Mise à jour du 8 juillet 2021
C’était dans le monde d’avant. En 2017, Kristen Roupenian, autrice inconnue au bataillon, publiait dans le New Yorker une nouvelle, Cat Person, narrant un rendez-vous entre une jeune femme (Margot) et un homme plus âgé (Robert), qui se conclut sur une relation sexuelle qu’on peut situer dans la « zone grise » du consentement : il n’y a pas de « non » verbal, mais il n’y a pas d’enthousiasme non plus.
Cat Person est devenue virale, plus que n’importe quelle autre nouvelle parue dans le magazine. Elle a déclenché une discussion nationale et internationale autour des violences sexuelles, des mécanismes d’emprise dans un couple, de la différence d’âge entre deux partenaires…
Cat Person a toujours été présentée comme une fiction par son autrice. Et pourtant, ce n’en est qu’à moitié une. Car la personne dont la nouvelle a été inspirée, sans qu’elle ne soit consultée, vient de raconter sa version de l’histoire.
« Est-ce que cette nouvelle parle de toi ? »
Alexis Nowicki raconte ce 8 juillet dans le Slate américain que Cat Person, c’est son histoire ; ça l’est en tout cas assez pour qu’elle ait reçu, le jour où la nouvelle est parue, des dizaines de messages lui demandant si ça parlait bien d’elle, si elle avait donné son accord, si « Charles » (l’homme dont parle le texte, rebaptisé Robert dans le New Yorker) l’avait publiée sous pseudonyme.
« Margot », l’héroïne de Cat Person, ne s’appelle pas Alexis. Mais elle vient de la même petite ville, a logé dans les mêmes dortoirs étudiants, a travaillé dans le même cinéma d’art et d’essai, et a passé une partie de sa vingtaine en couple avec un homme plus âgé qu’elle de 15 ans — « Robert », qui est décrit comme ayant la même silhouette, le même style vestimentaire, la même décoration que Charles.
De quoi donner le vertige.
Plus étrange encore, Alexis Nowicki ne connaît pas Kristen Roupenian, ne lui a jamais confié quoi que ce soit ; elle n’a purement et simplement jamais entendu parler d’elle. Et en racontant sa version de cette histoire, Alexis tisse un récit poignant qui interroge tout autant l’évolution de la société autour des questions de violences sexuelles, la puissance d’Internet qui peut se révéler effrayante, et le deuil.
Comment peut-on inspirer Cat Person sans le savoir ?
Lorsque Cat Person a été publiée, Alexis Nowicki a contacté Charles. Car, bien que séparés, ils n’étaient pas en froid et échangeaient de temps à autre ; plus important encore, la scène de relation sexuelle qui forme le cœur de la nouvelle n’a jamais eu lieu. La jeune femme n’a rien à reprocher à son ex.
Ils ont plaisanté de cette coïncidence presque surnaturelle, surpris et déboussolés, sans en parler très longtemps. Avec le recul, explique Alexis Nowicki dans Slate, elle ne saurait pas vraiment dire pourquoi elle n’a jamais demandé frontalement à Charles si lui connaissait Kristen Roupenian ; s’il lui avait raconté leur histoire, sachant qu’elle allait tenter de la faire publier, sans en prévenir la principale concernée.
« Peut-être que je ne voulais pas vraiment savoir. À ce moment-là, j’essayais de ne pas creuser les sujets personnels avec lui afin de mettre un peu de distance. Je ne voulais pas l’encourager à se reposer sur moi. »
Trois ans plus tard, en novembre 2020, Charles est brutalement décédé. Cela faisait cinq mois qu’Alexis Nowicki et lui avaient échangé pour la dernière fois, en plaisantant.
« Sa mort a été rapide, selon sa mère. J’ai passé cette nuit-là éveillée, et le lendemain dans un état second. Le soir suivant, j’ai écrit à David [un ami de Charles, ndlr] […] je lui ai appris la nouvelle. Après une bonne heure de conversation consistant à tenter d’articuler à quel point Charles était spécial à nos yeux, il a évoqué “Cat Person”.
“Il s’en voulait tellement de t’avoir mêlée à tout ça”, m’a-t-il dit. Je me suis interrompue, le temps de digérer ce que ça voulait dire. J’avais passé trois ans à me convaincre que tout ça n’était qu’une folle coïncidence.
