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Cauchemar en Cuisine

Daria Marx a tenté cette semaine de se la jouer Top Chef. Pas aussi évident dans la vraie vie que dans l’émission, semble-t-il.

Ce billet comporte des mots pouvant choquer les plus sensibles. Cette histoire est pourtant vraie. Les noms des participants ont été changés pour préserver leur anonymat.

Mardi, 19h00 pétantes, après avoir glandé une bonne partie de l’après-midi sur des blogs de cuisine à m’extasier sur les photos des plats présentés par des nanas qui affirment que c’est vraiment super facile, que l’important c’est de se lancer, qu’on se délasse de son stress en cuisinant, qu’on a des orgasmes des papilles, bref complétement galvanisée, je crève la dalle et je décide de passer au fourneau pour préparer à mon mec le repas ultime, le truc qui fera de moi une déesse en gant Malpa.

J’ai la foi, mais j’ai aussi la flemme, aucune envie de ressortir faire des courses ou d’aller taper trois œufs et dix grammes de beurres à ma grabataire voisine, je fais l’appel dans les placards et dans le frigo : un poulet en pack acheté la veille, une botte de carotte fourguée au marché par un commerçant zélé, des oignons congelés, mon tétris culinaire se met en place, au menu ce soir : petites carottes du printemps braisées et poulet mariné au miel et à la sauce soja. J’avoue, rien de bien compliqué, ca change juste de l’habituel plâtrée de nouilles-gruyère, ou de l’unique spécialité de l’homme en cuisine : le steack hâché congelé au micro-ondes, accompagné de sa cannette de coca light et de sa rondelle de citron.

A force de me gaver de Top Chef, de Master Chef, de blogs et de vidéos de cuisine, ma petite entreprise prend l’allure d’un véritable casting. Je m’imagine candidate devant le noble jury, petite blague à Cyril Lignac pendant que je gratte ma carotte sous l’eau, petit regard taquin à Gordon Ramsay pendant que je cherche mon instrument, je fais la voix off dans ma barbe « et maintenant, la candidate Daria attaque l’épreuve éliminatoire du taillage de légumes, sous les yeux experts des plus grands chefs de sa génération », le suspens est à son comble, je me saisis de l’économe légèrement rouillé, hérité de ma grand mère (je voudrais remercier ma grand-mère, sans qui rien n’aurait été possible), la lamelle de peau valse de l’autre côté de l’évier, challenge en bonne voie, la première carotte est nue, grelottante, humiliée, terrassée, j’ai vaincu. Applaudissements du public imaginaire en délire. J’essuie d’une main plus assurée à présent les gouttes de sueurs qui perlent à mon front, et je me saisis du couteau à trancher, afin de transformer mes stupides racines oranges en bâtonnets gracieux et délicats.

J’oublie juste que je ne suis pas dans les cuisines en inox brossé du Ritz, mais dans ma cuisine en contreplaqué, et que mon geste et mon couteau sont loin d’être parfaits. Je plaque la racine fourbe sous ma main, pensant faire glisser la lame entre ma paume et son milieu, quand tout dérape, la carotte s’échappe, le chat bondit, le manche de l’outil se détache du métal, je saute de deux pas en arrière pour éviter l’éventrement par embrochement, le chat disparaît, le légume roule sous le meuble de l’évier, je sens le regard plein de sourcils de Jean François Piège peser sur mes espoirs de qualification en fée du logis homologuée. Je décide de revenir à une technique plus ancestrale de découpage, la rondelle, après tout, comme ils disent, l’important, c’est de ne pas dénaturer le produit, et qu’elle soit en carotte ou en bâton, ma carotte sera cuite avec amour et ail pilé.

