En 2012, j’ai profité de ce que l’Europe a de plus beau à nous proposer, je parle d’Erasmus, et j’ai quitté notre douce France pour m’installer à 615 kilomètres de la frontière française où je faisais mes études, à 210 kilomètres de la frontière tchèque, 240 kilomètres de la frontière polonaise, 200 kilomètres au sud de Berlin… Et à peu près à 10 000 kilomètres de chez mes parents (coucou la Réunion !).
La ville et la vie là-bas m’ont tellement plu que j’y suis restée pour faire mon master, à l’université de la ville.
Je vous épargne la partie « J’ai testé pour vous… l’enfer de l’administration Erasmus », parce que je veux me concentrer sur la vie que j’ai découvert à Leipzig, grande ville universitaire de l’ancienne Allemagne… de l’Est.
Dans la continuité de l’Allemagne de l’Est
Leipzig, à prononcer (approximativement) Laïepssich – ou Leipsch (Laïepscheu) en dialecte de Saxe, se situe donc en plein milieu de l’Allemagne de l’Est. Oui, je sais, l’Allemagne de l’Est n’existe théoriquement plus !
Mais en comparant la vie ici à la vie dans l’Ouest de l’Allemagne, la conclusion s’impose : Leipzig a gardé le charme (oui, je pèse ici mes mots) de l’ancienne RDA (ou DDR en allemand). Une certaine Ostalgie (terme allemand qui désigne la nostalgie de l’Allemagne de l’Est communiste ) est tangible – tout en étant mélangée au summum de la modernité européenne.
Vieille Trabant fabriquée dans l’Allemagne de l’Est, exposée dans l’un des magasins d’objets de l’ex-RDA !
Leipzig est une ville où il fait bon vivre. Il y a à peu près 530 000 habitants, dont environ 30 000 étudiants répartis dans les diverses grandes écoles et à l’Université de Leipzig – construite vers 1410, c’est la deuxième plus vieille université d’Allemagne après Göttingen.
Le Leipzig estudiantin est réputé pour son Conservatoire supérieur de musique et de théâtre, pour sa faculté de médecine (et ses hôpitaux ultra-modernes), sa formation des professeurs (la filière principale de l’Université) et le droit. Sachez d’ailleurs qu’Angela Merkel a étudié la physique à Leipzig il y a trèèèès longtemps.
Bref, Leipzig est une ville dynamique qui attire une population jeune, et pas uniquement des étudiants ; il y a également des jeunes travailleurs puisque c’est la ville la plus attirante de la région de Saxe avec Dresde…
Et pour ceux qui se posent la question, Leipzig donnant Lipsia en latin, en français les habitants sont les Lipsiens (Leipziger) – et pas des Leipzigois (coucou maman) ou Leipzichais (coucou papa).
Le campus central de l’Université – Forcément moi j’avais cours ailleurs.
Leipzig, une ville jeune et attirante
Les points positifs de la ville, outre une population jeune, sont variés. Tout d’abord, on reste en « Allemagne de l’Est », ce qui veut dire que le coût de la vie reste inférieur à celui en ancienne l’Allemagne de l’Ouest (et à la France) :
- les logements sont à des tarifs magiquement abordables pour une Française – le deux pièces de 45 mètres carré à 15 minutes de la fac de Leipzig est à 360 euros tout compris, contre 330 euros sans l’électricité et le chauffage à 45 minutes de la fac à Strasbourg.
- il n’y a aucune pénurie de logements – puisqu’il y a des bâtiments, voire des quartiers entiers, qui sont vides et disponibles.
- le bio est au prix du pas bio (en tout cas pour les légumes, le reste est à peine plus cher ), et on trouve des magasins bio à chaque coin de rue.
- la vie nocturne est très riche pour les fêtards, mais avec des coins plus sages pour les moins fêtards.
- il y a de la verdure partout, grâce à plusieurs énormes parcs qui entrecoupent la ville.
