Article initialement publié le 3 septembre 2022.
Nombreuses sont les personnes à détester leur nature et texture de cheveux. Pour celles racisées en particulier, cela peut être un motif de discrimination supplémentaire, et causer des problèmes importants d’estime de soi et d’amour-propre. Des objets culturels plus diversifiés peuvent pourtant aider, dès le plus jeune âge, à changer les mentalités. C’est pourquoi l’auteur-illustrateur Joshua Servier a décidé d’ajouter son trait de crayon à l’édifice des représentations.
Dans un livre jeunesse intitulée Cheveux mouillés auto-édité et sorti le 25 août 2022, le jeune Guadeloupéen dépeint l’histoire d’une petite sirène noire, prénommée Mélyka. Elle qui peine à accepter ses cheveux va passer par différentes étapes afin de les accepter, au fil de cet ouvrage de 64 pages, destiné au 5-10 ans. On a donc posé quelques questions à son auteur pour en savoir plus sur cette créature fantastique et pourtant si humaine, alors que Disney prépare son remake de La Petite sirène en live-action qui devrait sortir en France le 24 mai 2023, a priori.
Interview de Joshua Servier, auteur du livre jeunesse Cheveux mouillés
Madmoizelle. Qui êtes-vous et quel était votre parcours avant d’en arriver à Cheveux mouillés ?
Joshua Servier. Je suis guadeloupéen, j’ai 30 ans, j’ai suivi des études de cinéma, audiovisuel et illustration, quand je suis arrivé dans l’Hexagone en 2012. À cause de l’aspect parfois trop académique du dessin, je m’en suis désintéressé pour me consacrer à la mode et j’ai fondé mon propre magazine lyonnais, Jamais le mardi.
Avec le mouvement Black Lives Matter, fondé en 2013 et qui s’est ravivé en mai 2020, je me suis demandé ce que je pouvais faire pour lutter à mon niveau. Je m’étais déjà rendu compte du manque de représentation dans la littérature jeunesse alors j’ai voulu combler ce manque, y avoir un impact.
Quel impact cela a pu avoir sur vous de grandir sans vous sentir représenté dans la culture grand public en tant que personne noire ?
J’ai justement voulu créer un personnage pouvant contribuer à se forger dès le plus jeune âge de l’amour-propre, de l’estime de soi, et aborder la question du traitement des cheveux dans la communauté afro, longtemps méprisés, notamment à cause de ce qu’on nous montre dans les dessins-animés, clips, séries, le cinéma, les pubs…
Faute de pouvoir m’y identifier physiquement, je me suis toujours intéressé à la construction des personnages et des intrigues, et c’est ce qui m’a donné envie d’étudier le dessin et le cinéma. En revanche, aujourd’hui, je réalise que si j’avais pu me reconnaître plus tôt à l’écran ou sur des pages de livres, les choses auraient sûrement été plus simples. Cela aurait pu contribuer à ce que je me sente mieux dans ma peau, dans mes cheveux, encore plus jeune. Et je pense que c’est le cas pour plein d’autres enfants.
J’ai la chance d’avoir des parents qui m’ont inculqué dès le plus jeune âge l’importance de la diversité, de l’égalité. Ils ont aussi été très honnêtes sur le racisme que je pouvais rencontrer en grandissant. Et je pense qu’on ne fait jamais trop de pédagogie autour de ces sujets, alors autant y contribuer.
Quelle relation entretenez-vous avec vos propres cheveux frisés ?
Petit, j’avais les cheveux très longs jusqu’à mes 5 ans. On me les a coupés à cet âge-là et je l’ai très mal vécu. Dès que j’ai eu la possibilité de les refaire pousser, je m’y suis adonné avec beaucoup de soin.
Mes représentations n’étaient pas dans ce que je lisais ou voyais à l’écran, mais autour de moi : ma mère a de superbes cheveux crépus très bien entretenus, mon frère aussi, alors j’ai toujours eu une relation positive avec mes cheveux, leur nature et leur texture. J’ai bénéficié d’une véritable éducation capillaire. Je n’ai jamais voulu me défriser par exemple.
Pourquoi avoir choisi le dessin pour contribuer à réparer ce manque de représentation ?
