais pas besoin de lui.
Mais j’ai vite compris que tant que je ne lui aurais pas balancé mes quatre vérités dans la tronche une bonne fois pour toutes, le cauchemar continuerait.
C’est pourquoi je l’ai revu à deux reprises.
À chaque fois, je passais une soirée géniale en sa compagnie. Il me fascinait toujours autant. J’avais l’impression que le courant passait bien. J’en étais même persuadé. Sa galanterie, ses sourires en coin quand il m’écoutait, la façon qu’il avait de me fixer avec ces maudits grands yeux verts…
Mais rien à faire. Ces mots restaient coincés dans ma gorge.
Et après chaque rendez-vous, c’était le silence radio. Pas la moindre nouvelle. À la fin du troisième, au moment de me dire au revoir, il m’annonça qu’il voulait m’appeler dans la semaine, et me revoir.
Hourra ! J’étais tellement euphorique que j’ai préféré me taire au lieu de tout lui balancer. J’ai attendu son appel. Toute la semaine. Mais rien, pas un signe de vie. Je ne comprenais pas. Je ne voulais pas comprendre. J’étais complètement désemparée. Et désespérée. Puis le déclic est enfin venu.
La dernière charge héroïque
Un jour, j’appris que nous étions tout deux conviés au même mariage. Je tenais enfin l’occasion de m’expliquer une bonne fois pour toutes avec Gaston.
Qui plus est, à des noces ! Le cadre était idéal pour une déclaration en bonne et due forme, et en plus, je serais sublime (cette fois en le faisant totalement exprès).
C’est pourquoi je mis le paquet comme jamais pour être superbe dans ma robe dos nu bien trop classe et mes talons bien trop hauts. Bref, j’étais prête à l’affronter.
Tout pareil.
Étrangement, j’étais assez calme en le voyant dans son beau costume, rasé de près. En entrant dans l’église je le reconnus tout de suite, même de dos et parmi trois cent invités.
Malheureusement, je sentais la panique me gagner au fur et à mesure que l’après-midi s’écoulait.
Ce n’est qu’à la fin du vin d’honneur, après avoir salué les mariés, que le déclic se produisit.
Pile au moment où je croyais m’être dégonflée, le courage qui me faisait défaut depuis des mois vola enfin à mon secours (ou alors les deux coupes de champagne à jeun, allez savoir).
Au moment de lui dire au revoir, et alors qu’il était entouré d’amis (dont un prêtre…),
je demandai à lui parler.
Après l’avoir emmené à l’écart, sous son regard quelque peu interloqué, d’un coup, d’un seul, je déballai tout ce que j’avais sur le cœur.
Tout. Très calmement, en le regardant droit dans les yeux (surtout ne pas leur montrer qu’on a peur !), je lui expliquai qu’il me plaisait, beaucoup. Qu’il m’avait toujours plu. Je ne lui demandai rien en retour ; je n’attendais rien de lui, loin de là.
J’avais juste besoin de tout lui avouer, pour enfin passer à autre chose. Je ne me faisais pas vraiment d’illusion quant à sa réaction.
Je me doutais que cela ne se déroulerait pas comme dans toutes les dizaines de films que j’avais vus. Il n’y aurait pas de musique de fond, pas de gros plan de salade de museaux sur fond bucolique suivi d’un joli « THE END ».
Je le savais, et je m’y étais préparée.
J’avais envisagé un paquet de scénarios post-déclaration. Presque tous à vrai dire. Sauf celui qui suivit mon speech…
« Je m’en doutais un peu », me répondit-il. « Tu sais, je vais déménager, alors les relations à distance… et puis avec mon nouveau boulot, je vais bosser sûrement plus de soixante heures par semaine, tout ça… ».
Non, non, non et non ! Je n’ai pas ouvert mon petit myocarde exprès pour toi pour que tu me balances ce genre de bullshit !
« Si le problème vient de moi, sois honnête, et dis-le moi » lui rétorquai-je. À ma grande surprise, il me répondit que le problème ne venait pas de moi. Loin de là.
« En fait, je pense entrer en religion. Peut-être d’ici deux ou trois ans. »
Ah, d’accord.
Tomber amoureuse d’un futur prêtre
J’ai accusé le coup. Il m’expliqua alors qu’il y songeait depuis un moment. La vocation religieuse l’attirait de plus en plus.
Apparemment, vivre reclus avec sa foi semblait plus le brancher que tenter quoique ce soit avec moi. Évidemment, celle-là, je ne l’avais pas vue venir.
Je ne sais plus trop comment, je suis parvenue à prendre congé de mon futur religieux. J’étais complètement sonnée, mais je suis partie de ce mariage très dignement, avec un sang-froid qui m’a moi-même étonnée.
Ouais bon c’est vrai qu’intérieurement je ressemblais plutôt à ça.
Comme on peut s’en douter, je me suis renseignée sur la véracité de ses propos dès que j’ai pu. J’appris que Gaston voulait effectivement entrer en religion, et qu’il en parlait de plus en plus.
Je ne sais pas si le gaillard a un jour eu des sentiments pour moi, ou s’il a toujours été indifférent. Je ne le saurai sans doute jamais.
Tout ce que je sais, c’est que contre Dieu, moi je ne fais pas le poids ! Comme dirait tonton Stallone, « C’était pas ma guerre ! ».
Étrangement, lui avouer tout ça a été un véritable soulagement. Je ne sais pas encore si je suis plus affolée à l’idée le revoir un jour ou de ne plus le revoir du tout.
Avoir un coup de foudre pour un type désireux d’entrer en religion, ce n’est pas une expérience que je suis prête d’oublier.
Mais comme disait ce grand penseur de Pierre Perret, « Il y a des coups de foudre qui font des bleus au cœur ».
Qu’importe l’étendue des hématomes sur le mien en ce moment, je sais qu’ils finiront par cicatriser et que je finirai par aller de l’avant.
Je n’aurai jamais Gaston, surtout s’il finit moine dans un monastère paumé au fin fond de Trifoullis-les-Oies (mon dieu, quel gâchis…).
Et puis, on ne peut décemment pas avoir de pensées salaces à l’égard d’un futur novice potentiel, tout de même !
Quoique.
À lire aussi : Celui qui… m’a redonné la foi (en moi et en l’amûûûûr)
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Les Commentaires
Alors la dernière image est tiré du film Le Nom de la Rose, réalisé par Jean Jacques Annaud en 1986, avec Christian Slater tout jeune!
Étrangement, il est vrai que je me suis remise plutot bien de ce gros fail sentimental. Alors bien sûr, je n'ai pas beaucoup désoulée durant la semaine qui a suivi cette confession foireuse, j'ai alterné entre crises de larmes, honte extrême et apathie complète sur mon canap', mais déjà, écrire ce texte a été incroyablement libérateur. Mettre des mots sur cette histoire m'a permis d'aller de l'avant.
En outre, quelques semaines plus tard, j'ai rencontré un garçon. Il est grand, drôle, chaleureux, sexy et nounours à la fois, bref, c'est aussi inattendu qu'agréableuppyeyes:.
Cela fait un mois aujourd'hui que nous sommes ensemble. Je ne sais pas encore où cette histoire va me mener, mais ce qui est sûr, c'est que pour le moment, quitte à le détenir en otage chez moi, il est hors de question que je le laisse sortir de ma vie