- le service de transports en commun (trams et bus) est efficace, étendu et PONCTUEL, même de nuit – et les lignes de nuits sont à 1h11, 2h22, 3h33… donc même torchée, tu t’en sors en général.
Mais surtout, Leipzig est THE ville musicale par excellence.
Leipzig et la musique (de qualité) à bas prix
Moi, petite gamine ayant grandi à la Réunion (tu sais, cette île française dans l’Océan Indien que nos politiques ne connaissent pas, sauf s’ils sont déjà venus en vacances ?), je n’avais pas l’habitude des spectacles tous les samedis, du théâtre à gogo ou encore de l’opéra à portée de main.
Arriver à Strasbourg a été la révélation : l’art existe, sous toutes ses formes. Je passais ma vie à l’Opéra, à aller aux expositions, tenter des pièces de théâtre… La vie quoi. Je pensais que Strasbourg était une ville culturelle parfaite. Mais quand je suis arrivée à Leipzig, j’ai frôlé l’apoplexie de bonheur, parce que c’était encore mieux.
Il n’y a pas UN jour dans la semaine où on ne propose pas un concert, une comédie musicale, un opéra, une représentation musicale quelconque, une pièce de théâtre, un monologue ou encore de l’art abstrait. Pas UN jour. On frôle l’apoplexie, et très vite même l’overdose. Parce que contrairement à la France où on estime que l’art doit coûter un bras même aux étudiants, Leipzig est spécialiste des prix attractifs… voire des représentations gratuites. GRA-TUI-TES. Où tu ne payes pas. Pas d’argent.
T’es fauchée, mais tu vas voir du Strauss. Tu bouffes des pâtes depuis trois semaines, mais tu peux aller voir Candide de Berstein. Tu n’as pas payé tes factures, mais tu peux aller oublier tout ça devant le Ballet de l’Opéra qui donne une représentation de danse contente-pour-rien (contemporaine pour les païens qui n’ont pas regardé Gad Elmaleh) sur le parvis. Et si tu ne connais ni ces musiciens ni la danse contemporaine, c’est l’occasion de les découvrir !
L’Opéra et le Gewandhaus
La ville compte de nombreux « organisateurs » de musique ; la ville elle-même, des entreprises spécialisées dans la culture musicale de la ville, les associations musicales, les institutions musicales officielles et reconnues comme l’Opéra ou le Gewandhaus, les groupes de musiciens sans affiliation officielle, les orchestres semi-pro… Leipzig regorge d’occasions.
Il faut dire qu’elle semblait prédestinée à être une ville musicale, car elle est la ville natale ou adoptive d’une flopée de compositeurs et d’artistes – comme Wagner, Bach, Mendelssohn, les hérissons de Tokio Hotel, le chanteur de Rammstein… Et Leipzig possède le Thomanerchor, un chœur professionnel de jeunes garçons (âgés de 9 à 18 ans) connu et reconnu internationalement.
Leipzig est connue en particulier pour le Gewandhaus (l’orchestre – et la salle – du Symphonique). Formé vers 1743 (du vivant de Bach !) et connu dans le monde entier (ils reviennent d’une tournée acclamée en Asie ), l’orchestre symphonique a été dirigé par de grands noms (Mendelssohn, Strauss…) et a été le lieu de gloire de beaucoup de gens connus (Clara Schumann, Berlioz, Wagner…).
Et le plus intéressant, c’est son répertoire actuel. Ils présentent du classique — au pif la neuvième de Beethoven pour la Saint Silvestre, à voir/écouter maintenant :
Ils y jouent aussi du contemporain (Candide de Berstein ou du Philip Glass), du moderne (un concert nommé The Americas avec des compositeurs – inconnus ? – de toute l’Amérique par exemple), du très moderne (du jazz, du blues, des ballets), des comédies musicales… Bref, de tout.
Je rappelle que cette salle est trèèèès connue, et que l’orchestre est professionnel et admiré un peu partout dans le mode. Ce qui donne logiquement un prix d’entrée exorbitant de 8 euros.