“Est-ce que Charles la connaissait ?”, j’ai demandé. Oui, m’a répondu David. Il la connaissait. »
Charles n’étant plus là pour répondre aux questions d’Alexis Nowicki, il a fallu à cette dernière six mois pour rassembler assez de courage et faire ce qu’il lui restait à faire : contacter Kristen Roupenian. En la prévenant, elle, que leur échange serait inclus dans un article — celui qui vient de paraître sur Slate.
Entre fiction et réalité, la zone grise existe aussi
L’autrice s’est confondue en excuses. Elle avait rencontré Charles quelques années auparavant et appris grâce aux réseaux sociaux qu’une de ses ex était bien plus jeune que lui. Après quelques recherches, elle savait où Alexis Nowicki avait étudié, logé, travaillé. Elle écrit :
« En utilisant tous ces éléments, j’ai écrit une histoire qui était avant tout issue de mon imagination, mais s’appuyait aussi sur mes expériences passées et présentes. Avec le recul, j’ai eu tort de ne pas supprimer ces détails biographiques, surtout le nom de la ville. Ce n’était pas prudent de les laisser. »
Kristen Roupenian va ensuite plus loin. Elle explique que, prise de court par le succès de Cat Person, elle s’est retrouvée sans y être préparée au cœur d’une tempête médiatique loin d’être uniquement positive : comme à chaque fois qu’une femme dénonce les violences sexuelles, la haine s’est déchaînée. C’est aussi pour cette raison qu’elle n’a jamais admis que sa nouvelle n’était qu’à demi fictive — pour se protéger autant que faire se peut. Car si les hommes qui la harcelaient savaient que « Robert », injustement traité dans la nouvelle selon eux, était basé sur un type bien réel, ils redoubleraient de violence.
Tout cela provoque chez Alexis Nowicki un maelström d’émotions, comme elle le raconte :
« Ça m’a touchée qu’elle soit désolée. Je peux comprendre qu’elle n’ait pas été préparée à un tel succès […]
Mais j’étais aussi frustrée. Je sentais dans son mail qu’elle espérait que je me sente coupable de potentiellement encourager la haine venant de ses lecteurs. Et puis j’étais en colère, oui ; en colère de voir que quelqu’un qui sait parfaitement ce que ça fait de voir une fiction confondue avec une autobiographie puisse traîner quelqu’un d’autre, sans prévenir, dans cette situation inconfortable. »
À l’origine effrayée par la notoriété et l’ample lectorat de Kristen Roupenian, Alexis Nowicki a décelé dans ses réponses une part d’anxiété — « pour elle non plus », note-t-elle, « les choses ne sont pas faciles. »
Les coulisses de Cat Person en disent autant que la nouvelle elle-même
Pourquoi Alexis Nowicki raconte-t-elle ça sur Slate un beau jeudi de juillet 2021 ? Pour que son histoire existe, probablement. Mais aussi et surtout pour que la mémoire de Charles ne soit plus ternie par la nouvelle virale qui a fait de lui un prédateur.
Pendant toute sa relation avec Charles, Alexis Nowicki a subi les jugements de celles et ceux qui déduisaient une « relation toxique » de leur différence d’âge, quand bien même ce n’était pas ce qu’elle ressentait. Et dans une cruelle ironie, l’une des nouvelles les plus virales des années 2020 a cimenté ces on-dits.
« Ma relation avec Charles était remplie d’une honte infligée par ceux qui voyaient le pire — un prédateur enfermant une fille innocente dans son emprise. Mais ceux qui connaissaient Charles savaient bien à quel point il était respectueux et aimant. […]
Ce qui est difficile, quand une de nos relations est réécrite et immortalisée dans la nouvelle la plus virale de l’histoire, c’est la sensation que des millions de personnes connaissent maintenant cette relation telle qu’elle a été décrite par une parfaite inconnue. Pendant ce temps, je suis seule avec mes souvenirs de ce qu’il s’est vraiment passé — comme toute mort, celle-ci fait peser sur moi la responsabilité de ne pas oublier les aspects d’une personne que j’étais la seule à connaître. »
Cet envers du décor inattendu se révèle aussi fascinant que le phénomène Cat Person à sa sortie. De notre regard sur les publications difficilement vérifiables à nos idées reçues sur les couples « atypiques » (basées, malheureusement, sur les tristes réalités des violences sexistes), en passant par l’évolution du deuil à l’ère du numérique, Alexis Nowicki nous invite, en nous ouvrant son cœur, à regarder en nous-mêmes — et à ne jamais juger trop vite.
