La Ciivise, Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants, pendant tout récent de la Commission Sauvé sur les violences sexuelles dans l’Église, vient de présenter un premier rapport qui pointe des manquements et réclame notamment la prise en compte de la parole des mères.
Ce document d’une dizaine de pages décrit le rôle des mères dans les alertes lancées en cas d’inceste, ainsi que la capacité – bien souvent défaillante – de l’autorité judiciaire (juges, psychologues, policiers…) et de la société dans son ensemble à les prendre en charge.
La commission a reçu depuis mars 2021 des centaines de témoignages de mères dont les enfants ont révélé des violences sexuelles commises par le père. Le rapport met en lumière avec force détails des cas choquants de non protection d’enfants dans des situations de viol avéré, dénoncées par la mère ainsi que des professionnels de l’enfance.
Des témoignages sur l’inceste effarants
Christine* est victime de violences conjugales de la part de son mari. Elle fuit avec sa petite fille, Katy*. Le père obtient un droit de visite et la garde pendant moitié des vacances scolaires.
Quelques années plus tard, la petite fille qui a quatre ans parle à sa mère et à l’infirmière scolaire de violences sexuelles commises par son père sur sa personne, dans des termes qui ne laissent aucune place au doute.
Christine dépose alors une plainte pour viol. Durant la procédure, le père exerce un droit de visite médiatisée de deux heures tous les mois. La plainte est classée sans suite, au motif que l’infraction est insuffisamment caractérisée.
Un an après les premières révélations, Katy refait les mêmes révélations à son institutrice. Le juge pour enfants confie la fillette à l’aide sociale à l’enfance, évoquant un « conflit parental massif ». L’équipe éducative du foyer reproche à Christine d’avoir « élevé sa fille contre son père » et de « marquer sa fille de son empreinte, en lui faisant des tatouages éphémères ou en lui vernissant les ongles ».
Son père a obtenu trois heures de visites partiellement médiatisées tous les quinze jours, alors que Christine ne peut voir sa fille que 45 minutes tous les quinze jours en visites médiatisées.
Les mères qui dénoncent un inceste perpétré par le père parfois accusées de manipulation
Beaucoup de témoignages présentent des situations où, en dépit de révélations de l’enfant, le père n’est pas mis en cause mais la mère, accusée de manipuler l’enfant, l’est.
La question du respect de la loi pour ces mères se pose. Ces dernières craignent de confier les enfants à leur père — mais en ne les présentant pas, elles risquent une peine d’emprisonnement, une amende et la perte de la garde.
C’est l’article 227-5 du Code pénal qui définit le délit de non-représentation d’enfant : « le fait de refuser indûment de représenter un enfant mineur à la personne qui a le droit de le réclamer est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ».
Que faire alors face à ce terrible dilemme ?
Le rapport présente également une étude réalisée outre-Atlantique par la professeure de droit américaine Joan Meier à partir de 4338 jugements concernant la résidence d’enfants de parents séparés :
« Lorsque des accusations de violences sexuelles sur les enfants sont portées par les mères, elles ne sont reconnues par le juge que dans 15% des cas, et presque jamais quand le père accuse la mère de manipulation (2%) (MEIER, 2019) »
Les fausses accusations sont pourtant marginales dans le contexte de séparation, comme dans les cas d’accusations de viol de façon plus générale. Une étude de 2005 met en avant le pourcentage extrêmement faible de fausses allégations de la mère concernant des maltraitances sur les enfants :
« le parent ayant la garde de l’enfant (la mère le plus souvent) n’est l’auteur que de 7% des dénonciations d’une part et ne commet une dénonciation intentionnellement fausse que dans 2% des cas d’autre part. »
Le « syndrome d’aliénation parentale » : quand on pervertit la science
Le SAP (syndrome d’aliénation parentale) est un concept sans base scientifique et non reconnu, créé par le docteur Richard Gardner à la fin des années 1980. Selon le rapport :
« Il accrédite l’idée que dans la plupart des cas de séparations conjugales conflictuelles, le parent avec qui vit l’enfant, c’est-à-dire la mère le plus souvent, “lave le cerveau” de l’enfant pour que celui-ci refuse de voir son autre parent, le père le plus souvent. »
Après une séparation, si l’enfant refuse de voir son père, ce ne serait pas parce qu’il le craint, même s’il le dit clairement, mais parce que sa mère le manipule.
