Ma puce,
Bon, déjà je sais que je ne devrais plus t’appeler ainsi parce que ça fait bien longtemps que tu ne l’es plus, une puce. Tu vas bientôt fêter tes 13 ans, et tu nous clames haut et fort que tu es une grande fille aujourd’hui.
Et c’est vrai tu es grande : tu gagnes en caractère et en répartie, en provocation aussi parfois, tu rentres dans l’adolescence.
Tu verras, ce n’est pas toujours facile, mais je sais que tu t’en sortiras avec brio, comme tu l’as toujours fait dans ta vie.
Quand le cancer a frappé
Aujourd’hui tu as donc 12 ans, bientôt 13. C’est l’âge que j’avais quand toi tu es tombée malade.
Aujourd’hui j’en ai 19, bientôt 20. Et je ne pourrais être plus heureuse de te voir grandir.
J’avais 12 ans quand on m’a dit que le cancer te frappait, alors que tu n’avais que quatre ans. C’était un mercredi, je m’en souviens encore : tu avais passé deux jours à l’hôpital parce que papa et maman pensaient que tu avais une infection des ganglions.
J’avais 12 ans quand on m’a dit que le cancer te frappait alors que tu n’avais que quatre ans.
Mais c’était un rhabdomyosarcome, une tumeur qui s’était logée près de ta thyroïde et qui mesurait cinq centimètres.
Maman m’a annoncé ça en sanglotant, et moi, d’un coup, j’ai pris dix ans d’âge dans ma tête. J’avais 12 ans, je jouais encore aux Playmobil et je connaissais la playlist du Roi Soleil par cœur.
Tout est allé très vite, maman passait une bonne partie de son temps à l’hôpital avec toi et papa travaillait parce qu’il le fallait bien. J’ai tout de suite su qu’il fallait que je sois grande et forte.
Ta maladie… et mon attente
Alors je me suis fait une petite bulle dans ma tête. J’avais mes copines au collège, j’étais toujours nulle en maths, je chantais encore Le Roi Soleil.
Et puis à côté je te voyais vomir, perdre tes cheveux, du poids. Je voyais ta sonde, tes perfusions trop lourdes que tu traînais avec les deux mains.
Je ne pouvais rien faire. J’ai vite compris que le plus grand service que je pouvais rendre à nos parents, c’était attendre et ne pas faire de vagues.
Attendre que tu guérisses, attendre que le crabe perde de son pouvoir.
Vivre les bons jours, comme celui-là par exemple, le plus beau de cette période, peut-être même encore plus beau que celui de l’annonce de ta rémission.
Tu revenais de chimio, tu étais épuisée. Et toi, grosse tête de mule, c’est le jour où tu as décidé d’enlever les roulettes de ton vélo.
J’ai passé deux heures avec toi à te tenir la selle dehors, et à la fin de la journée c’était moi qui te courais après.
La menace de la mort
Papa et maman n’avaient même pas osé dire non, ils n’osaient jamais dire non. Ils te prenaient en photo, te filmaient tout le temps. J’ai vite compris.
Ils voulaient garder des traces de toi, ton visage. C’était comme s’ils se préparaient à ta mort.
Pour moi, c’était impossible à envisager. Je t’aimais trop, c’était impossible, impossible.
J’ai peut-être eu la chance de garder quelques bribes d’enfance qui m’empêchaient de penser à ta mort d’une façon trop violente. Même si j’étais bien consciente que c’était réel, que des enfants mourraient du cancer chaque jour.
Je ne t’ai jamais dit que je t’aimais, je le regrette un peu. Mais je sais que maintenant, j’ai tout mon temps pour te le faire savoir.
Je suis si fière de la personne que tu deviens
Aujourd’hui tu vas avoir 13 ans. Tu grandis si vite. Et je suis si fière de ce que tu deviens. Tu es pleine de vie, de caractère (un peu de cochon), tu ne te laisses pas faire mais ça ne t’empêche pas d’avoir le sens de la justice.
J’écris cet article pour que tu ailles de l’avant.
Tu es gentille sans te laisser déborder. Tu as de la maturité tout en étant encore un peu enfant, et c’est bien.
Si j’écris cet article aujourd’hui, c’est pour toi, pour te dire à quel point je suis fière d’être ta grande sœur. À quel point je t’aime et je crois en toi. Mais je le fais aussi pour que tu ailles de l’avant.
Tu as le droit de vivre ta vie
Je sais que tu gardes des traces du cancer dans ta tête, sur ton corps, avec tes piqûres d’hormones de croissance — parce que même si les traitements t’ont soignée, ils ont aussi endommagé la glande thyroïdienne qui s’occupe de ta croissance, mais ça tu le sais déjà.
Je sais que c’est rassurant de se sentir couvée, ce que papa et maman font beaucoup parce qu’ils n’ont pas fini d’être inquiets pour toi. C’est normal, c’est leur travail de parents.
Maintenant tu as le droit de vivre ta vie et de faire les choses toute seule.
Mais tu comprends, maintenant tu es guérie, tu vas bien. Je sais que cet évènement reste ancré dans notre famille et que c’est confortable d’être plainte de temps en temps.
Mais il faut tenir tête à ça, tu as le droit de vivre ta vie maintenant et de faire les choses toute seule.
Même si tu ne seras jamais seule ; moi je serai toujours là.
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La vie est une découverte
Je serai là pour tes premiers amours, tes premiers chagrins. La vie est une découverte. Ouvre-toi au monde, tu n’es plus en danger, tu peux vivre ta vie comme tous les autres.
Et n’oublie jamais, ma puce, que je serai là à chaque étape de ton parcours et que je t’aime, plus que tout.
Ta grande sœur
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Les Commentaires
J'ai tellement pensé à ma petite sœur en lisant cet article.