A priori, rien ne distingue Brune-feuille le prince se marie et autres contes inclusifs de beaucoup d’autres livres d’histoires pour enfants que vous trouverez en librairie. Mais son histoire est loin d’être habituelle. Publié chez Talents Hauts et sorti le 20 octobre 2022, ce recueil n’a pas seulement piqué notre intérêt pour sa relecture des contes de fées et sa volonté d’aborder les questions de genre.
La sortie de cet ouvrage collectif publié en Hongrie en 2020, Meseország Mindenkié, soit « Un conte de fées pour tous » en français, aurait pu rester tout à fait confidentielle. C’est Labrysz, une association lesbienne hongroise qui a coordonné les 17 contes écrits par des auteurs et autrices de différents horizons, confirmés ou émergents, et illustrés par Lilla Bölecz.
Ils abordent les discriminations, les différences, les injustices et l’exclusion à hauteur d’enfants, en reprenant les codes des contes et en les réinterprétant, dont certains sont bien connus, comme Blanche Neige ou Cendrillon. Au départ, Meseország Mindenkié est principalement dédié à être diffusé dans les écoles et à servir de support pédagogique aux enseignants. À son premier tirage, il atteint les 1 500 copies.
« Notre but était de rendre la littérature pour enfants plus diverse en Hongrie et de montrer aux enfants à quel point la vie est colorée et merveilleuse. On voulait des histoires qui reflètent les vies de tous les jeunes » a confié au TIME Boldizsar Nagy, coordinatrice du livre, avec Dorottya Redai.
Un livre de contes passée à la déchiqueteuse par une femme politique
L’histoire aurait pu en rester là si l’extrême-droite n’avait pas pris pour cible ce livre de contes, où deux princes tombent amoureux l’un de l’autre, où une héroïne est tsigane et où une princesse a la peau mate (ça nous rappellerait presque une polémique pas si ancienne…).
Peu de temps après sa sortie, Dóra Dúró, députée du parti nationaliste et conservateur Mouvement Notre patrie, s’est même mise en scène en train de passer le livre à la broyeuse, page après page, lors d’une conférence de presse.
Effet Streisand garanti : la parlementaire n’avait sûrement pas prévu que son petit coup de com’ homophobe donne une telle visibilité au livre, au point de faire grimper le nombre de ventes, mais surtout de lui offrir une soudaine visibilité bien au-delà des frontières.
Dans la foulée, c’est le Premier ministre Viktor Orban lui-même qui s’en est mêlé, exhortant les éditrices du livre à « laisser les enfants tranquilles » : « La Hongrie a des lois sur l’homosexualité qui sont basées sur une approche exceptionnellement tolérante et patiente. Mais il y a une limite à ne pas franchir. » Une menace à peine voilée à l’égard des associations LGBTQI+ mobilisées pour défendre la liberté d’expression. Le livre est alors devenu un emblème de résistance face à la politique de Viktor Orban.
Un an plus tard, en 2021, la militante Dorottya Redai, une des coordinatrices du livre, a fait partie de la prestigieuse liste des 100 personnes les plus influentes au monde du TIME.
Depuis, Meseország Mindenkié a été traduit dans une dizaine de langues.
Le soutien de Talents Hauts, une maison d’éditions engagée
En toute logique, c’est Talents Hauts qui édite en France Brune-feuille le prince se marie et autres contes inclusifs. Il s’agit d’abord d’éditer en français un très beau recueil de contes, mais aussi pour la maison d’éditions indépendante de continuer à montrer son engagement sur ce type de projet. « Ça fait 18 ans qu’on essaie d’apporter une réponse sous des formes très variées au sexisme, au racisme et à toutes les discriminations », nous explique Laurence Faron, directrice de la maison d’éditions bien connue pour ses choix de livres qui abordent les stéréotypes.
« C’est aussi une question de solidarité, voire de sororité avec cette maison d’édition hongroise qui a été discriminée. Une censure d’État, ce n’est pas à prendre à la légère quand on en est victime, même si ça a fait le succès du livre. Notre soutien, même symbolique, leur est précieux. »
En août 2021, le gouvernement conservateur de Viktor Orban a fait passer une mesure obligeant les livres pour enfants qui abordent les thématiques LGBTQI+ à être vendus sous emballage, et interdisant leur vente à moins de 200 mètres d’un établissement scolaire ou d’une église. Depuis, d’autres lois sont encore passées, restreignant encore un peu plus les droits des femmes et des personnes LGBTQI.
On n’est donc loin d’un happy end parfait. Mais l’histoire de ce recueil de contes inclusifs hongrois a montré qu’il était possible de défier le conservatisme ambiant rien qu’avec des histoires pour enfants…
Brune-Feuille le prince se marie et autre contes inclusifs, chez Talents Hauts
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Les Commentaires
Merci l’extrême droite hongroise, sinon j'en n'aurai jamais entendu parler