- Prénom : Carole
- Âge : 45 ans
- Occupation : Journaliste
- Lieu de vie : Centre-ville, Bretagne
Comment décririez-vous votre rapport au féminisme ?
C’est une philosophie qui résonne profondément en moi. Je suis à la fois submergée par ce que le féminisme m’apporte sur le plan personnel, et par l’immensité, la difficulté, des combats en faveur de l’égalité femmes-hommes. J’ai également l’impression qu’il existe un décalage immense entre mes aspirations féministes et la réalité de la société.
À quand remonte votre déclic féministe ?
J’ai découvert le mouvement féministe sur le tard. Même si j’ai compris après coup que certains aspects de ma vie étaient déjà empreints de féminisme.
Mon déclic remonte à cinq ans environ. J’ai lu la bande dessinée d’Emma sur la charge mentale et tout dans son livre résonnait en moi. J’ai eu comme une illumination, sur ma vie de couple, de mère, de femme qui travaille, de femme tout court, dans une société sexiste.
À partir de ce moment, j’ai commencé à lire d’autres ouvrages, à m’intéresser au sujet, à suivre davantage l’actualité. J’ai aussi commencé à « éduquer » mon conjoint. Je voulais qu’il ait cette révélation avec moi.
Comment le féminisme infuse-t-il votre vie aujourd’hui ?
Je traite des violences sexistes et sexuelles à travers mon métier de journaliste judiciaire (ce que je faisais déjà avant mon déclic). Je continue à aborder des sujets en lien avec les femmes, en essayant toujours d’adopter un point de vue égalitaire.
Côté famille, j’élève deux garçons et un conjoint. C’est très difficile de lutter contre notre modèle sociétal :
Pourquoi des mâles blancs renonceraient-ils à leurs avantages dans la société ? Je me rassure en me disant que c’est un travail de longue haleine, mais je trouve que la société est vraiment contre moi.
Carole
Les injonctions qu’ils reçoivent en dehors sont en contradiction complète avec ce que j’essaie de leur inculquer. Que ce soit les autres parents, les instits, les profs… Beaucoup de monde se prétend féministe, mais quand il s’agit de faire faire des « activités de filles » à des jeunes garçons, ça freine des quatre fers.
J’ai l’impression que pour les petites filles c’est un peu différent. On les amène de plus en plus vers des choses estampillées « de garçon ». Je remarque aussi qu’au collège, les élèves se confortent mutuellement dans une vision stéréotypée de la masculinité. C’est la guerre à qui sera le plus musclé, dira le plus de gros mots…
Avec mon conjoint, nous avons opéré beaucoup de changements dans notre couple, dans la répartition des tâches ménagères, des finances, de la charge mentale, mais tout ne roule pas comme sur des roulettes. Sexuellement, ce n’est pas encore idéal. Nous n’avons plus du tout les mêmes envies. Chacun fait un effort de son côté, mais ce n’est pas toujours satisfaisant.
Avez-vous laissé de côté certaines habitudes, défait certaines croyances, ou posé de nouvelles limites ?
Tout à fait. J’ai mis en place plusieurs choses, comme déléguer totalement les tâches ménagères ou lister tout ce que je fais et qui ne se voit pas forcément. Par exemple, je ne travaille pas le mercredi après-midi pour emmener les enfants au foot et à la musique. Je leur rappelle régulièrement.
Niveau couple, j’ai incité mon conjoint à lire des livres qui m’ont plu. Il a adoré Virginie Despentes. Je lance des discussions sur des sujets féministes. On en parle ensemble à la maison.
Là-dessus, il reste du boulot, et c’est parfois frustrant. Mon conjoint s’intéresse à ces sujets, mais est encore très réticent sur certains points. C’est le cas notamment avec les violences sexuelles : il a du mal à croire aux chiffres avancés.
Il pense que certaines femmes mentent ou se sont « mises dans le pétrin » (même s’il reconnaît que ce n’est pas une raison pour être violée, et c’est d’ailleurs assez contradictoire). Sur les évolutions professionnelles aussi, il continue à penser que les femmes font des choix qui les mènent à avoir des carrières plus hachées. Il peine à se mettre à la place des autres.
Dans le domaine de la parentalité, je me suis défaite des injonctions contradictoires imposées aux mères, je commence à lâcher prise. Puis, mes enfants grandissent et se prennent en main tout seuls, donc je pense aussi que c’est lié.
Comment vos proches ont-ils accueilli ce déclic ?
C’est surtout mon conjoint qui a été en première ligne. Je ne l’ai pas laissé de côté. J’ai essayé de lui faire comprendre mes changements. Il ne saisit pas tout, mais il m’accompagne. Il y a eu des hauts et des bas.
Évoluez-vous aujourd’hui dans des cercles féministes ?
Beaucoup de mes amies sont déjà féministes (et l’étaient avant moi). Celles qui ne le sont pas, c’est parfois complexe, donc on évite les sujets qui (me) fâchent.
Le journalisme est un environnement sexiste. J’essaie d’organiser des événements sur ce thème, en lien avec le Club de la Presse de Bretagne.
Je m’engage aussi auprès d’associations, je manifeste, je signe des pétitions… Dans mes articles, j’interroge systématiquement des expertes féminines. Je vote pour des femmes.
Avez-vous l’impression d’être arrivée au bout de votre éveil féministe ?
Non, je continue à lire beaucoup d’écrits féministes. Le féminisme est en perpétuelle évolution et on le voit à travers les différentes mouvances qui émergent. Je me considère comme un « work in progress ».
Il y a des choses avec lesquelles je ne suis pas d’accord, notamment par rapport à certaines très jeunes féministes. Je viens d’une génération qui a cru que tout était gagné et qui ne s’est pas engagé tôt. Je ne me suis même pas reconnue dans #MeToo, trop accaparée par mes jeunes enfants à l’époque.
Pourtant, moi aussi, comme beaucoup, j’avais été victime d’agressions sexuelles. Comme Virginie Despentes, je savais que c’était le prix à payer pour la liberté. Et malgré moi, je pense encore un peu de cette façon.
Aujourd’hui, je suis bien évidemment d’accord avec #MeToo, j’ai juste un peu loupé le coche.
En revanche, sur les notions de consentement, je pense qu’il y a des zones grises. « Qui ne dit mot consent », reste, pour moi, un dicton qui a du sens. Il a en tout cas du sens dans les domaines autres que la vie sexuelle.
On se tait, pour ne pas envenimer une situation, parce qu’on s’en fiche, parce qu’on veut faire un geste vers la personne. Si on ne dit rien, comment la personne en face peut-elle savoir ce que l’on pense ?
On peut également « accepter » d’avoir une relation sexuelle sans en avoir envie. C’est un choix conscient. Pour moi, cela ne constitue pas un viol, même si on aurait peut-être préféré faire autre chose à ce moment-là. Je sais que ces sujets sont très sensibles et il est impossible de les résumer en quelques lignes…
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Les Commentaires
merci d'en parler! ca m'est arrivé quelques fois de coucher sans envie et ça n'a rien à voir avec le viol. consentir n'est pas synonyme de désirer.