Ce pseudo syndrome fait les titres des magazines de parentalité ou même généralistes — comme ici dans Le Figaro — sans aucune remise en question et est agité par certains professionnels qui mettent en doute la parole de la mère et l’accusent de manipulation.
Comme nous l’indique Mediapart, « le SAP a su s’imposer dans le débat public au détour de l’affaire Outreau, au point d’être enseigné à l’École nationale de la magistrature ». Mais cette théorie est de plus en plus dénoncée :
« Dans une résolution du 6 octobre 2021, le Parlement européen vient de faire part de sa préoccupation sur le recours fréquent au concept d’aliénation parentale. Il conduit les professionnels à ne pas prendre en compte le témoignage des enfants et les risques de violences auxquels ils sont exposés. »
L’association Parents et féministes dénonce depuis un certain temps le recours au SAP par les professionnels, qui décrédibilise la parole des femmes et des enfants victimes. Elle avait lancé la campagne #StopauSAP en septembre.
Trois modifications à la loi sur l’inceste
La commission formule trois recommandations, qui modifieraient la loi pour mieux protéger les enfants.
La première vise à assurer la sécurité de l’enfant dès les premières révélations :
« Prévoir la suspension de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement du parent poursuivi pour viol ou agression sexuelle incestueuse contre son enfant. »
La deuxième permettrait d’assurer la sécurité du parent lanceur d’alerte :
« Suspendre les poursuites pénales pour non-représentation d’enfants contre un parent lorsqu’une enquête est en cours contre l’autre parent pour violences sexuelles incestueuses. »
Les pères peuvent en effet agiter cette menace.
La troisième recommandation concerne l’automatisation du retrait de l’autorité parentale :
« Prévoir, dans la loi, le retrait systématique de l’autorité parentale en cas de condamnation d’un parent pour violences sexuelles incestueuses contre son enfant. »
Pour le Ciivise, beaucoup de victimes n’osent pas parler. Cette accusation fréquente de mensonges et de manipulation de la part des mères lorsqu’elles rencontrent des professionnels pour dénoncer ces faits est très dommageable à la prise en charge des enfants et au jugement des pères coupables de violences.
Concernant l’accueil et la prise en compte de la parole de victimes dans un cadre judiciaire, le mouvement #DoublePeine dénonce la mauvaise prise en charge des personnes venant déposer plainte pour violences sexuelles dans les commissariats, avec des questions intrusives, des remarques déplacées et même des refus des officiers de police.
La parole se libère sur le sujet de l’inceste et des violences sexuelles de façon plus générale mais niveau accueil et sa prise en charge, il reste du boulot. Et il y a urgence.
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*Les prénoms ont été modifiés.
Crédit photo : Keira Burton / Pexels
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Les Commentaires
- la parole de la mère
- la parole de l'enfant que la justice a des difficultés à prendre en compte, à écarter du conflit familial. 'l'affaire Outreau n'a rien amélioré et tout empiré)
- la vision de la famille: le droit d'un enfant c'est d'être en contact avec ses deux parents, pas l'inverse.
Cela dit, ce n'est pas connu mais ce sont des problèmes qui sont souvent évoqués. Il y avait un exil massif de mère de famille en Suisse et c'était à peine médiatisé:
https://www.lexpress.fr/informations/exil-suisse-pour-meres-en-fuite_649030.html
Et c'est toujours un phénomène compliqué à quantifier finalement.