Cela fait presque une semaine qu’une tribune publiée dans Le Monde a secoué l’opinion publique.
« Nous défendons une liberté d’importuner, indispensable à la liberté sexuelle » : ce texte co-signé par une centaine de femmes revient sur #MeToo, #BalanceTonPorc, et a défrayé la chronique.
Sur madmoiZelle, nous avions publié une réponse, Défendre la liberté sexuelle ne nous oblige pas à accepter les violences sexistes, avant de vous proposer une liste de réactions pertinentes parues dans divers médias.
Certaines des signataires de ce texte ont fait le tour des médias pendant les jours suivant sa publication, mais l’une est restée silencieuse : Catherine Deneuve.
Étant la plus célèbre de ces cent femmes, notamment à l’international, elle a été visée de plein fouet par les critiques. Son nom était trending sur Twitter, sa photo illustrait des articles parus tout autour du monde…
À présent, Catherine Deneuve prend la parole, dans une lettre publiée sur Libération.
Catherine Deneuve s’exprime sur la tribune « liberté d’importuner »
« […] j’ai, je le confesse, trouvé ce texte « Nous défendons une liberté… » vigoureux, à défaut de le trouver parfaitement juste. »
Catherine Deneuve revient sur la tribune publiée dans Le Monde et les réactions qu’elle a suscitées.
Elle déplore, notamment, que certaines de ses co-signataires aient effectué des déclarations publiques qu’elle n’approuve pas. Brigitte Lahaie a choqué en disant « on peut jouir, pendant un viol », par exemple.
Catherine Deneuve rappelle ensuite qu’après des décennies de carrière dans le cinéma :
« Je pourrais évidemment dire qu’il m’est arrivé d’être témoin de situations plus qu’indélicates, ou que je sais par d’autres comédiennes que des cinéastes ont abusé lâchement de leur pouvoir.
Simplement, ce n’est pas à moi de parler à la place de mes consœurs. »
Puis elle appuie un propos déjà évoqué dans la tribune publiée sur Le Monde : sa peur du « danger de nettoyage dans les arts ». Catherine Deneuve craint un « climat de censure » qui viserait à nettoyer l’Histoire des arts.
L’actrice mentionne des artistes de générations passées, se demande si on leur appliquera un jour le même traitement que celui qu’on réserve, de nos jours, à des Weinstein ou des Spacey : interrompre leur carrière, sans qu’il n’y ait eu de jugement officiel.
Sur un ton plus léger, Catherine et Liliane ironisent au sujet des œuvres « relues » par un œil féministe, et du danger de trop simplifier les messages présents dans les contes datant d’il y a plusieurs siècles.
Enfin, Catherine Deneuve déclare, dans une conclusion que je trouve personnellement très forte :
« On m’a parfois reproché de ne pas être féministe.
Dois-je rappeler que j’étais une des 343 salopes avec Marguerite Duras et Françoise Sagan qui a signé le manifeste « Je me suis fait avorter » écrit par Simone de Beauvoir ?
L’avortement était passible de poursuite pénale et emprisonnement à l’époque.
C’est pourquoi je voudrais dire aux conservateurs, racistes et traditionalistes de tout poil qui ont trouvé stratégique de m’apporter leur soutien que je ne suis pas dupe. Ils n’auront ni ma gratitude ni mon amitié, bien au contraire. »
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Et l’actrice de mettre le point final :
« Je salue fraternellement toutes les victimes d’actes odieux qui ont pu se sentir agressées par cette tribune parue dans le Monde, c’est à elles et à elles seules que je présente mes excuses. »
Catherine Deneuve, bouc émissaire des 100 signataires
Je l’admets, j’ai passé pas mal de temps à bouillir après la parution de cette tribune sur Le Monde.
Oui, certains passages du texte m’ont heurtée dans ma sensibilité de féministe, et certaines absences aussi, comme le fait qu’à aucun moment les signataires ne mentionnent le rôle des garçons, qui deviennent des hommes.
Un vide que Catherine Deneuve comble d’ailleurs, toujours chez Libération, en disant « la solution viendra de l’éducation de nos garçons comme de nos filles ».
Mais certaines réactions m’ont également mise en colère.
Des personnes se revendiquant féministes n’ont pas hésité à traiter Catherine Deneuve (bien plus que ses co-signataires) de « conne », d’« écervelée », de « dinde » et autres termes insultants, à connotation misogyne, en plus !
