Mise à jour du 17 mai —
À Cannes, la montée des marches est souvent protocolaire.
Les stars défilent toujours glamour sur le tapis rouge, tapent la pause, montent les marches en souriant, parfois même en riant, faisant semblant d’ignorer les caméras.
Parfois cependant, il s’y passe des choses plus audacieuses, sur ce fameux tapis.
Lundi 14 mai, Kristen Stewart a par exemple enlevé ses talons pour gravir les marches, symbole de : « c’est pas parce que je suis une femme que je dois avoir les orteils en sang et des ampoules aux talons ».
Merci à elle.
Et hier soir, quelque chose de très, TRÈS enthousiasmant s’est passé, qui fait écho à la montée des 82 femmes de samedi 12 mai. (Lire ci-dessous).
Cette année, dans une industrie post-Weinstein, Cannes est plus engagée que jamais.
Et il était temps.
Noire n’est pas mon métier : les 16 co-auteures dansent sur les marches
Le monde attendait ça depuis plusieurs semaines déjà.
Hier, mercredi 16 mai, 16 personnalités du cinéma et co-auteures du livre Noire n’est pas mon métier ont monté les marches du festival de Cannes.
Habillées par Balmain, Sonia Rolland, Firmine Richard, Aïssa Maïga et treize autres femmes métisses et noires ont fait passer un message fort.
Le poing levé, elles sont venus interpeller les professionnels du cinéma ainsi que la ministre de la culture Françoise Nyssen sur la sous-représentation des femmes de couleur au cinéma.
Le sourire aux lèvres, en habits de lumière, elles ont monté quelques marches et ont marqué un arrêt. La chanteuse burundaise Khadja Nin s’est alors jointe à elles pour lever le poing et entamer une danse.
Né de l’initiative d’Aïssa Maïga, Noire n’est pas mon métier a été publié le 8 mai 2018, un jour symbolique pour la France. Un jour synonyme de victoire, de liberté.
Une liberté qui s’est inscrite jusque dans cette montée des marches peu conventionnelle, qui a ému l’assemblée entière de photographes venus capturer l’instant, et tous les autres d’ailleurs.
Une montée qui fait écho à celle des 82 femmes
Le 12 samedi 12 mai 2018, en fin d’après-midi, Cate Blanchett ainsi qu’Agnès Varda et Marion Cotillard ont monté les marches avec 79 autres femmes engagées.
La présidente du jury a déclamé avec émotion :
« Il est temps que toutes les marches de notre industrie nous soient accessibles. Alors allons-y ! ».
Un message puissant, partagé par toutes les autres personnalités du cinéma alors présentes sur les marches.
Elles sont 82, et ça n’est pas un chiffre anodin.
Il s’agit du nombre de réalisatrices qui ont monté les marches depuis la création du festival. Contre 1688 hommes. Un constat désolant.
Le but de cette démonstration, au-delà de secouer l’assemblée et leur mettre sous le nez l’évidence de la sous-représentation des femmes dans l’industrie du cinéma, était de réclamer une égalité salariale entre les hommes et les femmes.
Sur l’air du Carnaval des animaux, et avant la projection du film Les filles du soleil d’Eva Hussonelles, elles ont avancé, pour ensemble casser le plafond de verre.
Un moment puissant, qui restera gravé dans l’histoire du cinéma, et dans l’Histoire tout court.
Article initialement publié le 4 mai 2018 —
Ce vendredi 4 mai, les actrices
Aïssa Maïga et Sonia Rolland ont participé à l’émission d’Ali Baddou à 7h50 sur France Inter. Elles venaient y présenter le livre qu’elles ont co-écrit avec 14 autres actrices françaises noires.
Noire n’est pas mon métier, c’est le titre du bouquin qui parait aux éditions du Seuil.
Et crois-moi, les propos qu’il relaie vont te faire halluciner.
Préjugés, stéréotypes, racisme : Aïssa Maïga, mais aussi Firmine Richard, France Zobda, Nadège Beausson-Diagne, Mata Gabin, Maïmouna Gueye, Eye Haïdara, Rachel Khan Sara Martins, Marie-Philomène Nga, Sabine Pakora, Sonia Rolland, Magaajyia Silberfeld, Shirley Souagnon, Assa Sylla et Karidja Touré, racontent.
