« L’amour en héritage », tel est le slogan de la collection « Pride » d’adidas pour le mois des fiertés qu’est juin. Révélée le 15 mai 2023, la collection a suscité beaucoup d’intérêt sur les réseaux sociaux à cause d’une pièce en particulier. Il s’agit d’un maillot de bain une pièce, présenté au rayon femme. Sauf que la personne qui le porte s’avère avoir quelques poils au torse et une entrejambe non-plate. Il pourrait s’agir d’une femme transgenre ou d’une personne non-binaire, mais beaucoup d’internautes ont décrété qu’il s’agissait d’un homme, et qu’adidas voudrait effacer les femmes selon « un agenda woke » imaginaire dont les personnes trans seraient le fer de lance.
Des TERF s’en prennent à un maillot de bain adidas unisexe spécial Pride
Sur Twitter, plusieurs personnalités notoirement transphobes ont ainsi dénoncé ce choix de mannequins d’adidas, comme Riley Gaines ou Oli London :
« Les nouveaux maillots de bain femme d’adidas sont présentés par des… hommes »
— Oli London
« Je ne comprends pas pourquoi les entreprises font volontairement cela. Ils auraient pu au moins dire que ce maillot est « unisexe », mais ils ne l’ont pas fait parce qu’il s’agit d’effacer les femmes. Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi nous voyons à peine cela aller dans l’autre sens ? »
— Riley Gaines
On pourrait rétorquer face à tant de binarisme que beaucoup de femmes ont déjà l’habitude d’acheter des choses au rayon homme, car elles savent qu’elles peuvent y trouver notamment des vêtements plus résistants, avec des poches, et moins chers (cf. la taxe rose). Et que l’histoire même du vestiaire masculin le lie aux habits du pouvoir, contrairement au vestiaire féminin, souvent perçue comme plus futile.
Donc les femmes ont aussi socialement à y gagner, en plus d’économiser. C’est notamment pourquoi ce groupe social a moins besoin de voir des femmes porter des vêtements « pensés pour les hommes » pour avoir envie de les adopter. Le succès de nombreuses marques de mode initialement destinées aux hommes, qui ont pourtant rapidement fidélisé un public de femmes sans même le vouloir, comme l’illustre Dior Homme période Hedi Slimane, Ami Paris d’Alexandre Mattiussi, ou encore Officine Générale de Pierre Mahéo.
Si « nous voyons donc à peine cela dans l’autre sens », pour reprendre l’interrogation de la TERF (Trans-Exclusionary Radical Feminist) notoire Riley Gaines, c’est parce que les hommes n’ont que peu d’intérêts (hormis esthétiques, et on sait combien nos sociétés valorisent peu l’esthétique) à puiser dans le vestiaire féminin. Car cela leur ferait perdre en privilèges, socialement : ils risquent beaucoup plus facilement d’être perçus comme plus futiles, voire subir de l’homophobie ou de la transphobie.
En réalité, ce maillot de bain est proposé aux rayons hommes, femmes, et Pride
Mais pour en revenir à adidas, vu qu’il s’agit d’une collection Pride, il y a de fortes chances que la personne qui porte le maillot de la discorde soit trans, et que l’équipementier sportif allemand ait simplement voulu à travers ce choix de mannequin se montrer inclusif.
Notons aussi que cette collection Pride dispose d’un rayon à elle, non genré. En plus de cette section dédiée, ce maillot de bain une pièce est aussi bien proposé au rayon homme qu’au rayon femme (et non exclusivement au rayon femme comme le laissent entendre les TERF).
Notons par ailleurs que ce même maillot de bain est proposé au même prix dans une plus large gamme de tailles, jusqu’au 4XL, par une autre personne que les internautes ont beaucoup moins scrutée pour tenter de la « clock » (dans le jargon trans, il s’agit de la façon dont les gens peuvent chercher à deviner si une personne est trans ou non juste en la regardant et en la dévisageant, jugeant de la qualité de son cispassing, c’est-à-dire sa capacité à passer pour cisgenre). Cette obsession pour l’entrejambe d’inconnu·es a de quoi inquiéter tout le monde.
Bref, cette énième polémique illustre de façon effrayante combien la transphobie augmente à mesure que les personnes trans deviennent visibles. C’est là tout le paradoxe de la visibilité pour les personnes minorisées et les luttes pour leurs droits.
Enfin, on peut également s’interroger sur les intentions des marques à travers ce genre de manœuvre de communication visuelle, non contextualisée. Nul n’a besoin d’être expert en réseaux sociaux pour savoir qu’un tel choix de casting allait beaucoup faire parler, et déchaîner des flots de violences transphobes (même si des vagues de soutiens en faveur des personnes trans ont également déferlé).
Dans quelle mesure ce genre de polémique pourrait aussi être déclenchée à dessein, pour générer des articles, du trafic, et donc augmenter le potentiel de ventes ? Telle est la cynique question que l’on peut se poser en cette veille de mois des fiertés.
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