J’ai un style de dessin très cartoonesque, qui parle davantage aux enfants. On peut raconter des histoires aux enfants et véhiculer de belles valeurs de façon beaucoup plus simple qu’à des adultes. Et plus tôt on s’attaque à ces problèmes, mieux on peut faire changer les mentalités.
Comment est né votre personnage de sirène, Mélyka, héroïne de votre livre jeunesse Cheveux mouillés ?
Je ne saurais pas dire d’où vient mon amour des sirènes mais j’ai retrouvé des dessins de ces créatures fantastiques que je faisais dès l’âge de 4 ans ! Signe que ça m’a toujours fasciné. Je sais que ça fait aussi partie des contes et légendes des Antilles. J’ai grandi sur une île donc j’ai une fascination pour l’eau, sa faune et sa flore, mais aussi les mythologies du monde qui ont un rapport avec la mer. Et clairement, mon film préféré, c’est La Petite Sirène, et j’en suis très fier !
Mélyka, c’est le prénom d’une de mes cousines qui a rencontré des problèmes semblables à ceux de ma sirène. Suite à des moqueries, elle qui portait une superbe afro s’est défrisée les cheveux. Je sais que plein de filles, mais aussi de garçons, sont confrontés à ce genre de discrimination capillaire, qui peut aller bien plus loin, notamment au travail. On a complètement banalisé, voire naturalisé, le préjugé selon lequel plus on a les cheveux frisés, moins on serait une personne disciplinée. Et cela peut être décuplée par le colorisme.
Aviez-vous proposé votre livre à des maisons d’édition avant de choisir l’auto-édition ?
J’ai démarché plus de 40 maisons d’édition, j’ai eu 26 réponses négatives quand les autres se contentaient de ne pas me répondre. Celles qui ont pris le temps et le soin d’expliquer le pourquoi du comment elles refusaient mon projet, c’est parce qu’elles trouvaient mon trait trop cartonnesque, Disney, et que la mode était au style plus naturel, à l’aquarelle notamment. Entre le moment où j’ai fini d’écrire et dessiner mon histoire et le moment où j’ai commencé ma campagne de prévente, il s’est passé près de deux ans. Je me devais de sortir ce projet coûte que coûte.
Que peut-on espérer pour la suite des aventures de Mélyka : une suite en livre, voire en dessin-animé ?
C’est la question que tout le monde me pose ! Il faut savoir que je dessine tout à la main, sur du papier, avant de scanner et coloriser et encrer à la tablette graphique. C’est énormément de travail qui serait encore plus colossal pour un dessin-animé !
Pour la promotion du livre Cheveux mouillés, j’ai réalisé une vidéo en dessin-animé de 16 secondes, et ça m’a pris un mois et demi. Alors en termes de moyen et de budget, ce serait colossal et impensable à moi seul. Il faudrait qu’un studio m’approche.
Pour de futurs numéros, ça dépend de la réception du public, mais ça semble très bien parti ! Mais j’ai besoin de prendre une pause maintenant avec ce personnage de Mélyka qui m’habite depuis 3 ans (et que j’adore encore aujourd’hui, évidemment), pour le moment.
Quels sont vos futurs projets alors ?
Avec une amie influenceuse, @CeQueCheveux, on travaille sur un roman graphique autour de personnalités noires féminines historiques à travers le monde, mais je ne peux pas en dire plus à ce sujet. En solo, je prépare aussi un roman graphique sur l’histoire d’amour entre le roi Salomon et la Reine de Saba, à destination des 10-15 ans, là où Cheveux mouillés s’adresse plutôt au 5-10 ans.
Cheveux mouillés, de Joshua Servier, 20€ les 64 pages.
À lire aussi : Cette présentatrice télé a-t-elle été virée à cause de ses cheveux blancs ?
Crédit photo de Une : Cheveux mouillés, de Joshua Servier
Vous aimez nos articles ? Vous adorerez nos newsletters ! Abonnez-vous gratuitement sur cette page.
Les Commentaires
Et sur la site il y a une petite vidéo (qui visiblement a demandé beaucoup de travail) qui est très chouette. Clairement ça pourrait donner lieu à un dessin animé sympa mais effectivement faut un gros studio derrière sinon je pense que c'est pas faisable!