Cat Person, la nouvelle sur la zone grise du consentement
Le 18 décembre 2017
Depuis quelques jours, sur les Internets américains,
tout le monde ne parle que d’une chose : Cat Person.
Cette nouvelle parue dans le New Yorker raconte une histoire somme toute banale, celle d’une parade de séduction maladroite et d’un rendez-vous foireux entre une femme et un homme. Elle a généré, outre-Atlantique, une immense discussion sur la drague moderne, le consentement, l’éducation genrée…
Forcément, ça pique la curiosité !
Cat Person est une courte nouvelle de Kristen Roupenian parue dans le New Yorker, qui a déjà hébergé de célèbres courts récits comme Brokeback Mountain.
C’est la première nouvelle de Roupenian à être publiée dans le New Yorker. Elle n’a pas non plus été éditée en livre ailleurs.
Cat Person, c’est Margot, vingt ans, étudiante, qui a un petit boulot dans un cinéma d’art et d’essai. Un jour, un client, Robert, vient lui acheter des réglisses. Robert semble avoir quelques années de plus que Margot. Il n’est pas excessivement séduisant, il a un peu de ventre, il se tient voûté.
« Elle se dit que Robert était mignon. Pas mignon au point qu’elle aurait été lui parler pendant une soirée, mais assez mignon pour s’imaginer avoir le béguin pour lui, en le regardant à travers l’amphi pendant un cours ennuyeux. »
Robert revient plusieurs fois, et un jour, il prend le numéro de Margot. Les deux se mettent alors à flirter par messages, avec des blagues et de petites références culturelles.
« Elle ne savait toujours pas grand-chose à son sujet, vu qu’ils ne parlaient jamais de choses personnelles, mais quand deux ou trois bonnes blagues fonctionnaient, c’était excitant, en quelque sorte, comme s’ils dansaient. »
Un soir, Robert et Margot se rejoignent à l’épicerie. Il lui offre des friandises, et en partant, il l’embrasse sur le front. Elle reconnaît les papillons dans son ventre, signe annonciateur d’un béguin.
La jeune femme rentre chez ses parents pour les vacances, gardant Robert à portée de main, de clavier, d’écran tactile.
De retour, elle est fâchée d’apprendre que Robert ne pourra pas la voir immédiatement, mais prend son mal en patience. Il l’emmène voir un film dans un multiplexe.
Sur le chemin, dans la voiture de Robert, Margot ressent une bouffée d’inquiétude. Au fond, Robert reste, quasiment, un inconnu. Et s’il l’emmenait loin, loin de tout et loin de tous, pour lui faire du mal…
« Au moment où elle pensait cela, il dit “Ne t’inquiète pas, je ne vais pas t’assassiner”, et elle se demanda si le malaise dans la voiture était de sa faute, parce qu’elle était nerveuse, parce qu’elle sursautait, comme si elle était le genre de fille qui craint d’être assassinée à chaque rendez-vous galant. »
Une fois au cinéma, les choses ne s’arrangent pas. Robert n’est pas à l’aise, elle non plus, le film parle de l’Holocauste… rien ne va. Le film terminé, Margot sent que la suite de sa relation avec Robert va se jouer. Qu’ils pourraient ne jamais se revoir. Elle décide de faire durer un peu le rendez-vous : les jeunes gens vont boire un verre.
Un peu éméchée, Margot commence à ressentir du désir, même si ce n’est pas tellement le charme de Robert qui agit.
« À sa troisième bière, elle se demandait comment ça serait de coucher avec Robert. Ça ressemblerait sûrement à ce mauvais baiser, maladroit et trop intense, mais en imaginant à quel point il serait excité, à quel point il voudrait l’impressionner, elle sentit poindre dans son ventre un pic de désir, aussi distinct et douloureux qu’un élastique claquant contre sa peau. »
Robert refuse d’abord son offre de relation sexuelle, car Margot est un peu ivre. Mais elle l’embrasse et le chauffe et se frotte à lui, tant et si bien qu’il la ramène chez lui, vaincu par son désir.
À nouveau, cette vague inquiétude : et si Robert était dangereux ? Si sa maison était pleine de cadavres dans des congélateurs, de femmes comme Margot que personne ne retrouvera jamais ?