À mettre sous le tapis son long combat pour les droits des femmes, notamment sa signature du Manifeste des 343 salopes, un acte pénalement risqué, courageux et résolument féministe, défendant le droit à l’IVG.
Ces attaques ad hominem m’ont agacée, car je trouve qu’elles décrédibilisent les personnes y ayant recours. Comme s’il était impossible de critiquer l’opinion de ces 100 femmes sans insulter directement l’une d’entre elles.
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Je suis donc contente de voir Catherine Deneuve sortir du silence (même si, à dire vrai, j’aurais compris qu’elle préfère y rester), et rappeler avec fermeté son engagement féministe tout en refusant aux réac le plaisir de faire d’elle leur porte-étendard.
C’est peut-être une leçon à tirer de ce « tribune-gate » : il est possible de répondre à des opinions par des opinions, et non des insultes. Il est possible qu’une féministe ait un avis différent de vous, de moi, pourtant également féministes.
Et il est sain d’en débattre, d’en discuter, en appliquant à l’autre le même respect qu’on s’attend soi-même à recevoir.
La tribune « liberté d’importuner », on en parle, et c’est une bonne chose
À mon sens, c’est une bonne chose que cette tribune ait été publiée sur Le Monde et qu’elle ait généré autant de débat.
Pourtant, moi aussi j’ai été victime de violences sexuelles et sexistes ; j’aurais pu me sentir blessée, culpabilisée, insultée par les opinions exprimées au nom de cette « liberté d’importuner ».
Mais j’y ai vu, simplement, une opinion différente de la mienne, et partagée par beaucoup de gens — tous n’ayant pas forcément la soixantaine bien tassée, d’ailleurs. Des personnes de mon âge pensent comme les 100 signataires.
Cette opinion, je suis pour qu’elle puisse être exprimée librement, tant qu’il est possible d’y répondre tout aussi librement.
La culture du viol est ENFIN un « vrai » sujet
Contre-tribunes, réactions, débats à la télévision, à la radio, sur Twitter, par articles interposés, billets d’humeur, fils de commentaires Facebook…
Le sujet des violences sexuelles, du consentement et de la différence entre drague et harcèlement est PARTOUT. Et quand on a, comme moi, passé des années à expliquer que ça existe, ça fait déjà du bien de voir qu’on en parle.
Souvenez-vous : en 2012, madmoiZelle évoquait pour la première fois le harcèlement de rue… et de nombreuses réactions parlaient de « compliments », de « fragilité », disaient que « ce n’est pas si grave ». Y compris venant de femmes !
Plus tard ont été expliqués des concepts comme la culture du viol ou le slut-shaming. À chaque fois, la même vague de réponses initiales oscillant entre « ça n’existe pas » et « ce n’est pas si grave », voire « c’est justifié ».
Et ces thèmes sont longtemps restés l’apanage de médias féminins et/ou féministes ! Du côté des grands quotidiens, des émissions de radio ou de télé nationales, personne n’en parlait.
À présent, il est admis que ce sont des sujets existants, importants.
Pour venir à bout d’un problème, il faut le reconnaître, et en parler
Je suis pour que Brigitte Lahaie puisse dire à la radio « on peut jouir pendant un viol », car c’est vrai. Et c’est dramatique, souvent, pour les victimes auxquelles cela arrive.
Cependant, l’a-t-elle dit dans le bon contexte ? Était-ce le « bon moment » ? L’idée était-elle parfaitement exprimée ? Pas forcément, d’ailleurs elle a plus tard nuancé son propos sur TV5 Monde :
« J’aurais peut-être dû rajouter ce « malheureusement » en disant « malheureusement, on peut jouir d’un viol ». Ce qui rend souvent la reconstruction encore plus compliquée et encore plus difficile. »
Pour mettre en perspective les propos de Brigitte Lahaie, je ne peux que vous conseiller cette savoureuse réponse de Tania Dutel :
On a jamais entendu une femme dire « Je me suis fait violer, mais finalement bonne surprise, j’ai joui ! À refaire ! »
Les gens ont le droit de dire des choses qui font polémique, et le reste du monde a le droit de leur répondre et de débattre sur leurs idées. J’ai envie de dire « tant mieux ».
Oui, certains propos font mal, mais je préfère être confrontée à une opinion qui me heurte, pour pouvoir y répondre et éventuellement proposer un contre-message, qu’interdire à cette idée d’être formulée.
Et à choisir, je préfère que le contre-message soit délivré sans insultes, sans attaques ad hominem, et sans condescendance. Autant de freins, à mon sens, à l’avancée du débat et au changement des mentalités !
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