Ça faisait déjà trois jours que je rêvais du moment où je pourrais enfiler ma robe fancy as fuck ; ce moment est arrivé samedi, quand on a réussi à se procurer des places pour la soirée Platane – la série d’Eric Judor – à la Terrazza Martini. Avant toute chose, il faut savoir que je ne suis pas ce qu’on appelle une party girl. J’aime sortir dans les bars et les pubs, de préférence avec une bonne playlist, et quand la musique n’est pas trop forte pour pouvoir discuter avec les gens qui m’accompagnent ou que je rencontre sur place.
Oui mais voilà : je voulais faire des soirées à Cannes. Parce que faire le festival n’est rien sans avoir connu cette lutte perpétuelle pour avoir une invitation pour un film en compétition ou une soirée. Disons que faire Cannes sans ça, c’est un peu comme se brosser les dents avec une éponge sale : c’est pas raccord. C’est une ambiance tout à fait particulière : n’étant pas cinéaste, exerçant un métier sur Internet (média qui a pas l’air super reconnu au festival), j’ai l’impression ici d’être aussi utile qu’un cinquième barreau de chaise, aussi indispensable qu’un noeud décoratif sur l’élastique d’une culotte. Revenons ensemble sur le jour où j’ai enfin réussi à rentrer en soirée (non sans mal). Mon but ? Te faire ressentir les choses comme si tu étais avec moi, cachée quelque part dans mon sac entre ma paire de collants de rechange, mes mouchoirs sales et mes chaussures plates.
Dans la file, personne ne vous entend crier
Sous la pluie torrentielle, je me les pèle. Ne réussissant à trouver notre contact tout de suite, on a, Alison-Myrtille et moi-même, attendu dans la file, nos parapluies gouttant sur nos vestes. Comme nous ne savons pas si les personnes qui vont nous faire rentrer sont déjà à l’intérieur ou pas, on essaie vainement d’interpeller les vigiles pour qu’ils répondent à notre interrogation. Vainement, oui. Tu as déjà essayé de faire pipi dans un violoncelle, voire de faire plus-que-pipi dans une contrebasse ? Eh beh là, c’est pareil. Pour attirer leur attention, il n’existe que deux moyens :
- rentrer par la mauvaise file (celle de la sortie), se faire engueuler et jarter, réduisant à néant toutes chances de rentrer,
- être du côté des VIP pour une bonne raison,
- les connaître (n’essaie pas de leur faire croire que vous vous connaissez : ça ne marche pas).
Ils ne nous lâchent aucun regard malgré nos interpellations alors que nous sommes les uns et les autres à un mètre d’écart. J’ai l’impression d’être dans Ghost Whisperer.
À l’intérieur, personne ne vous entendra parler
Je finis enfin par rentrer dans l’antre, armée de mes deux tickets consommation, et décide d’aller en échanger un contre un cocktail derechef, histoire d’oublier l’humiliation de la longue attente. Mentalement, je n’étais clairement pas prête à vivre ce que j’allais vivre. Je sais pas si tu as vu Love Actually. Si c’est le cas, remémore-toi la scène où Rowan Atkinson prend beaucoup trop de temps pour faire un papier cadeau. C’est bon ?
Eh bah là, c’est pareil, mais avec de l’alcool. Le serveur est beaucoup trop motivé pour être humain (ou à jeun). Tout en nous préparant nos breuvages, il n’a jamais cessé de danser, mouvant son corps élastique au son des remixes infligés à nos fragiles tympans. Ainsi, notre simple faux Mojito au Martini fut préparé de la façon suivante
:
- Je fais tourner les verres dans ma main en me déhanchant
- Je pars en moonwalk, je reviens en pas chassé, je prends la bouteille de Martini, je jongle avec et j’en mets une petite dose à l’aide d’un verre doseur
- Pause tektonik 2013
- Non sans remuer les épaules, j’attrape ma pelle, je la lance en l’air et je la rattrape après un tour sur moi-même pour la plonger dans le bac à glaçons dont j’en dispose mille dans le verre
- Pause tektonik 2013
- Je pars en moonwalk, je reviens en pas chassé, je prends la bouteille de crémant, je jongle avec et j’en mets un peu dans le verre
- Pause tektonik 2013
- J’attrape un quart de citron vert, je le presse légèrement avant de le jeter dans le verre
- Un quart de citron vert vient de tomber par terre, je le ramasse en dansant des épaules et le lance dans la poubelle à 10 mètres de là
- Je balaye les gens autour du comptoir de mon doigt et je lève le sourcil, fier d’avoir si bien visé
- Pause tektonik 2013
- J’attrape une feuille de menthe, je la secoue d’un geste sec et maîtrisé et je la dépose au-dessus de tout le reste dans le verre
- On croit que j’ai fini, mais je pars en moonwalk, je reviens en pas chassé, j’attrape une touillette, je danse du haut du corps en bougeant les pieds en rythme, me mordant la lèvre inférieure dents apparentes
- Je tends les verres avec un sourire charmeur.