Non, la déco de Robert est tout à fait normale et rassure la jeune femme. Ils se mettent donc au lit. Mais le désir de Margot retombe comme un soufflé.
« Le voir ainsi, penché en deux d’une étrange façon, avec son gros ventre mou couvert de poils, fit se hérisser la peau de Margot. Mais penser à tout ce qu’il faudrait mettre en œuvre pour interrompre ce qu’elle avait initié, c’était trop : il lui faudrait déployer un niveau de tact et de douceur qu’elle ne se sentait pas en état d’atteindre. Ce n’est pas qu’elle a peur qu’il la force à faire des choses, mais insister pour qu’ils s’arrêtent maintenant, après tous ses efforts pour en arriver là, ça lui donnerait l’air d’une fille gâtée, capricieuse, comme si elle commandait un plat au restaurant et changeait d’avis au moment où la nourriture lui était servie, pour la renvoyer en cuisine. »
Margot et Robert s’embrassent, se déshabillent maladroitement, s’emmêlent dans le lit. La jeune femme arrive finalement à réactiver son désir, mais là encore, ce n’est pas le pouvoir de séduction de son partenaire qui opère.
« En l’embrassant, elle se sentit emportée dans un fantasme tellement égocentrique qu’elle pouvait à peine admettre l’entretenir. Regarde cette fille, comme elle est belle, l’imagine-t-elle penser. Elle est si parfaite, son corps est parfait, tout est parfait chez elle, elle n’a que vingt ans, sa peau est immaculée, je la désire si fort, je la désire plus fort que jamais, je la désire si fort que je pourrais en mourir.
Plus elle imaginait l’excitation de Robert, plus elle était excitée. »
Ce fantasme, cependant, ne tient pas. Dès qu’elle se déconcentre, elle se rappelle qu’elle n’a pas vraiment envie de Robert. Mais elle ne le lui dit jamais, et le rapport se poursuit.
« Quand Robert, nu, a déroulé un préservatif sur une bite à demi visible sous l’arrondi poilu de son ventre, elle a ressenti une vague de répulsion qui, se dit-elle, pourrait bien venir à bout de son impression d’être clouée là, mais alors il a enfoncé un doigt en elle, pas du tout doucement cette fois-ci, et elle s’est imaginée vue du dessus, nue, jambes écartées, avec le doigt de ce vieil homme gros en elle, et sa répulsion s’est changée en un dégoût d’elle-même mâtiné d’humiliation, qui ressemblait, étrangement, à du désir. »
Le sexe est maladroit, plutôt désagréable, médiocre. Robert jouit, Margot non. Il la prend un peu comme dans un porno, avec des mots crus et diverses positions. Elle se laisse faire plus qu’autre chose.
Après coup, ils regardent un film quand soudain Robert parle à Margot de ses sentiments pour elle. Il semble s’être créé tout un monde dans sa tête, notamment pendant qu’elle était en vacances. Il craignait qu’elle trouve un mec, un autre que lui. Il ne lui en a jamais parlé auparavant.
Margot lui demande de la ramener, alors qu’il espérait la voir passer la nuit. Long trajet silencieux en voiture.
La jeune femme ne sait pas, dans les jours qui suivent, comment dire poliment à Robert qu’elle ne veut pas le revoir. Sa coloc, excédée, finit par taper et envoyer : « Slt je ne suis pas intéressée arrête de m’écrire merci ».
« Margot avait un nœud dans les tripes, si serré qu’elle craignait de se mettre à vomir. Elle imaginait Robert saisir son téléphone, lire ce message, se changer en verre, se briser en un million d’éclats. »
Mais Robert répond poliment, bien qu’un peu déçu, respecte son choix, et Margot sent un immense poids la quitter. Soulagée, elle reprend sa vie.
Un mois plus tard, qui est là, dans son bar d’étudiante où il n’avait pas voulu l’accompagner ? Robert, seul avec une bière. Les amis de Margot, mis au courant de son identité, la font sortir discrètement. C’est un peu un jeu, et un peu sérieux.