On respire, on se calme, on remet ses lunettes. Non vous n’avez pas mal lu. Si vous avez la Juniorkarte (la carte Junior disponible pour les 16-25 ans et les étudiants qui ne coûte que 10 euros pour un an), vous vous pointez une demi-heure avant le concert et vous avez une place (souvent bonne !) pour l’évènement. À certaines périodes, vous pouvez même en commander à l’avance. Si vous avez plus de 25 ans et n’êtes plus étudiant-e-, les prix vont de 10 ou 15 euros à 100 et quelques euros selon la place.
Notons que la salle du Gewandhaus est géniale car on voit bien partout. Et pour ma part, je préfère volontairement me placer à côté de l’orchestre ou derrière lui ; ça me permet de voir le chef – et de mourir de rire selon qui dirige. Les chefs sont géniaux. Je veux les épouser tout de suite, tant pis s’ils ont 80 ans ou presque. Quand vous voyez votre chef d’orchestre se trémousser sur le son de la flûte et faire « boum boum » des lèvres quand les percussions entrent en scène… vous l’aimez. Fort.
L’opéra en été
Ces tarifs, pour la Juniorkarte et le reste, s’appliquent également à l’Opéra. Il se situe à seulement deux minutes à pieds du Gewandhaus, de l’autre côté de la Augustusplatz, la place principale de Leipzig. Ah l’Opéra de Leipzig, spécialisé dans… tout. L’année dernière, c’était le bicentenaire de Wagner, alors on en a mangé du Wagner – et on a même eu des opéras inédits ! En ce moment, c’est Verdi qui est à l’honneur.
Mais sinon, des œuvres peu connues côtoient à quelques jours d’écart les grands classiques du domaine, et les ballets mondiaux s’enchaînent après les créations de la maison. La plupart des mises en scène appartiennent directement à l’Opéra de Leipzig – même s’ils achètent parfois celles d’autres grands opéras. Chez nous chantent de grands noms, comme parfois une troupe engagée à temps plein.
Le chœur de l’Opéra est réputé pour son professionnalisme et son niveau d’exigence. L’Opéra a également un excellent chœur d’enfants et un intéressant chœur des Jeunes (Kinderchor et Jugendchor) ; ce sont des chœurs semi-professionnels qui rémunèrent donc leurs chanteurs. J’en fais partie, et je suis donc payée pour chanter au lieu de payer pour chanter…
Ces choeurs participent aux opéras sur scène, de dessus ou à côté de la scène, et à leurs propres projets – comme la mise en musique d’un film muet, Häxan, ou la création entière, scénique et interprétation, du Magnificat du fils de Sebastian Bach, avec le Conservatoire supérieur. Le Ballet de l’Opéra est également réputé et excellent ; il rend même l’art content-pour-rien accessible.
La MuKo
Mais mon cœur, battant et trépignant dans ma petite (ou pas) poitrine, est entièrement acquis à un endroit merveilleux ; la caverne d’Ali Baba de la musique. J’ai nommé (tadaaaaaam) la MuKo – à prononcer mouko. En entier, cela donne Musikalische Komödie [Mousikalischeu Komeudieu] qui veut dire… Comédie Musicale.
Ce temple de la musique qui dépend de l’Opéra de Leipzigest, est l’endroit où se trouvent les opérettes, les ballets légers et… les comédies musicales. Comme The Rocky Horror Show, Le Comte de Monte-Christo, Jekyll & Hyde… La vie, quoi.
Chœurs, solistes et danseurs se plient en quatre pour qu’un public de tout âge s’envole vers d’autres horizons. Moins connue que sa grande sœur l’Opéra, et moins « bien vue » car plus « prolétaire », « populaire » ou autres qualificatifs idiots, la MuKo se cache dans un quartier un peu excentré et a des airs (de l’extérieur) de cabaret/Moulin Rouge abandonné. C’est beau, et c’est encore moins cher que les spectacles en ville.
