Article initialement publié le 2 décembre 2013
C’est difficile de critiquer objectivement le film Casse-tête chinois. Difficile, parce que si vous avez été biberonné·es à L’Auberge espagnole et aux Poupées russes, vous partez forcément avec l’envie d’aimer le troisième rejeton de Cédric Klapisch.
Il faudrait vraiment qu’il ait un œil crevé et cinq membres en moins pour que vous commenciez à douter de votre amour pour lui, et encore.
Le film Casse-tête chinois : la nostalgie au présent
Heureusement, Casse-tête chinois est un film à l’anatomie normale, et j’étais contente de revoir les acteurs, comme peut l’être un·e ado qui retrouve un vieux carton rempli de jouets d’enfants.
Pour être tout à fait honnête, j’avais même autant de sequins dans les yeux qu’une gosse lâchée en plein Disney Store. Sauf que les jouets ont grandi, et qu’en tant que (pré-)adulte, on les observe avec plus de curiosité que de nostalgie.
Xavier (Romain Duris), qu’on a connu à 20 ans en pleine galère Erasmus dans L’Auberge espagnole, et à 30 ans en plein naufrage amoureux dans Les Poupées russes, a désormais quarante piges.
Alors qu’il pensait être enfin arrivé à bon port, sa vie reprend une claque dans la gueule, et il recommence à ramer.
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Wendy (Kelly Reilly), sa femme, le plante, se barre à New York avec ses deux enfants. Il décide de la suivre, pour eux.
Son cercle d’amis s’est réduit, comme ça arrive naturellement : de la chouette bande de potes du premier film, il ne reste autour de lui qu’Isabelle (Cécile de France), sa copine belge lesbienne, et Martine (Audrey Tautou), son ex attachiante.
Il s’installe dans le quartier chinois de la Grosse Pomme et, pour simplifier les démarches (ou tout compliquer), il épouse un peu par hasard une Américaine d’origine chinoise.
Le film Casse-tête Chinois : On est pas (totalement) sortis de l’Auberge
Dans le film Casse-tête Chinois
, c’est comme d’hab. Le retour à zéro et la reconstruction du quotidien, de son identité, c’est un peu le sujet de toute la trilogie.
C’est cliché, mais c’est comme ça que ça fonctionne : un jour, on se ramasse comme un gros paquet, et le lendemain, on devient l’incarnation de « Ève lève-toi et danse avec la vie ».
Est-ce que ça se répète ? Oui et non. Je ne suis pas certaine qu’on puisse apprécier pleinement « Casse-tête chinois » sans avoir vu ses deux grands frères. Cédric Klapisch l’a dit au public de l’avant-première :
« Je pensais que ça allait être simple parce que je connaissais les personnages, mais c’est dur de les faire évoluer, il faut les reprendre sans que ce soit les mêmes, et j’ai mis longtemps à écrire ce scénario ».
Si vous n’avez pas déjà votre dose de nostalgie, sans sucre merci, Cédric Klapisch est dans l’auto-référence permanente. Les personnages glissent, l’air de rien, un « comme quand on était à Barcelone ! », « tu te souviens comment tu agissais ? ».
Le réalisateur reprend les ficelles de base : la voix de Xavier qui parle au spectateur de façon totalement borderline et les apparitions un peu surréalistes que fait naître son imagination. Si vous aviez été déçu·es de ne pas retrouver Erasme en chair et en os dans Les Poupées russes, Casse-tête chinois réserve de beaux tête-à-tête philosophiques hallucinogènes.
Quand Cédric Klapisch filme les murs de New York, ils n’ont rien à voir avec les buildings bodybuildés des séries américaines. Ils auraient plutôt les couleurs de ceux de Barcelone.
On voit Xavier courir, deux fois, façon Playmobil. La première, pour sauver un de ses potes du pétrin. Exactement comme dans L’Auberge espagnole, lorsqu’il rentre camoufler l’infidélité de Wendy à son copain anglais tendu de la cravate. La deuxième, après une fille. Comme dans Les Poupées russes, mais pas tout à fait.
Pour la bande-originale aussi, Cédric Klapisch a misé sur les vieilles marmites. Elle est signée, pour la troisième fois, par Kraked Unit. Par moments, ça sonne comme du C2C, et c’est une tuerie.
Le film Casse-tête Chinois : N’ayez pas peur du bonheur, il n’existe pas
Mais le Xavier new-yorkais est nettement moins paumé que son lui barcelonais. La Martine de 40 ans est selon Audrey Tautou « beaucoup moins emmerdante qu’avant ! Presque philosophe… ».
