Pour me faire une idée plus précise de Cannes-en-vrai, je voulais absolument voir à quoi ressemblait une montée des marches de l’autre côté. J’étais habituée à la regarder derrière mon écran, installée sur mon canapé, à commenter les tenues des cinéastes posant sur le tapis rouge en essayant de garder secrets les frissons qui parcouraient mon bras. Parce qu’il y a pas à dire, c’est impressionnant, tous ces gens passionnés qui ont atteint une petite apogée dans leur carrière à ce moment-là. Il y a ceux qu’on reverra l’année suivante et ceux qui retomberont peut-être dans l’anonymat, ceux qui réfrènent plus ou moins leurs émotions parce que c’est leur toute première, et ceux dont on ne sait pas trop ce qu’ils foutent là. Le tout toujours accompagnée de cette angoisse sourde au fond de moi de voir quelqu’un tomber dans les escaliers. C’est à mes yeux beaucoup trop gênant pour être drôle.
Alors vendredi, vers 18h15, j’ai pris mon téléphone et mes lunettes de soleil et je suis partie en direction du Palais des Festivals pour essayer de définir l’ambiance qu’il y a tout autour. J’étais bien consciente que j’arrivais trop tard pour vraiment voir l’équipe de Le Passé, d’Asghar Farhadi, monter les marches, mais ce qui m’intéressait c’était surtout de voir comment réagissaient les gens qui attendaient là depuis plus ou moins longtemps. J’ai fait le tour pour me placer là où arrivent les voitures des gens qui montent les marches et là, la panique : en traversant la route, j’ai remarqué que toutes les autres personnes qui avaient fait de même un peu n’importe où se faisaient sévèrement reprendre par des policiers à cran. J’ai tellement entendu de coups de sifflet autour de moi que j’avais l’impression d’être au Parc des Princes. Avec ma petite taille, je suis passée relativement incognito et c’est avec soulagement que j’ai mis le pied côté palais.
En arrivant de l’autre côté, j’ai remarqué qu’il me serait bien difficile pour le moment de retraverser la route. À cet instant précis, je n’étais pas sûre de revoir un jour mes comparses cannois, ni même ma famille, le chemin vers la gare commençant sur le trottoir d’en face. Cannes à ce moment là m’a fait penser à Berlin coupée en deux par un mur. Au premier abord, cet endroit était beaucoup plus calme, mais j’ai eu un gros doute : « Ai-je vraiment le droit d’être là, sachant qu’avec mon jean et mon débardeur, je fais un peu tache dans ce coin rempli de gens sur leur 31 qui se font prendre en photo comme des reusta ? » Alors que je traversais cette marée humaine pour me poster dans un coin isolé, j’ai ressenti comme un pic de stress obstruant ma gorge : Claude Lellouch et Elie Chouraqui étaient à côté de moi. « Où suis-je ? Vais-je me faire entraîner habillée comme un sac sur les marches ? »
Bon après faut les reconnaître.
J’ai décidé de me faire toute petite, de respirer un coup et de réfléchir : j’étais en réalité à la limite des barrières pour ceux qui ont des invitations pour le balcon – c’est simple, c’est marqué sur une petite pancarte. En gros si j’essayais de les suivre, je me faisais refouler. Si j’insistais, je prenais le risque d’être plaquée au sol façon gaspacho sur bitume. J’ai préféré rester tranquille, à ma place, côté badauds.
Après, j’ai deviné quel membre du film était dans les voitures de la délégation du film à travers la vitre teintée en rigolant avec un hollandais de passage à Cannes pour le boulot – homme qui a engagé la conversation par « Alors, y a des gens connus ?
» sauf que j’ai entendu « Alors, y a des gens tout nus ? » et c’était drôle. Point esthétique : avec une écharpe sur la tête, à travers le verre fumé et mes lunettes de soleil sales, Bérénice Béjo reste impressionnante de grâce. C’est insupportable.
Une fois la délégation passée, je me suis rapprochée du tapis : impossible d’en apercevoir la texture molletonnée puisque les gens y défient toute peur de la mort en se mettant debout sur les barrières et les échaufaudages autour. Le truc qui m’a complètement fascinée, c’est le calme qui règne pendant que l’équipe du film fait ses poses devant les photographes. Alors ok, Bérénice Béjo, Tahar Rahim et compagnie ne sont pas des acteurs qui rameutent un fandom hystérique très jeune comme pourraient le faire Emma Watson ou James Franco, mais quand même. Le calme régnait. Les gens filmaient la scène avec leur appareil photo et leur téléphone. Alors que quelques minutes plus tôt, tout le monde courait dans tous les sens, les forces de l’ordre gueulaient et les voitures klaxonnaient, on entendait désormais plus que les voix des photographes et Aquarium de Camille Saint-Saëns. J’en avais un peu des frissons – en même temps j’étais en débardeur à l’ombre.
http://www.youtube.com/watch?v=u6RBf_j5Y7A
Concrètement, toutes les personnes à Cannes pas trop blasées devraient faire un tour au moins une fois à la montée des marches selon moi. On voit carrément mieux à la télé où le tapis et les marches ont l’air beaucoup plus grands, mais l’ambiance n’est palpable que sur place avec ce mélange de respect, de frénésie et d’admiration qui fout les poils en l’air.
Consolation suprême après cette petite heure, on est allés manger un bo-bun dans un restaurant asiatique, Le jardin de bambou (16 rue Macé). Le serveur, adorable, s’est alors approché de notre table pour nous dire encore tout retourné d’émotion que juste avant nous, à notre place, il y avait Jackie Chan. Jackie. Chan. Alison avait posé ses fesses sur la chaise où le postérieur du mythique acteur s’était vautré. Depuis, j’essaie de lui faire promettre de ne plus laver son pantalon et de me le vendre pour pas trop cher.
Quoiqu’il en soit, cette anecdote me rappelle qu’à Cannes, les degrés de séparation entre les célébrités et les autres s’affinent un peu. En fait, c’est paradoxal : il y a davantage de chances d’en croiser, ce qui nous rappelle combien elles ne vivent pas dans le même monde que nous. Dans les soirées, on les voit, mais elles sont dans les carrés VIP. Dans la rue, il est possible de les croiser, mais rarement sans leur garde du corps ou sans voiture blindée. Elles vont voir les mêmes films que nous à quelques heures près, mais dans des séances réservées à une sorte d’élite. Cannes, en fait, me remet en pleine face l’inaccessibilité de la plupart de ceux et celles qui sont arrivé-e-s très haut dans leur art, et la différence de traitement qu’ils ont par rapport à nous simples mortel-le-s. Cannes me remet à ma place de quidam – une place que j’aime, la plupart du temps, mais que je me surprends à regretter parfois depuis que je suis arrivée au Festival. Cet évènement, finalement, me donne l’impression de n’être personne.
Cannes en fait, c’est vraiment pas pipou.
Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
Les Commentaires
Le commentaire de @zola me fait penser : il n'y aura pas de vidéos marrantes cette année pour Cannes ? C'est quelque chose que j'aime bien retrouver chaque année à cette époque, je suis déçue