Je ne sais pas vous, mais moi, ça me fait un bien fou de voir ces trois couvertures tomber coup sur coup. Elles me sautent aux yeux car il est si rare de voir des hommes noirs en une de magazines prestigieux, d’une part, et a fortiori s’ils sont habillés de façon non conforme aux normes de genre, d’autres part.
A$AP Rocky s’affirme en rappeur romantique amoureux de Rihanna
Rakim Mayers, alias A$AP Rocky, s’affirme comme un homme cisgenre hétéro, aux dernières nouvelles. Si voir un rappeur américain le torse dénudé n’a rien d’étonnant, qu’il le fasse en kilt en couverture de la bible américaine du style masculin qu’est GQ détone ! D’autant que dans le reste du shooting, l’artiste enchaîne les hauts en dentelle et colliers de perles, tout en clamant son amour pour Rihanna dans l’interview en parallèle :
« “C’est l’amour de ma vie. Ma lady. […] Je pense que quand tu sais, tu sais. C’est l’Unique. […] Je pense que c’est important d’avoir quelqu’un avec qui tu peux échanger tes fluides créatifs et des idées.” Rihanna, assure-t-il, a “absolument” influencé sa nouvelle musique. “C’est un tout autre point de vue.”»
Loin du stéréotype du rappeur, Rocky le romantique raconte avec sa sensibilité tout l’amour qu’il porte à la superstar qui se trouve être sa petite amie. Et c’est aussi rafraîchissant qu’attendrissant.
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Billy Porter brise le silence autour de sa séropositivité au VIH
Autre couverture, autre révélation, c’est Billy Porter qui fait la une de The Hollywood Reporter. L’acteur de 51 ans, propulsé sur le devant de la scène médiatique par la série Pose et ses apparitions flamboyantes sur les tapis rouges, révèle dans cette nouvelle interview qu’il sait être séropositif au VIH depuis 2007 :
« J’étais la génération qui était censée mieux savoir, et c’est quand même arrivé. […] La honte de cette époque, aggravée par la honte qui s’était déjà [accumulée] dans ma vie, m’a fait taire, et j’ai vécu avec cette honte en silence pendant 14 ans. Être séropositif, dans l’Église pentecôtiste d’où je viens avec une famille très religieuse, c’est une punition divine.
[…] Puis est arrivé “Pose”. Une opportunité de travailler sur cette honte [du VIH. C’était l’occasion] de dire tout ce que j’avais à dire à travers mon personnage.
[…] En tant que personne noire, en particulier un homme noir sur cette planète, vous devez être parfait ou vous serez tué. Mais regarde-moi. Oui, je suis la statistique, mais je l’ai transcendée. Voici à quoi ressemble la séropositivité maintenant. Je vais mourir d’autre chose avant de mourir de ça. »
À travers cette interview où il tacle la sérophobie qu’il a pu lui-même intérioriser, Billy Porter montre également une part de vulnérabilité alors que l’histoire a tant déshumanisé les hommes noirs, nous résumant à des bêtes insensibles et/ou agressives.
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Jeremy Pope puise sa puissance dans sa sensibilité
C’est aussi la direction de la sensibilité assumée que prend l’acteur Jeremy Pope qui y puise même sa puissance, comme il le raconte dans le magazine queer américain Out dont il fait la couverture de juin, mois des fiertés :
« J’ai l’impression que nous, les hommes noirs, utilisons souvent notre masculinité comme une armure. Nous sommes censés être forts et résistants, parce que nous avons dû endurer tellement de choses. Donc quand vous dites à quelqu’un que vous êtes gay, ou que vous êtes queer, que vous faites partie de cette communauté, c’est comme si vous perdiez votre badge. Est-ce qu’on perd en respect ? Est-ce qu’on perd en sécurité parce que les personnes nous perçoivent comme plus vulnérables ou fragiles ? »
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Acteur dans la série Pose diffusée sur FX, mais aussi Hollywood sur Netflix, Jeremy Pope a également cartonné sur les planches de Broadway dans le musical Choir Boy (écrit par Tarell Alvin McCraney, Oscar du meilleur scénario pour Moonlight, également Oscar du meilleur film en 2017 qui avait failli être éclipsé par La La Land.). C’est cet enchaînement de succès à mesure qu’il affirme sa sensibilité qui l’amène à conclure en beauté :
« Plus je me sens aligné avec moi-même, plus le monde me fait rencontrer des personnes qui me valorisent et me respectent et veulent nous voir gagner. »
Puisqu’on en est encore à prouver notre humanité en tant qu’homme noir…
Si, à titre personnel, je me reconnais un peu, beaucoup, passionnément, dans chacune de ces couvertures et les interviews qui les accompagnent, je trouve surtout qu’elles permettent d’humaniser cette catégorie de personnes tant stigmatisées, mais aussi instrumentalisées, et à laquelle j’appartiens, que je le veuille ou non (c’est le propre de l’assignation à une race sociale).
Car du meurtre raciste d’Emmett Till, 14 ans, en 1955 dans l’Illinois à la mort d’Adama Traoré, le jour de son 24e anniversaire à Persan dans le Val d’Oise, en passant par George Floyd, c’est un même continuum de violences structurelles que dénonce Black Lives Matter depuis des années. Et on a vite fait d’oublier les humains derrière les gros titres, les chiffres, les carrés noirs et les hashtags vains sur Instagram.
Au-delà des morts et des visages tuméfiés, ces cover-stories pleines de dignité et de sensibilité contribuent donc à nous montrer dans la complexité qui fonde notre humanité. Vivement qu’on n’ait plus besoin de la prouver…
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