La nouvelle Cat Person s’achève sur ce monologue par SMS, un enchaînement de messages de Robert qui restent sans réponse :
— Salut Margot, je t’ai vue au bar ce soir. Je sais que tu m’as dit de ne plus t’écrire, je voulais juste te dire que tu étais très jolie. J’espère que tu vas bien ! — Je sais que je ne devrais pas dire ça, mais tu me manques beaucoup. — Peut-être que je n’ai pas le droit de demander ça, mais j’aimerais juste savoir ce que j’ai fait de mal — Pour moi on avait vraiment un truc, est-ce que tu n’es pas d’accord ou… — Peut-être que je suis trop vieux pour toi ou que tu en aimes un autre — Le mec avec toi ce soir c’est ton mec — ??? — Ou juste un mec que tu baises — Désolé — Tu as ri quand je t’ai demandé si t’étais vierge est-ce que c’est parce que tu baises une tonne de mecs — Tu le baises là tout de suite — Tu le baises — Tu le baises — Tu le baises — Réponds-moi — Pute.
Cat Person et le consentement
La plupart des articles parus sur Cat Person évoquent le traitement par la nouvelle de cette « zone grise » du consentement, dont on vous a déjà parlé sur Madmoizelle — Margot ne dit jamais « non »… Mais elle passe de très enthousiaste à passive et apathique. Ce changement devrait suffire pour que Robert fasse une pause et s’assure que tout va bien du côté de sa partenaire.
La fin de Cat Person ne laisse pas d’ambiguïté sur quel genre d’homme est Robert : il ne respecte pas Margot. Ce qui peut expliquer qu’il prend son plaisir sans s’inquiéter de ce qu’elle ressent.
L’autrice, quand on lui demande pour lequel de ses deux personnages elle a le plus d’empathie, répond :
« À la fin, Robert traite Margot de “pute”, donc j’espère que la plupart des gens arrêteront d’avoir de l’empathie pour lui à ce moment-là.
Mais pour le reste de l’histoire, je voulais qu’il soit possible d’avoir de l’empathie pour Robert, ou au moins d’être capable, comme Margot, d’imaginer une version de lui (maladroite, mais avec de bonnes intentions) qui peut susciter de l’empathie.
Je voulais que cette version de Robert existe aux côtés d’une autre possibilité, celle d’une version bien plus sombre. »
Refinery29 estime que « pour les femmes, avoir une relation sexuelle finit souvent par devenir une question de « politesse », mais elles parlent rarement de ces expériences dans la zone grise ».
Margot n’estime jamais avoir été violée par Robert, et je ne suis pas là pour le décider à sa place, ou plutôt à la place de l’autrice. Mais moi aussi, comme de très nombreuses femmes qui ont partagé Cat Person, je me suis retrouvée dans ses pompes. Oui, je peux dire non, mais ça va me donner l’air capricieuse, chiante, allumeuse, alors tant pis, allons-y même si j’ai bof envie…
Je me suis sentie responsable du bien-être d’un homme, de son épanouissement sexuel, en mettant finalement le mien de côté.
Cat Person et la socialisation des femmes
Cette « zone grise » du consentement, d’où vient-elle, ici ? De l’incapacité de Margot à dire « stop ». Elle a beau ne plus avoir envie, et ne pas avoir peur de Robert, elle n’ose pas lui dire d’arrêter. Parce que ça serait tellement dur, parce qu’il serait tellement triste, parce que c’est elle qui a initié la relation sexuelle, parce qu’elle ne se sent pas d’affronter la peine que ça lui causerait.
Plus tard, elle n’ose pas non plus lui dire qu’elle ne veut pas le revoir. Encore une fois, Margot ne supporte pas l’idée de rendre Robert malheureux. Mais sans sa coloc, jusqu’à quand se serait-elle sacrifiée pour le protéger ?
Dans une relation saine, équitable, il devrait toujours être possible de dire « non ». Et l’autre aurait de la peine, oui, mais saurait le gérer de façon respectueuse. Sauf que les femmes ne sont pas élevées à dire « non », surtout quand elles sont déjà dans un lit avec un homme, volontairement. « Le pauvre » mec qui va « dormir sur la béquille »… et la pauvre meuf qui a eu un rapport nul en regardant le plafond, alors ?
On doit toujours pouvoir dire « non », que ça soit avant ou pendant un rapport. On a toujours le droit de changer d’avis. Peu importe son genre, d’ailleurs : ça vaut pour les hommes aussi.
Collectivement, il nous faut apprendre (et enseigner !) deux choses :
- Être davantage à l’écoute de son partenaire, y compris de ses réactions non verbales
- Retenir qu’on ne doit du sexe à personne, même si on a déjà le slip aux genoux, même si « ça lui ferait de la peine ».
