Peut-être que si on ne nous rabâchait pas depuis des siècles que « avoir des enfants, c’est que du bonheur » et autres phrases toutes faites vachement simplistes et naïves, je n’en serais pas là.
Peut-être que si les parents que j’ai pu côtoyer dans ma vie m’avaient dit la vérité et qu’ils n’avaient pas voulu me faire croire au mythe de la mère parfaite, parfois malgré eux, je culpabiliserais moins quand je ne suis pas foutue de doser un biberon d’une main tout en faisant tourner une machine de l’autre.
Le mythe de la mère parfaite qui fait très mal
Depuis que je suis mère (de deux enfants), je réalise qu’il y a vraiment des choses pour lesquelles je n’étais pas préparée. J’ai beau avoir bossé mon sujet pendant ma grossesse en mangeant de tas de bouquins, j’ai beau avoir demandé des conseils (et en avoir reçu sans rien demander aussi au passage), je ne savais pas ce qui m’attendait avant d’avoir un premier rôti de 3,7kg dans les bras.
Est-ce que je peux le reprocher à qui que ce soit ? Oui et non. Si je peux en vouloir à celles et ceux qui continuent de propager ce mythe ridicule de la mère exemplaire, je peux aussi pas mal accuser cette espèce d’amnésie involontaire, qui pousse toutes celles qui ont déjà enfanté à oublier les pires moments de leur maternité, ou à sélectionner des passages choisis. Est-ce que c’est un moyen de perpétuer l’espèce ? Peut-être, mais bon, ce n’est pas comme si on n’était pas assez nombreux sur Terre, pas besoin à tout prix d’avoir une médaille de la reproduction non plus.
Alors oui, je savais que j’allais moins dormir, je savais que je n’aurais plus de grasse mat’, je savais que ça coûtait des thunes, etc.
Mais il y a vraiment des choses que j’aurais aimé savoir avant de devenir la responsable À VIE d’enfants. Des choses concrètes, mais pas seulement, et peut-être que le savoir m’aurait aidé à me dire que ok, ce que je ressens est normal, c’est simplement que ce sont des choses qui ne se disent visiblement pas.
C’est dur d’aimer à ce point-là
Peu importe que l’amour pour son bébé arrive dès qu’il est dans le ventre, dès qu’il sort, une semaine après, 3 mois, 6 mois ou même parfois des années plus tard, il est là. Cet amour est épuisant tant il est exigeant, éreintant et sans possibilité de prendre de pause.
Il consume, il peut rendre fou, il peut faire mal, mais il peut aussi apporter un bonheur absolument indescriptible et indécent, qui va de la fierté de voir son bébé manger une purée de carotte à la peur que quelque chose arrive au fruit de ses entrailles, et que le robinet du love s’arrête brusquement.
Aimer son enfant, ce n’est pas juste aimer la compagnie d’un autre être humain. C’est viscéral, intrinsèque et brutal. C’est aussi pur que l’amour qu’il vous porte en retour, et c’est inconditionnel.
Même quand mes enfants me soulent, me gavent, même quand ils sont chiants, pénibles, râleurs, même quand j’ai envie d’être partout sauf en leur compagnie, même quand je me dis, parfois sous le coup de la colère, que je les déteste, je les aime tellement que ç’en est presque douloureux.
C’est dur de s’inquiéter autant, tout le temps
Avec l’amour, vient la peur. La peur de les perdre, la peur qu’on les kidnappe, la peur qu’ils soient malades, la peur qu’ils meurent. Je pense qu’on ne sait pas, avant d’avoir des mômes, à quel point on peut avoir peur de la mort de quelqu’un d’autre que soi. Mais peut-être que je me trompe, peut-être que celles et ceux qui n’ont pas d’enfants savent de quel sentiment je parle.
Ce n’est pas une peur qui se raisonne et se contrôle, c’est une peur si envahissante qu’elle peut parfois donner des comportements absolument irraisonnables.
Cette hypervigilance constante est épuisante, et elle ne semble jamais prendre fin. Par exemple, quand ma fille est malade, vraiment fortement malade, c’est comme si j’étais malade avec elle. Je suis incapable de manger, de dormir, de réfléchir. Je pense constamment à son état, je la surveille comme le lait sur le feu, j’interprète chacune de ses réactions, célèbre la moindre évolution positive de sa maladie comme si elle venait de gagner un Pulitzer.
C’est éreintant. Je pourrais payer cher, très cher, pour être malade à sa place, pour qu’elle n’ait pas à passer cette épreuve, et qu’elle ne connaisse aucune souffrance. Même si je sais qu’elle doit malheureusement passer par là comme tout le monde, je me prends parfois à supplier pour qu’on l’épargne, qu’on me la laisse en bonne santé, et qu’on s’attaque à quelqu’un d’autre qu’elle, ou surtout, qu’on s’attaque à moi à la place.
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C’est dur de ne plus être le premier choix de sa propre vie
Dans sa vie, on peut rencontrer des gens, les fréquenter, les aimer, et se dire « qu’on pourrait tout donner pour eux ». C’est vrai, ça peut arriver. Ou pas hein, chacun fait bien ce qu’il veut de ses relations aux autres.
Le problème, quand on a des mômes, c’est que c’est vrai, puissance 1 000. Même si on lutte contre les injonctions maternelles, même si on veut bannir à tout jamais le mythe pesant et faux de la mère sacrificielle, on sait que s’il arrive quelque chose de grave et qu’un choix doit être fait pour que soit mes enfants ou moi survivions, je me mettrais toujours devant eux pour qu’ils soient épargnés.
J’ai beau être féministe, engagée, j’ai beau tenter de faire déculpabiliser, comme je le peux, les mères que je connais ou pour qui j’écris, je sais que ma vie est un second choix. Si un jour il y a une guerre et que la bouffe vient à manquer, ce sont eux qui mangeront en premier, c’est une évidence.
Et c’est dur. C’est dur parce que j’ai l’impression de ne plus exister entièrement depuis que je suis mère, et que je me suis divisée dans deux autres personnes : mes enfants. Moi, toute seule, ça n’existe plus vraiment. Moi, sans être maman, ça n’arrivera plus.
Alors oui, je peux avoir « des moments » sans enfants dans le quotidien, des vacances, des week-ends, des jours, des heures, ou je suis la seule à compter, où j’existe que pour moi. Mais ces moments ne sont que des courtes pauses.
Parfois, je peux regretter avoir des enfants. Quand je suis fatiguée, quand ils me sautent dessus à peine la porte de la maison ouverte et qu’ils m’accablent sans même me laisser le temps de reprendre mon souffle, j’en ai marre. Quand ils hurlent, quand ils exigent, quand ils oublient que je suis humaine moi aussi, j’ai envie de tout plaquer.
Pourtant, je les aime si fort que ça en est parfois douloureux. Est-ce que c’est ça, l’ambivalence de la maternité ? Est-ce qu’on n’aurait pas pu me mettre au courant avant que je me plonge dedans ?
Bien sûr, tout le monde n’est pas obligé de ressentir tout ça. Cette réflexion est personnelle, mais elle peut parler à d’autres. Moi, j’aurais bien aimé qu’on me dise tout ça, avant d’avoir des enfants. Pas sûre que ça aurait changé quelque chose, mais au moins je n’aurais pas pu dire que je n’étais pas au courant.
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