Qu’on se le dise d’emblée : ce n’est sûrement pas l’étude la plus rigoureuse et importante de l’année, mais elle a le mérite d’exister et de prouver les conséquences concrète de l'(auto)objectification des femmes qui ont intériorisé le male gaze.
« Une salope n’attrape jamais froid » : d’où vient ce super-pouvoir revendiqué par Cardi B ?
Parmi les nombreux aphorismes devenus cultes qu’a avancé un jour la talentueuse rappeuse et philosophe sous-estimée Cardi B, compte le désormais célèbre dicton (adoré depuis l’époque de Vine jusqu’à aujourd’hui sur TikTok) :
« A hoe never gets cold. »
Excusez mon français, mais je ne vois pas comment le traduire autrement que : « Une salope n’attrape jamais froid ». Ce constat s’applique chez de nombreuses personnes (dont je fais joyeusement partie), habituées à sortir en soirée très peu vêtues sans forcément choper un rhume sur le long chemin de l’aller ou du retour.
Alors même que le commun frileux des mortels aurait des frissons rien qu’en les regardant, qu’est-ce qui pourrait bien expliquer ce super-pouvoir ?
Selon une étude de psychologie sociale, se sentir sexy inhiberait la sensation de froid
C’est précisément la question que s’est posée une étude récemment publiée dans le British Journal of Social Psychology. Cette recherche en psychologie sociale note notamment qu’en anglais, certaines apparences physiques sont désignés par des températures : on peut avoir l’air « cool » (frais) ou avoir l’air « hot » (chaud). Des adjectifs loin d’être choisis au hasard :
« Quand avoir l’air “chaud” signifie ne pas avoir froid, les preuves [suggèrent] que l’auto-objectification inhibe le sentiment d’avoir froid. »
Comprendre : quand on se veut être sexy, quand on se sent sexy, on ressent moins le froid !
Le protocole de recherche consistait à demander à des femmes à la sortie des clubs de Floride aux États-Unis en plein hiver comment elles se sentaient, si elles avaient froid, si elles se sentaient sexy, et à quel point elles avaient bu ou non. Les résultats de ce sondage ont été mis en lien avec des photos anonymisées de leur tenue et du pourcentage de peau exposée au froid.
L’étude en a calculé que les femmes légèrement vêtues concentrées sur le fait d’avoir l’air sexy se sentent autant couvertes que celles qui le sont vraiment.
La théorie de l’objectification autour des limites sur les sensations de son propre corps
Au cas où vous douteriez du lien entre le théorème de Cardi B et cette amusante étude, l’une des chercheuses co-autrices en a fait un TikTok ! Roxanne Felig, 25 ans, explique ainsi comment cette punchline de Cardi B l’a inspirée pour mener en équipe cette réflexion. Et son lien avec la théorie féministe de l’objectification.
La théorie de l’objectification s’inscrit dans le domaine de la psychologie sociale. Elle a été développée par Barbara Fredrickson et Tomi-Ann Roberts et explique l’impact de l’objectification sexuelle sur la santé mentale des femmes. Soit : quand le corps d’une femme, les parties de son corps, ou ses fonctions sexuelles sont séparées de sa personne ou la résument totalement. À force d’être ainsi objectifiée de manière aliénante, les femmes peuvent l’intérioriser et s’auto-objectifier selon ce regard sexualisant extérieur à elles-mêmes.
Or, lorsque les femmes regardent leur propre corps en adoptant un point de vue qui en serait comme extérieur (au hasard : quand elles se regardent selon les critères du male gaze pour évaluer si leur apparence physique est suffisamment sexy ou non, par exemple), cela réduit leurs ressources cognitives quant à leur état interne. Elles se ressentent moins.
Des conséquences de l’auto-objectification des femmes sur leur état et leur santé
Par conséquent, explique la jeune chercheuse Roxanne Felig dans son TikTok :
« Quand les femmes sont dans un état d’objectification, elles sont moins conscientes de leur faim, de leur rythme cardiaque… Elles sont juste moins capables de reconnaître leurs états internes. »
Le théorème de Cardi B résume et illustre assez bien cette théorie de l’objectification. Ce qui peut sembler être un prétexte de recherche futile en apparence permet donc d’évaluer et prouver les conséquences concrètes de la réification des femmes. Combien elles peuvent elles-même l’intérioriser. Et les conséquences sur leur corps, leur santé, et leurs compétences cognitives.
Le grand pouvoir de se sentir sexy aux yeux du patriarcat implique de grandes responsabilités d’étonnantes conséquences.
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Crédit photo de Une : capture d’écran Youtube du clip Up de Cardi B.
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