Noire n’est pas mon métier, un livre nécessaire
« Trop de protagonistes noirs dans un film, on nous dit que ça ne marche pas ! »
Ça me parait lunaire, pourtant c’est leur réalité. Les femmes noires sont aujourd’hui encore, en fucking 2018, trop peu sur le devant de la scène.
C’est pourquoi 16 personnalités du cinéma ont travaillé de conserve pour expliquer au monde qui n’a pas l’air d’avoir compris : être noir, ça n’est pas une profession.
Sonia Rolland, qui a débuté sa carrière d’actrice en 2003 dans Le P’tit curieux puis s’est très vite illustrée dans des rôles plus importants, révèle à l’antenne :
« On nous dit que lorsqu’il y a trop de protagonistes noires, ça ne marche pas en terme de recettes … »
Euh, les gars, have you met Black Panther ?
Pour ma part, ces mots ont résonné de manière brutale. Est-ce-que c’est vraiment ce qu’on dit aux actrices noires, bordel ? Il est ESSENTIEL, primordial même, d’entendre ces femmes dénoncer de telles inepties.
La force de leur discours est par ailleurs renforcé par l’humour dont elles font preuve.
Sonia Rolland explique :
« On a écrit le livre avec beaucoup d’humour parce qu’on essaie de décomplexer les gens sur la question : le mot « noir » n’est pas un problème pour nous ! »
L’humour comme vecteur d’enseignement, c’est de toute façon essentielle.
Ce matin, lors de notre réunion éditoriale quotidienne, Clémence Bodoc (notre rédac’ chef adorée) soulignait le caractère humoristique de l’ouvrage, quand Manu, notre rédactrice beauté a précisé :
« Tu sais, on est obligées de rire de ce qu’on nous dit et des situations, sinon on serait énervées tout le temps, et on finirait par se créer des ulcères. »
Tu m’étonnes !
Noire n’est pas mon métier, ponctué de phrases aberrantes
Noire n’est pas mon métier est truffé de répliques complètement dingues. Tellement folles qu’elles semblent sortir d’une époque révolue.
« Pour une noire, vous êtes vraiment intelligente, vous auriez mérité d’être blanche. »
Voilà l’une des « perles » qui alimentent le livre des 16 actrices.
L’actrice Aissa Maiga rigole à gorge déployée en complétant la phrase lue par Ali Baddou. Elle dédramatise le racisme par un grand sourire.
C’est communicatif. J’en ai même rigolé avec elle. Car mieux vaut rire de la bêtise des gens. Ça fait moins mal.
La conversation entre les deux comédiennes et le journaliste continuent ensuite sur le manque de visibilité des femmes noires au cinéma. Elles n’occupent en effet quasiment jamais de premiers rôles.
Aïssa Maïga révèle :
« Notre présence dans les films français est encore trop souvent due à la nécessité incontournable ou anecdotique d’avoir un personnage noir »
Terrifiant, non ?
Le racisme, c’est un truc qui me tord les boyaux. Je l’ai vu entamer doucement la vie de mon père, par exemple, qui n’a jamais eu accès aux mêmes jobs que ses camarades blancs, avec un nom de famille français.
Toujours relayé aux seconds rôles, non pas à l’écran mais dans la vie, il a passé son existence à trimer pour n’avoir accès qu’aux deux-tiers de ce qu’avaient les autres.
Toute petite déjà, je comprenais que le mot « égalité », accolé à « liberté » et « fraternité » sur la porte cochère de mon école n’était qu’un joli mensonge, une vague promesse que le monde ne tiendrait pas.
Toutefois, les choses évoluent, notamment grâce aux femmes et aux hommes qui parlent de ces inégalités constantes, de ce qu’il faudrait faire pour les gommer davantage, et finir par les effacer entièrement.
Alors, vraiment, n’hésitez pas à vous procurer le livre Noire n’est pas mon métier, qui dénonce une réalité atterrante mais toujours avec humour et bonne humeur.
Pour faire passer leur message, les 16 actrices monteront les marches du festival de Cannes, le 16 mai 2018.
À lire aussi : Rafiki, premier film kenyan sélectionné à Cannes, raconté par sa réalisatrice Wanuri Kahiu
Vous aimez nos articles ? Vous adorerez nos newsletters ! Abonnez-vous gratuitement sur cette page.
Les Commentaires