À chaque étape, j’ai cru que c’était fini et ai tendu la main pour récupérer nos boissons, en vain. À la fin je me tirais tellement les joues, les coudes posés sur le comptoir, que j’ai bien cru que mes yeux allaient sortir de leurs orbites. C’était long comme la mort et notre rire nerveux a dû le motiver à en rajouter trois couches. Quinze minutes pour avoir un cocktail, quand même. J’étais à deux doigts de lui hurler « GARDLATAMAIRD », mais je suis quelqu’un de poli alors j’ai pas fait.
Une fois nos verres ENFIN en main, nous partons à la découverte de l’endroit, situé sous une sorte d’énorme barnum nouvelle génération. On peut y trouver un bon paquet de gens qui dansent comme s’ils n’étaient pas allés aux toilettes depuis 6 jours (dont moi), d’autres qui font une moue boudeuse en bougeant leurs cheveux (dont moi, mais de manière ironique*), et des filles tellement heureuses d’être là qu’elles transpirent la joie par tous les pores. J’ai envie d’aller leur faire des câlins de fille contente mais je me contiens : à la place, je préfère aller photobomber les clichés des groupes d’amis qui immortalisent leur soirée. Plus pour observer leurs réactions étonnées (ce qu’on exprime, quand on ne s’entend pas pour cause de musique trop forte, par un coin de la bouche et un sourcil relevé en regardant le cliché) que par narcissisme. Ça va de soi.
*Je sais : fondamentalement, c’est pareil.
Soudain, je remarque un coin de la salle isolé du reste du monde par des vigiles : c’est le sacro-saint carré VIP où on trouve Eric Judor, Paris Hilton, Bérénice Béjo et Michel Hazanavicius. C’est bizarre : ils n’ont jamais été aussi près de moi et pourtant, ils me paraissaient moins inaccessibles à travers un écran. En fait, j’ai l’impression, en les regardant, d’être au zoo. Je crois que c’est là que j’ai compris l’essence même de Cannes : on te laisse les regarder mais tu peux pas les approcher. Alors bon, j’ai beaucoup de respect pour trois des quatre personnes que j’ai vu dans ce corner privatif, mais ça allait. Le pire aurait été de me foutre Clive Owen dedans sans que je ne puisse lui toucher ne serait-ce que le menton.
Au B., personne ne vous laissera rentrer
Au bout d’une heure et demie, lassée de ne pas entendre ce qu’on me dit et, de ce fait, de ne pas savoir si les gens me disent des trucs gentils ou m’insultent, je préfère fuir. Prochaine étape : un bar qui commence par un B., véritable institution. J’ai à cet instant précis tellement confiance en moi et en ma robe que j’ai l’impression que je peux rentrer partout.
C’est donc à la cool que je m’installe dans la file avec ma comparse de soirée et Julia, une lectrice très, très cool. On discute, faussement nonchalantes, attendant que le physio pose les yeux sur nous et nous lance un « Vous pouvez rentrer » évident. Vraiment, je m’y attends. Je suis fière. J’ai envie d’aller voir la gosse de neuf ans que j’étais et de lui dire « Tu sais, un jour, tu rentreras au B. AU B. ! Alors sèche tes larmes car la vie va te sourire ». Et en effet, il a fini par nous regarder.
Une ou deux secondes.
Avant de tourner la tête et de nous balayer de la main en prononçant un ferme, un péremptoire « Vous sortez de la file ». Ni une ni deux je m’insurge, que s’est-il passé, pourquoi, pourquoi tous ces gens et pas nous, pourquoi les gens devant ont le droit d’attendre et pas nous, que se passe-t-il ? Évidemment dans tout l’humour subtil qui me caractérise je demande outrée si c’est parce que j’ai pas assez de boobies, et oui c’est ridicule mais pourquoi, POURQUOI ? Oui alors parce que c’est un truc à savoir : on t’explique rien, à Cannes, on te fait pas connaître les raisons du refus de te voir entrer dans l’établissement, on te jarte juste devant tout le monde, on te laisse sur le carreau et on te demande de dégager fissa.
Je la suivrais pas ta lumière, AUQUÉ ?
Ce que nous n’avons pas fait tout de suite, non. Pendant cinq minutes, nous l’avons harcelée de questions façon « Eh, eh, pourquoi hein, eh, dites, vous voulez ma carte d’identité, eh, hein, parce qu’on est majeures mais grave hein, eh, dites, j’vais faire ma première déclaration d’impôts [ah oui tiens] eh eh, dites ? ». Alors cinq minutes hein, ça vaut ce que ça vaut, mais on était à trois à s’acharner et ça devait être assez casse-pépétte. Nous n’avons pas pu rentrer pour autant mais j’ai eu ma petite vengeance. Et puis comme ça, on a fini la soirée dans un pub – une ambiance qui m’est beaucoup plus adaptée, d’ailleurs, robe de soirée ou pas – avant d’aller manger un kebab. Je préfère.
Est venue l’heure pour moi de prendre congé. Je viens d’apprendre que Laurent Lafitte est à Cannes et pour lui plaire, j’ai intérêt à mettre le paquet.
Écoutez Laisse-moi kiffer, le podcast de recommandations culturelles de Madmoizelle.
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