Tout se déroule ensuite comme sur une mer d’huile (d’olive), les oignons congelés fondent, l’ail me pique les yeux, les carottes sont étouffées, je baisse le feu, je couvre la cocotte, je regarde ma montre, c’est parti pour 25 minutes de cuisson, plus rien à regretter, j’ai tout donné sur cette première épreuve, j’ai accumulé les problèmes techniques, mais j’y crois encore, au pire, je pense encore pouvoir être sauvée par le public, forte de mon enthousiasme et de mon sens de l’humour. Oui ok, je débloque. Je ne sais plus ce que je fais.

C’est l’heure du poulet. D’abord mélanger la sauce soja et le miel, facile. Sauf que mon miel est dur comme le cœur de ta mémé, et que j’ai beau touiller comme une damnée, je suis en train de créer un monstre gluant sucré salé dans mon saladier, plutôt que la délicieuse marinade que je visais. J’écrase, je me tords la cuillère, je fouette l’air, la bave aux lèvres, le mélange devient lisse, mon visage se décrispe, j’ai gagné !

D’un pas dansant, je me dirige vers le frigo pour me saisir du poulet, rangé pré-découpé dans son cellophane propret. Je sais, la viande c’est le mal, le poulet en batterie, l’écologie, la planète, les animaux, je ne suis pas sourde à tout ca, ça m’intéresse plutôt même, seulement à 3 euros 30 le kilos, c’est con, j’ai craqué, avec mon salaire, les entrecôtes de jadis ne sont plus que de vagues souvenirs, la volaille c’est chic et pas cher, c’est bon et c’est diet, je plante en un grand CLAC mon doigt dodu dans le plastique de l’emballage pour en sortir les morceaux.

Et là… c’est le drame. Mais vraiment le drame. La guerre. Les tranchées. Fukushima dans mon nez. Une odeur à me faire dégobiller. Un truc âcre, pourri, j’ai tout qui me remonte de l’intérieur, mon estomac vient valser en tsunami contre mon clapet, je ne sais pas quoi faire, si j’enlève mon doigt du trou que je viens de percer, l’odeur va se diffuser, si je le laisse, mon doigt va mourir, infecté par la pestilence massive qui semble s’échapper de l’oiseau décédé.

C’est la peste noire, la lèpre, la dysenterie, le choléra, je ne pensais pas qu’une odeur puisse prendre possession d’une pièce aussi rapidement, qu’elle puisse habiter tes vêtements, s’infiltrer dans ta bouche, j’ai l’impression d’être couverte de vers grouillants, je n’ose plus respirer. De ma main libre, j’ouvre en grand la fenêtre entrebâillée, j’envoie valser le paquet maudit dans l’évier, j’attrape un sac poubelle, je saucissonne la bête faisandée, et je l’envoie rejoindre les abîmes du vide ordure collectif.

Mais l’odeur reste, malgré le courant d’air, malgré les bougies parfumées, malgré le pschitt magique, malgré la menthe fraîche, le poulet mort plane sur ma cuisine, je jure aux esprits des grands chefs que je ne mangerai plus jamais de viande, je trempe ma phalange souillée dans l’eau de javel, rien n’y fait.

Une seule chose viendra à bout du parfum cadavérique de la viande : les carottes brûlées, oubliées dans la panique, carbonisées, immangeables, mais salvatrices. Ma cuisine reprend sensiblement son odeur de tous les jours, celle du mal rangé et du toast cramé, elle ne ressemblera jamais aux rêves bien ordonnés des Bree Van De Kampf maniaques et organisées.

Je n’ai pas gagné Top Chef, même pas dans ma tête.

— DariaMarx exerce également sur son blog


Les Commentaires

2
Avatar de MissCupcake
11 avril 2011 à 17h04
MissCupcake
Il m'arrive parfois aussi de me lancer un défi culinaire et d'imaginer un jury m'observer ^^ (merci Top Chef lol)

En tout cas tu n'as peut être pas réussi parfaitement ce que tu voulais faire mais tu as le mérite de nous avoir offert un article fabuleusement drôle
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Voir les 2 commentaires

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