Le 31 juillet à 12h00 — Suite à de nombreux commentaires, Clemmmmm a expliqué son intention dans les topic de réactions de l’article.
Le 30 juillet 2015 — Le 6 juillet dernier, Walter Palmer, dentiste américain et amateur de braconnage, se rend dans le parc national de Hwange, au Zimbabwe. L’homme paye son permis de chasse pour la modique somme de 50 000€, et se met en route accompagné de Theo Bronkhorst, un chasseur professionnel.
Or, ce parc est réputé pour abriter un lion : il s’appelle Cecil, il a 13 ans, 22 lions et lionnes dans son clan, et c’est un peu l’emblème du parc, voire un symbole du fierté au Zimbabwe. Des chercheurs anglais ont même placé un dispositif de localisation sur son corps, pour en apprendre un peu plus sur ses habitudes. Avec sa crinière noire facilement reconnaissable, il est également une attraction touristique qui rapporte des millions de dollars chaque année.
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La suite, on la voit venir à des kilomètres : Palmer a tué Cecil. Plus précisément, son guide a appâté du fauve (hors du parc, où la chasse est autorisée mais encadrée), et il se trouve que c’est Cecil le lion qui a été attiré par la carcasse. Palmer l’a blessé avec une flèche, puis l’a abattu avec une arme à feu. Il l’a ensuite dépecé, et est rentré chez lui dans le Minnesota, fier comme Artaban (j’imagine), la tête du lion dans ses bagages.
Pourquoi on en parle ? L’histoire avait fait du remous au Zimbabwe début juillet, lorsque la carcasse du lion avait été retrouvée. Mais le 28 juillet, les autorités du détachement spécial pour la conservation du Zimbabwe ont rendu public le nom du chasseur. Très vite, les réactions ont suivi : de l’outrage, de la colère, des menaces envers Palmer… si bien que ce dernier a préféré se cacher. Personne, actuellement, ne sait où il est.
Pourquoi des réactions si vives ? Est-ce parce que Palmer est riche ? Un mec qui peut se payer un permis de chasse à 50 000€, ça ne plaît à personne. Palmer est également dentiste, et c’est bien connu : personne n’aime d’amour son dentiste. Ou alors, c’est parce qu’il est américain ! C’est si facile de détester les américains… Alors imaginez un peu, un dentiste riche et américain ! Il n’a rien pour plaire.
Du pareil au même.
D’un côté, on a donc Palmer, le gros méchant de dessin animé. De l’autre : Cecil le Lion. Qui, justement, ressemble beaucoup trop à un héros de dessin animé que l’on connaît bien… Dans un excellent post publié ce matin-même sur Facebook, Klaire Fait Grr explique :
« Depuis la mort de Mufasa, un lion qui meurt, c’est un Simba qui pleure, et ça, ça ne passe pas. […] Je crois […] que l’histoire du lion a surtout remué la fibre enfant en nous. »
– Lire la suite du post de Klaire
Le lion, c’est le roi de la jungle, le mec cool de la savane. Il est grand, il est beau, il est exotique, on veut sa tête sur nos t-shirts.
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Mais ça n’est pas tout. D’après le chercheur canadien Ernest Small, les humains apprécient naturellement les lions : c’est scientifiquement prouvé, on préfère les lions aux crapauds ! Pourquoi ? Parce que le batracien n’est pas exactement joli. Les princesses rechignent à leur faire des bisous parce que leurs yeux sont sur les côtés, contrairement aux humains. Il sont petits, et leur bruit est désagréable.
Les lions ont tout pour nous plaire
Pour Small, les humains sont donc plus ou moins « conditionnés » à aimer les lions : parce qu’ils ont du charisme, qu’ils sont photogéniques, et qu’eux, au moins, ont les yeux sur le devant du visage. En plus, comme les humains, les lions établissent un lien très fort avec leurs lionceaux. Bref… les lions ont tout pour nous plaire.
C’était sans compter que ce lion en particulier porte un nom humain – ça n’est pas « un lion s’est fait braconner », c’est « Cecil le Lion s’est fait braconner ». Grosse différence. Enorme ! Cecil était à deux doigts (ou plutôt quatre pattes) d’être un humain. Et humaniser une victime, c’est encore le meilleur moyen de rendre le crime encore plus odieux qu’il ne l’est déjà.
Des réactions… démesurées ?
Les protagonistes de notre histoires sont des archétypes : comme le dit si bien Klaire, c’est Cruella d’Enfer contre un gentil dalmatien. Cela explique en partie la violence des réactions face à cette histoire.
Le Monde, par exemple, parle d’un « lynchage en ligne »… et ça n’est pas exagéré : en deux jours, Walter Palmer a déjà récolté des centaines et des centaines de menaces de mort – l’association de défense des animaux PETA y a notamment mis du sien, en affirmant sur Twitter que le chasseur méritait d’être pendu. Comme on peut le voir sur le site de la CNN, quelqu’un a aussi eu l’idée de placer une pancarte jaune fluo sur la porte du cabinet de dentiste de Palmer, l’incitant à « brûler en enfer ».