Les adultes des Poupées russes sont moins révoltés. Ils se sont assagis, ont des préoccupations différentes. Ils font des choix relativement raisonnables.
Relativement, parce c’est quand même pas donné à tout le monde d’aller s’installer à New York d’un claquement de tendons.
Même si on voit Xavier chercher du boulot, un appart et un moyen d’acquérir la nationalité américaine, ça a l’air bizarrement plus simple que de faire un Erasmus en Europe.
Là où L’Auberge espagnole parlait d’amitié, Les Poupées russes du sentiment amoureux, Casse-tête chinois aborde l’amour filial et le lien familial.
Xavier a enfin arrêté d’être un connard fini qui ne pense qu’à son ego. Du coup, le film balance, à travers ses pensées, tout un tas de réflexions sur la famille, ce qui le distingue énormément des deux précédents.
L’amour en tant que tel, le scénario en cause quand même un peu. Les personnages n’ont pas arrêté de se poser de questions autour de ce gros « bordel » que décrivait Xavier dans Les Poupées russes.
Ils ont juste accepté, avec sérénité, que les réponses ne vendent pas toujours du rêve. Non, l’amour, ce n’est pas forcément le frisson, la passion et la dramaturgie permanente, et ce n’est pas parce que c’est moins intense que c’est nul. Oui, on peut arrêter de s’aimer, tranquillement, juste comme ça.
Du coup, vous pourriez croire que les héros sont devenus chiants. Sauf que non. Parce qu’être moins déluré ne signifie pas être moins drôle.
Les gags de Casse-tête chinois reposent souvent sur l’incompréhension mutuelle, et je peux vous assurer que les rires du public étaient fort gouleyants pendant toute la projection, et surtout, sincères. Le scénario réussit une quasi prouesse : faire de l’humour sans être (trop) vulgaire ni cynique.
Le film Casse-tête Chinois : Avoir l’ouverture facile
Au-delà de la petite histoire, Casse-tête chinois compile les sujets de société.
L’expatriation massive et l’obtention d’une citoyenneté étrangère. La PMA pour les parents homos, lorsque Xavier décide de donner son sperme à Isabelle.
Les familles décomposées, un thème important pour le réalisateur qui rappelle qu’« à Paris, 60 % des enfants en primaire ont des parents divorcés » et qu’« une famille où l’on vit tous ensemble, c’est très simple mais ce n’est plus très vrai ».
Tellement branchouille qu’il en devient bobo, ce film ? Cédric Klapisch sait qu’il doit se « taper le qualificatif », mais il a l’air de l’assumer plutôt bien.
« Le militantisme, c’est une notion beaucoup plus pragmatique aujourd’hui. Je parle de la nécessité de ne pas être raciste, de s’ouvrir aux autres, de leur sourire. Ce sont les mêmes valeurs que dans L’Auberge espagnole ».
Alors oui, ça peut sembler dégoulinant de niaiserie, mais je suis ressortie de la séance avec la patate et l’envie de dire que c’est bon pour le moral, comme une chanson de la Compagnie créole.
Casse-tête chinois livre des packs de bonheur direct, et se termine sur une jolie réflexion autour des happy-ends. Ceci n’est pas un spoiler, parce que la fin a laissé perplexe même Romain Duris : « J’ai dit, c’est pas vrai, comment on va faire ? ».
Je vous dirais bien que le film reflète la vie des quarantenaires, mais au fond, je n’en ai aucune idée, et peu importe. Je fais partie du gang de ceux qui ont adoré L’Auberge espagnole à 14 ans, mais n’en ont compris la portée que passé la vingtaine.
Alors j’imagine que je ne saisirai tout à fait le film qu’une fois mes quatre dizaines de bougies soufflées.
Quand un spectateur au taquet lui a demandé si une suite était prévue, Cédric Klapisch a répondu « peut-être dans dix ans, s’ils en ont envie et que j’en ai envie, mais je n’en sais rien ».
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
Les Commentaires
En tout cas le film m'a laissé un sentiment bizarre : même si on retrouve la pâte des 2 précédents, tout a tellement changé... ça nous place devant notre avenir, ça nous oblige à réfléchir sur notre vie, et là où je trouvais ça exaltant dans l'Auberge et les Poupées, je trouve ça terrifiant ici Probablement parce que je n'ai pas encore l'âge concerné, mais ça fait trooooop peur d'être grand bon sang !