Le consentement n’est pas un tue-l’amour, et s’assurer régulièrement que l’autre est à l’aise, ça ne gâche rien du tout !
Cat Person et la séduction moderne
Le consentement et la zone grise, ce sont les points qui sont le plus souvent évoqués quand on parle de Cat Person. Mais ce ne sont pas les seuls intérêts de cette nouvelle.
Souvent, des gens (qu’on pourrait traiter un peu rapidement de « vieux cons ») déplorent que « les jeunes ne se parlent plus, tout se fait par messages, ils ne se connaissent plus »… et force est de constater qu’ici, c’est le cas. La technologie aidant, Margot et Robert entretiennent une relation qui reste prudemment en surface, au point qu’ils ne se connaissent, finalement, pas du tout.
Le titre, Cat Person, fait référence aux blagues récurrentes qu’échangent les personnages au sujet des chats de Robert. Chats que Margot réalise, au final, n’avoir jamais vus chez lui. A-t-il seulement des chats ?
Robert comme Margot n’essaient pas du tout de connaître l’autre, car ce qui les attire, ce n’est pas la personne, c’est le fantasme créé dans leur esprit.
Margot s’imagine intensément désirable, comme une gorgée d’eau pour un assoiffé, une bouffée d’air frais pour un condamné. Ce rôle prend le pas sur la réalité. Quand Robert lui plaît, l’excite, c’est parce qu’elle projette sur lui ces émotions inventées de toutes pièces, déduites de menus détails.
On en sait moins sur Robert, car l’autrice nous emmène moins « dans sa tête » que dans celle de l’héroïne. Mais clairement, il a lui aussi tiré des plans sur la comète, notamment pendant les vacances de Margot, alors qu’il la connaissait à peine. Il s’est lui aussi fait des films, des films d’homme qui pense qu’une femme lui appartient, qui se permet de la suivre, de réclamer son attention, de lui demander des détails sur sa vie privée, de l’insulter.
Cat Person ouvre le débat, et c’est tant mieux
Aux États-Unis, la nouvelle divise. Bien des femmes s’y reconnaissent, bien des hommes trouvent Margot égocentrique et naïve au point d’en être peu réaliste, sans pour autant défendre le comportement final de Robert.
On pourrait soupirer devant cette foire d’empoigne numérique, par tweets et articles interposés, mais personnellement je m’en réjouis. Car c’est à cela que sert, pour moi, l’art : à nous mettre en face d’un miroir pas toujours flatteur, à nous faire réfléchir et échanger sur nos personnalités, nos relations, le monde dans lequel nous vivons.
Cat Person, à mes yeux, c’est l’histoire de deux personnes qui ne savent pas, ne veulent pas communiquer. Qui se font du mal, à elles-mêmes et à l’autre, car jamais elles n’ont appris à (se) parler clairement, ni à écouter.
Lisez Cat Person, discutez-en, débattez-en, car tout ce que j’avais envie de dire aux gens en l’ayant finie, c’est :
« Mais PARLEZ-VOUS, bordel ! »
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Les Commentaires
J'aurais aimé, en fait, que Robert soit un trentenaire beau gosse, et qu'il ait le même comportement awkward que celui décrit dans l'article. Ça aurait permis de dire "Ce n'est pas parce qu'il est beau qu'il va forcément exciter la meuf, qu'il va forcément savoir y faire, qu'il est bien". Parce que là, j'ai vraiment eu l'impression que l'autrice a donné au mec tous les défauts possible (pas très beau, insecure, maladroit, jaloux), que c'est un perso fait pour qu'on puisse le détester.
Surtout, je n'aime pas la fin. Avant les textos insultants de Robert, les deux personnages étaient réalistes, maladroits, indécis. La fin transforme Robert en méchant de l'histoire alors que jusque-là, c'était surtout un homme maladroit, influencé par le patriarcat et le porno probablement, mais pas foncièrement méchant. Il a ses défauts, semble souffrir d'un manque de confiance en lui et de jalousie, mais ça reste un perso pour lequel on épreuve de l'empathie. J'aurais bien aimé une autre fin.
J'ai surtout lu la nouvelle pour comprendre la hype, et au fond je suis heureuse que ça ait pu soulever des questionnements. Surtout rapport au respect des femmes et aux fait qu'elle ne sont pas des poupées.