Pendant la saison, ballets, opérettes et grandes comédies musicales s’enchaînent joyeusement. Pour fréquenter personnellement l’univers de l’opéra (côté artiste je veux dire) et celui de la MuKo, je dois avouer que les chanteurs de la MuKo (et son propre orchestre, différent de celui qui joue au Gewandhaus et à l’Opéra) sont plus libres, et plus proches du public.
Il faut dire que la salle est beaucoup plus petite, et que le public est surtout composé de fidèles et d’habitués. Ce public n’est pas, je l’avoue, de première jeunesse – même si le fan club officiel du Rocky Horror Show (aka ma pote du Chœur, ses copines et moi) achète toutes les places du premier rang à chaque représentation de la comédie.
En ce moment, je rêve juste de faire un stage en relations publiques chez eux pour promouvoir cette salle trop souvent oubliée – l’argent des subventions va au classique Opéra et oublie trop souvent ce qu’ils considèrent comme « populaire ».
Dans les rues de Leipzig
Le dernier endroit (ou plutôt le premier endroit) où la musique se vit à Leipzig, c’est la ville, ses rues. Les églises résonnent régulièrement de concerts de Bach, Mendelssohn et d’autres fils de la ville, tout comme de Mozart et compagnie. Et le centre-ville se compose de rue piétonnes, pavées et achalandées qui favorisent les rassemblements.
Ici, il faut une autorisation de la mairie si on reste plus d’une demi-heure, mais on se retrouve donc avec des orchestres – amateurs, semi-pro voire pro – donnant des mini-concerts dans les rues, en été comme en hiver, pour faire découvrir des œuvres (souvent classiques) aux touristes et aux Lipsiens.
Venus des quatre coins d’Europe, ils explorent aussi des œuvres traditionnelles et font danser les passants, tout comme ils re-découvrent des morceaux plus populaires (comme du Rihanna, les Beatles ou encore Rammstein) avec des instruments classiques.
Les solistes, souvent issus du Conservatoire ou d’un orchestre, ne sont pas rares non plus. Ainsi, on peut faire une pause devant les artistes qui se produisent pour nous toute la journée !
Autrement, l’Opéra, les Eglises, les salles de musique ET le conservatoire organisent régulièrement des manifestations gratuites sur les places de Leipzig ou à l’Université pour des œuvres de charité, des galas de fin ou de début d’année, et les jours fériés. On fête même les grands évènements de la ville par des concerts ou des représentations !
Par exemple, l’ouverture du RER de la ville a donné lieu à un concert et à une représentation du Ballet de l’Opéra ! L’université (comme beaucoup d’institutions officielles) possède également son propre chœur et assiste/participe souvent à ce genre de manifestations également.
Et le reste ?
Si vous avez envie de musique, Leipzig est LA ville à visiter. Entre le musée de Bach, celui de Wagner, celui de Mendelssohn, les chemins musicaux dans la ville, les représentations dans la rue et à l’Opéra, les écoles de musique et conservatoire supérieur… Tout est fait pour exprimer l’amour des allemands pour la musique et ce qui s’y rapporte.
Ici, parmi les moins de 30 ans, plus de 50% jouent ou ont joué d’un instrument de musique et s’intéressent au classique (contre environ 10% assumés en France). Subventionnées par l’Etat, les Lands (régions) et des mécènes, la musique est une des caractéristiques de l’Allemagne qui m’empêche de revenir en France où l’opéra est pour les vieux, les bourgeois ou les citadins.
Et si que je ne me suis penchée que sur la musique « classique » à Leipzig, la dimension musicale est en réalité largement plus ouverte que ça ! Leipzig est réputée pour ses boîtes d’électro, pour son amour du rock et du métal (notamment pendant la Wave Gotik Treffen, le grand rassemblement gothique de l’année), et pour ses créations de musique moderne un peu partout !
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Les Commentaires
Mais là, ton article m'a encore plus donné envie d'y aller... Si je peux trouver du boulot là bas après mes études, je me lance !