Je vis une relation saine. Nous sommes partis sur des bases en béton et construisons notre avenir sur ces fondations bien stables. Je sais qu’on est pas près de se ramasser la gueule. Je me connais autant que lui, je lui ai donné ma confiance, entre deux pincettes.
Aujourd’hui je sais ce que j’attends de l’amour. Mais ça n’a pas toujours été aussi simple.
Il est difficile de trouver la bonne personne du premier coup. J’imagine que quand tu penses à tes premier-e-s ex, tu es plus poussée par une envie de t’étouffer dans un fou rire que de te confondre dans un soupir nostalgique. Moi, quand je pense au tout premier qui a compté, je me dit que j’ai eu sacrément chaud aux fesses !
Au départ, il n’avait rien de particulier. C’était simplement un jeune homme d’à peine dix-sept ans avec un pantalon trop large, une casquette au mois de novembre et une clope coincée entre les lèvres. Pourtant, il régnait une sorte de halo autour de sa démarche lente et de son visage un peu trop anguleux.
Sans me lancer dans les vibes de Beyoncé et ne comptant que sur ma timidité maladive avec les garçons, je lançai une tirade enflammée dans le pavillon auriculaire de ma camarade de classe. C’était le soir, on attendait le bus pour rentrer dans nos villages respectifs, retrouver nos maisons qui sentaient le feu de bois et le vide d’une bourgade où « âme qui vive » signifiait en réalité « mammifère ruminant ». La journée au lycée avait peut-être été rude, il faisait sans doute si froid… Pourtant, je me rappelle avoir fondu, à l’intérieur de mon manteau nul à capuche pointue.
Il n’a pas fallu plus d’une semaine pour que mes amies, parfaitement infiltrées, ne me dégotent son nom et son prénom. Grâce à Facebook et à mon humour sans failles, A. a accepté de me rencontrer.
À 14h30, mercredi, sous l’arrêt de bus.
Quelques jours et SMS plus tard, nous étions ensemble. Je n’y croyais pas, c’était trop beau. Trop beau pour moi. Et pourtant c’était vrai.
Je n’ai jamais fumé et, à ce moment-là, les cigarettes n’étaient pour moi qu’un symbole de mort. Pourtant A. fumait beaucoup et ça ne me dérangeait pas. Je faisais simplement bien attention à mâcher un chewing-gum avant de l’embrasser le matin. Ses vêtements sentaient toujours le tabac froid mais qu’importe, je l’aimais trop pour dire quelque chose. Et puis j’étais plus jeune, j’étais sa copine, j’étais faible, j’avais qu’à fermer ma gueule.
Ses amis avaient l’air très importants pour lui. Je les ai rencontrés avec honneur et dignité et en même temps, j’ai découvert quelqu’un d’autre : A., le vrai. L’authentique A. était bien loin de sa copie formatée pour choyer les filles. A. était un inconscient, un détaché du monde couplé d’un drogué.
J’ai longtemps habité dans une région particulièrement frappée par la toxicomanie. Proche de l’Allemagne, sillonnée de routes de campagne traversant de petits villages mornes, il s’agit d’une plaque tournante en matière de drogue dure. C’était dans l’un de ces villages qu’A. et sa bande passaient des après-midi entières à se défoncer sur fond de hardcore
qui me perçait les tympans.
J’ai rapidement compris qu’A. avait un problème, que toute sa famille avait un problème. Il m’arrivait de le rejoindre à dix heures du matin pour me retrouver face à un zombie aux yeux déjà injectés de sang, le corps vacillant après cinq spliffs.
J’ai fait connaissance avec ses véritables meilleurs potes : le shit et la beuh.
En six mois, j’ai eu droit au meilleur cours de sensibilisation du monde. J’ai appris à me servir d’un bang et à rouler un joint avec la main gauche. Dans le groupe d’A., tout le monde se droguait. Il y avait des filles, ses parents et même un gamin d’à peine douze ans. Mais ils étaient cool, c’était pas grave… Et puis bon, y a pire dans la vie que ce bon vieux cannabis.
Des semaines ont passé, et je commençais à me faire apprécier de ce groupe de personnes cool. J’étais fière. A., lui, était toujours prêt à me faire découvrir de nouvelles choses. Au lit, c’était un mec bien. Il était respectueux et on s’amusait.
Quelques mois plus tard, j’avais vu passer devant moi de la cocaïne, du LSD, du speed, de la kétamine et de la MDMA . J’avais vécu plusieurs moments d’impuissance, à tenter de ramasser A. ayant fait un malaise à deux mètres de son lit. J’avais pleuré plusieurs fois. J’avais refusé d’appeler mes parents par fierté. Je m’étais demandé ce que je foutais, à tenter de le ranimer comme une conne. J’avais été là pour le couvrir de mes lèvres à son réveil.
Je m’étais épuisée à l’aimer, à faire durer cette première véritable relation, comme si elle devait être la dernière de ma vie.
Peu de temps après, je suis partie et je n’ai plus jamais eu de nouvelle d’A., ni d’aucun de ses amis.
Bizarrement, et c’est là une petite fierté personnelle, je n’ai jamais consommé aucun des produits violents auxquels j’ai été confrontée pendant six mois (pourtant, ce n’est pas faute d’y avoir été incitée). J’ai fumé mon premier joint deux ans plus tard, devant la grille du lycée, avec ma meilleure amie hilare. Mes parents étaient au courant pour l’histoire de fumette qui se tramait chez A. et ses potes, mais ils n’ont été au courant que bien plus tard pour les autres drogues.
Ils m’ont accordé leur confiance et m’ont permis de faire et de comprendre mes propres choix. Pour ça, je pense leur être reconnaissante encore longtemps. Je n’ai jamais été aussi responsable de moi-même qu’à ce moment.
Pour celles qui s’intéressent quand même au sort d’A., sachez que quelques temps après notre rupture, j’ai appris que quatre de ses meilleurs amis se sont tués dans un accident de la route. Aujourd’hui, A. est en couple, fier papa de deux enfants.
Parfois, je repense à ce moment où il m’avait promis de toujours me protéger, me serrant dans ses bras trop grands. A. m’a finalement défendu de tout… sauf de lui.
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
Les Commentaires
Du coup, je ne sais pas si le débat est à placer sur la consommation ou sur l'addiction (car plusieurs madz ont témoigné par rapport à une addiction et non une consommation non addictive - même quotidienne), ce qui est un sujet très vaste et très important, mais loin d'être une simple question de mode de vie à mon sens.
(Après, perso, je ne pourrais pas vivre avec quelqu'un qui fume que ce soit du tabac ou autre chose, mais c'est simplement car les odeurs me donnent la migraine, je peux comprendre que pour @dye-anne, par exemple, être non-fumeur soit rédhibitoire, on a tous nos raisons de préférer certains profils à d'autres.)
Sinon, des articles témoignages de personnes addicts et non addicts seraient aussi de bonnes idées pour déstigmatiser les consommateurs de drogues (même si en France, tout le monde oublie que caféine, alcool et tabac en font partie) et les addicts, ça permettrait de déplacer le curseur.