Il faut que tu te calmes.
Certains médias ont également joué au jeu des internautes. Cet article du Telegraph (journal anglais), commence ainsi : « Cecil le lion le savait sûrement d’instinct : un jour, il connaîtrait une mort sanglante. » Est-ce que c’est le bon moment pour rappeler au journaliste qui a écrit cet article que Cecil était un lion et pas un héros de film Marvel ?
De la même manière, Jimmy Kimmel, quant à lui, a consacré quelques minutes de son talk-show de mercredi à Cecil : tout en précisant que cette « chasse à la sorcière » contre Palmer était démesurée, il parle – les larmes aux yeux – de « tragédie écœurante » et traite ce même Palmer de « trouduc’ ». Ah, et la description de la vidéo, sur YouTube, est agrémentée d’un sobre « Repose En Paix, Cecil le Lion. »
https://www.youtube.com/watch?v=_LzXpE1mjqA
Je ne veux empêcher personne de s’émouvoir face à cette histoire – après tout, personne ne peut contrôler ses émotions sur le coup, et, comme je le disais, on est dans une situation ou c’est bien trop facile de se sentir attristé par le destin de ce lion. Le problème, c’est cet affichage ultra violent de messages gouvernés par de l’émotion vive, plutôt que de la réflexivité.
Je reprends le post de Klaire, qui s’exprime décidément de manière parfaitement éloquente :
« Que cette anecdote choque me paraît tout à fait sain et légitime, mais il me semble que ça reste une histoire relativement anecdotique. »
Moi, ça me fait penser à ce qu’on appelle le « Twitter activism », ou l’activisme par hashtag. D’accord : donner de la visibilité à un événement, c’est un bon début. Mais si le débat n’évolue pas, il est stérile : on s’affole sur un sujet pendant 24 heures, et ça en reste là. Un lion mignon, ça fait un parfait hashtag, selon moi.
Alors… de quoi on parle ?
Du braconnage ? C’est loin d’être la première fois qu’un chasseur tue un animal pour le plaisir. Je suis personnellement contre la chasse, mais c’est peut-être mon végétarisme qui parle ici.
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Tout n’est pas tout noir ou tout blanc dans cette activité – en 2009, le WWF avait écrit une lettre au U.S. Fish and Wildlife Service (l’organisme du gouvernement qui s’occupe de la préservation de la faune américaine), dont un extrait est publié sur le site de National Geographic :
« WWF pense que la chasse sportive des rhinocéros noirs de Namibie contribue fortement à améliorer les chances de survie de cette espèce. »
En effet, se débarrasser des rhinocéros les plus vieux (c’est-à-dire ceux qui ne peuvent plus se reproduire) permettrait aux plus jeunes d’avoir plus de ressources pour vivre.
Walter Palmer posant avec une de ses prises
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Dans le cas de Walter Palmer, il faut savoir que selon les autorités du parc national de Hwange, sa chasse était illégale : il n’avait pas le droit de braconner sur ces terres.
C’est aussi l’occasion de parler des espèces en voie de disparition. Saviez-vous qu’hier seulement, alors même que l’histoire de Cecil était partagée sur tous les réseaux sociaux, un des derniers rhinocéros blanc au monde mourrait ?
Tenez-vous bien : aujourd’hui, il ne reste plus que quatre rhinocéros blancs. Sur. Terre. Je ne suis pas en train de dire que, « vu que les lions ont un avantage numérique sur les rhinos, on ne devrait que faire attention à ces derniers. » Mais je trouve que pleurer la mort de Cecil le Lion sans avoir d’informations, de chiffres, sur les animaux en danger d’extinction… ça frôle l’hypocrisie, non ? Beaucoup de ces animaux sont en danger à cause de nous : de notre pollution, de nos déforestations.
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Le Zimbabwe, au passage, est un pays dirigé par Robert Mugabe. Si vous ne le connaissez pas, il a 91 ans et est à la tête d’une dictature depuis 1987. D’après le site de l’Unicef, 14,7% de la population de ce pays vivait avec le SIDA en 2012. Ce même site indique que 40% des Zimbabwéennes mariées affirment subir des violences physiques de la part de leur mari. Qui sommes-nous pour nous désoler de la mort d’un lion comme si tout cela n’était qu’un dessin animé avec des méchants et des gentils ?
« Hiérarchie de la hate », ironie sur fond de vérité, juillet 2015
Le Zimbabwe, l’Afrique, ne sont pas notre jardin ! Si on pouvait tous commencer par savoir précisément où se trouve le Zimbabwe sur une carte de l’Afrique avant de pleurer la mort d’un de ses animaux, je pense que ça serait un bon début. Et je vous jure que je n’essaie pas d’être condescendante en disant cela ! Je viens de vérifier sur une carte, j’étais plus du côté du Malawi…
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Les Commentaires
Chaque année, les lions perdent 2% de leur population à cause de ces chasses pour "le sport", je suppose qu'il faudra attendre que les lions soient en voie d'extinction pour l'interdire