Dans le milieu du rugby, certains ont critiqué la prise totale de congé paternité du joueur Timoci Nagusa, ce qui paraît pourtant plus que normal. On fait le point sur ce qu’il s’est passé et plus généralement sur ce que cela signifie.
Timoci Nagusa prend son congé paternité, scandale !
Le 11 octobre, le rugbyman professionnel Timoci Nagusa, qui joue en D2 à Grenoble, annonce son départ du club pour prendre son congé paternité en entier, à savoir les 28 jours – et non plus 14 jours, selon mesure entrée en vigueur depuis le premier juillet dernier. Il déclare sur Twitter :
« J’ai pris cette décision sans hésitation, sachant que le boulot, le rugby, les fans, disparaîtront, mais seule la famille restera pour toujours. »
Cette annonce, qui a beaucoup fait jaser, peut sembler tout à fait normale. Ce congé est en effet prévu par la loi et l’on ne s’interroge pas souvent lorsqu’il s’agit d’une femme – même sportive de haut niveau – de la pertinence ou non de la prise totale de son congé maternité.
On pourrait donc penser que ce congé n’a rien d’exceptionnel et qu’il n’est pas nécessaire d’en parler mais voilà : dans le milieu du rugby, cette annonce a été vivement critiquée, signe donc que ce qu’a fait Timoci Nagusa sort du commun.
« Cela me dépasse un petit peu. Je trouve qu’il prend en otage son staff, il prend en otage son club », a déclaré notamment Christophe Urios, le manager de Bordeaux-Bègles. Quant à l’ancien sélectionneur du XV de France Philippe Saint-André, ses propos expriment de l’incompréhension :
« Un mois d’arrêt dans le sport professionnel et encore plus dans le rugby qui est un sport très exigeant, cela me paraît très compliqué. »
Face à la polémique, le joueur pro a précisé sa volonté sur le site Parents.fr :
« J’ai choisi de prendre ce congé auquel j’ai droit, grâce à l’État français, pour aider ma femme. J’ai une première petite fille de 13 mois, et c’est très dur pour ma femme, notamment avec le post-partum, et pour moi c’était très important que je sois présent auprès de ma famille.
Au bout du compte après les matchs, le sport, à la fin de la journée, il ne vous reste que votre famille. »
Avant d’ajouter :
« […] J’étais désireux de passer les premiers jours de naissance auprès de ma famille, pour connaître ma petite fille, mais surtout pour aider ma femme. »
Ce genre de déclarations a un effet bénéfique : elle agit comme un exemple. Quel que soit son métier, on peut et même on devrait prendre ce congé. Passons sur le choix maladroit du mot « aider » — les pères restent souvent les assistants des mères alors qu’ils devraient prendre leur part égale dans le soin du bébé : cette déclaration, remplie de bienveillance, permet en tout cas de parler du congé paternité. Et c’est une initiative à saluer.
Le sport de haut niveau : un monde à part
Pour replacer cette polémique dans son contexte, il faut rappeler que prendre son congé paternité, s’occuper ensuite de son enfant à part égale avec la mère ne sont pas la norme dans le milieu du sport de haut niveau.
Les couples s’organisent évidemment en fonction des exigences de leur métier : nombreux sont les duos de sportifs de haut niveau, dont les agendas sont donc compliqués à mettre en place.
Pour Marie Bongars, militante féministe et créatrice de contenus, le fait que Timoci Nagusa ait fait valoir son congé est une très bonne chose mais il ne faudrait pas que ce genre d’informations invisibilise « celles qui galèrent physiquement, psychologiquement, financièrement dans leurs carrières sportives quand elles ont un enfant ».
Les exceptions concernant les congés paternité dans ce milieu sont de plus en plus nombreuses et médiatisées. Et cela peut avoir un effet positif ! Julian Alaphilippe, coureur cycliste français, n’est pas allé aux JO de Tokyo, souhaitant être présent pour la naissance de son enfant. Le biathlète norvégien Johannes Boe avait décidé en 2020, lui, de passer le mois de janvier avec sa femme et son fils sur le point de naître, mettant de côté son ambition de décrocher le gros globe de vainqueur de la Coupe du monde.
C’est toute l’imagerie qu’il faut changer, comme l’expliquait au Monde Christine Castelain-Meunier, sociologue au CNRS et autrice de L’instinct paternel, plaidoyer en faveur des nouveaux pères
« Le sport, c’est le bastion de la virilité, de l’idéal guerrier, donc les résistances sont parfois plus fortes qu’ailleurs. »
Le congé paternité en France
Le congé paternité est passé le 1er juillet dernier de 14 jours à 28 jours, dont 7 sont obligatoires. Cela est certes une avancée mais nombreuses sont les personnes à s’accorder sur le fait que ce n’est pas suffisant. Lorsque l’on compare à d’autres pays, cette mesure peut paraître un brin dérisoire — par exemple, le congé paternité en Espagne est de 16 semaines !
En dehors des milieux sportifs, ce sont aussi beaucoup de personnes précaires qui ne prennent pas de congés, subissant parfois des pressions insidieuses pour ne s’absenter que le minimum de temps.
Les militantes féministes réclament un congé obligatoire pour le co-parent et de même durée que le congé maternité. C’est le cas d’Illana Weizman, sociologue, qui déclare sur Instagram :
« Pour une parentalité égalitaire face aux tâches domestiques et de maternage et pour un partage du risque économique et professionnel, nous avons besoin d’un congé co-parent égal à celui de la mère, correctement rémunéré et OBLIGATOIRE. »
Selon Violaine Dutrop, autrice de Maternité, paternité, parité, le côté obligatoire « faciliterait l’accès à ce congé à tous les hommes qui en auraient envie, sans qu’ils aient besoin de le quémander ou qu’ils en subissent les conséquences professionnellement. » Cette polémique autour de Timoci Nagusa n’aurait sans doute alors pas eu lieu.
Gouvernement, si tu nous entends…
À lire aussi : Le congé paternité passe à 28 jours ce 1er juillet, ce qui est bien, mais pas top
Image en une : Timoci Nagusa (Wikipédia Commons)
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