Esther est partie recueillir les témoignages des jeunes femmes de plusieurs pays, à travers le monde, avec une attention particulière portée aux droits sexuels et reproductifs : liberté sexuelle, contraception, avortement.
Elle a déjà rendu compte de ses rencontres avec des sénégalaises et sa deuxième étape l’a menée au Liban ! Elle y a réalisé interviews, portraits, reportages, publiés au fil des jours sur madmoiZelle.
Pour retrouver tous les articles et la genèse du projet, n’hésite pas à jeter un œil au sommaire de présentation : madmoiZelle en reportage au Liban !
Tu peux aussi suivre au jour le jour ses pérégrinations sur les comptes Instagram @madmoizelledotcom et @meunieresther, avant de les retrouver ici bientôt !
J’ai posé mon regard sur le camps de Shatila en y mettant les pieds par deux fois, mais j’aimerais vous donner un autre aperçu de ses réalités.
Car deux fois, c’est peu pour comprendre et rendre compte de ce qui s’y déroule. Et qui, mieux que les gens qui y vivent, peuvent le décrire ?
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Personne. C’est la philosophie qui anime Campji : une plateforme médiatique alimentée par les réfugiés, pour parler d’eux-mêmes.
Les jeunes qui participent au projet sont formés et payés : il s’agit d’une véritable expérience professionnelle !
J’ai rencontré Rayan Sukkar, l’une des sept jeunes journalistes qui y officient depuis deux ans, pour qu’elle me parle d’elle et de Campji évidemment.
Le journalisme de terrain, l’essence du projet Campji
Rayan est née dans le camp de Shatila et y a grandi. Lorsqu’elle a démarré ses études, elle a d’abord voulu être dentiste… mais au bout d’un semestre, elle a changé d’orientation car ce parcours était trop cher.
C’est là qu’elle a démarré des études en Médias & Communication, mais l’envie d’être journaliste date cependant de son enfance :
« Quand j’étais petite j’avais un appareil photo, et mon père aimait aussi prendre des photos. Il voulait être journaliste, il vivait déjà dans le camp pendant les années 80 alors qu’une vraie guerre faisait rage à l’intérieur.
J’avais envie de faire quelque chose qu’il aurait aimé faire. Ce n’est pas qu’il m’ait spécialement incitée, mais il m’a inspirée. »
Changer d’orientation n’a pas suffi à réduire les frais de scolarité. C’est pourquoi encore aujourd’hui, en parallèle de ses études, Rayan travaille.
« J’ai les études, Campji, et je fabrique des accessoires de mode et de beauté en cuivre que je vends.
J’ai appris à faire ça avec mon oncle il y a longtemps. Lui il a étudié le droit, mais au Liban il ne peut pas être avocat, c’est interdit pour les réfugiés palestiniens, donc il fait de l’artisanat. »
Les réfugié·es palestinien·nes au Liban sont en effet autorisé·es à pratiquer un nombre très restreint de professions, qui sont souvent non qualifiées. Cela n’empêche pas Rayan de se démener pour avoir la vie dont elle rêve, quitte à peu dormir…
« J’ai vraiment hâte d’être diplômée car c’est un peu difficile de cumuler les études et le travail. »
Ce sera le cas à la fin de cette année scolaire.
Campji, une école de journalisme et un engagement
En attendant, elle travaille d’arrache pied en tant que reporter. Elle fait partie de la première promotion à être formée.
« Je suis membre de l’équipe de Campji depuis deux ans. J’ai vu une affiche dans le camp, puis une amie m’a parlé du projet. »
Bientôt, une nouvelle promotion viendra se former aux techniques du journalisme !
Plusieurs membres de la première ont en effet quitté le projet au fur et à mesure, que ce soit parce qu’ils ont eu d’autres opportunités, parce qu’ils manquaient de temps, ou parce qu’ils ont quitté le Liban.
Pour Rayan, c’est, au-delà d’un apprentissage, une véritable forme d’engagement :
« C’est génial. Tous les jours on apprend quelque chose de nouveau, tous les jours on écoute les histoires des gens. Ça nous a rapprochés de notre communauté et on a désormais le sentiment de faire quelque chose pour eux.
Aujourd’hui, nous avons une voix, ce qui n’était pas le cas avant. C’est nous-mêmes qui racontons nos propres histoires. Ce n’est pas comme si je racontais celles d’autres gens : ce sont mes histoires aussi. »
Campji, parler des camps de réfugiés palestiniens depuis l’intérieur
Elle n’a pas tort lorsqu’elle parle d’engagement puisque son travail fait bien souvent une différence.
Chez Campji, on produit des micro-trottoirs, on fait des enquêtes en évitant de pointer du doigt les factions qui se partagent le contrôle du territoire, on réalise aussi des sketchs, pour rire des difficultés de la vie dans les camps.
Et des portraits. C’est l’exercice favori de Rayan :
« Il y a tellement de gens qui ne sont pas sous les projecteurs et qui pourtant sont doués, talentueux, ils ont du potentiel mais personne ne les connaît.
Ça permet aussi de booster leur confiance en eux, et d’une certaine façon, ça peut leur ouvrir des portes.
Par exemple j’ai fait le portrait d’un jeune peintre, et lorsqu’on l’a posté il a eu une opportunité : une agence de l’ONU lui a proposé d’enseigner la peinture à des enfants.
Il y a aussi cette vieille femme.
Pour moi, le reportage à son propos n’était pas génial… mais je suis heureuse qu’on l’ait fait : elle était très pauvre, et grâce à ce portrait un riche Palestinien a pris connaissance de sa situation et il lui est venu en aide.
Il s’est assuré qu’il y a toujours des gens pour vérifier qu’elle prenne ses médicaments, etc. car elle est vraiment très vieille.
Il y a aussi cette fille, son nom est Hala, elle joue de la flûte. Elle avait l’habitude de jouer dans le camp et après notre reportage, une artiste lui a proposé de collaborer sur de grandes scènes ! »
Campji, une chance d’avoir un impact positif dans les camps de réfugiés palestiniens
Et elle, que lui apporte Campji ? Elle considère que le projet lui a permis de se sentir utile et que c’est déjà beaucoup.
« Camji m’a donné la possibilité de travailler, je me sens chanceuse car j’ai de nombreux amis qui ont de grandes difficultés à trouver des opportunités professionnelles à cause des règles restrictives sur les métiers.
Pouvoir transmettre ces histoires, donner une voix à ces gens, ça me rend heureuse. Parce que je veux laisser une trace, un impact positif.
Ça me rend très fière de produire une vidéo et de voir les réactions des personnes qui la regardent, et des personnes qui y figurent. »
Campji est pour l’heure financé grâce à un partenariat avec la Deutsche Welle Akademie, une branche du service international de diffusion de l’Allemagne qui vise à promouvoir le développement de médias libres dans le monde.
Mais l’équipe espère d’ici quelques années devenir indépendante. Ses reportages, produits en arabe et diffusés sur Youtube mais surtout sur leur page Facebook devraient bientôt être sous-titrés en anglais.
Rayan conclut notre discussion avec ses rêves d’avenir.
« J’ai toujours su que je voulais faire quelque chose de différent, je veux continuer à être une journaliste qui apporte un regard différent. »
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