Dans le but de combattre les clichés contre l’Islam dans notre société, le Collectif contre l’islamophobie en France a lancé une campagne il y a de cela quelques jours. Le projet vise à toucher plusieurs médias avec des spots radio, des bannières à ajouter sur des sites ainsi que trois visuels qui sont ponctués d’un slogan : « L’islamophobie n’est pas une opinion. C’est un délit. »
Le spot destiné à la radio – que l’on peut écouter sur le site de la campagne – rappelle qu’en France, l’islamophobie fait de plus en plus de victimes :
« Des enfants sont mis à l’écart, des familles sont discriminées, des mosquées incendiées, des cimetières profanés. Chaque jour, chaque semaine, chaque mois. Face à cette forme de racisme et de haine, nous devons tous être solidaires. »
Cette campagne a pour objectif de faire connaître l’Islam en dehors de tous les préjugés, de tous les clichés qui touchent à cette religion. Mais aussi de rappeler que les musulmans français – comme l’indique l’adjectif épithète – sont bel et bien Français. Sur le site Nous Sommes La Nation, on peut lire :
« Nous avons conçu nos messages de manière à susciter le questionnement, la réflexion, la curiosité, la connaissance d’autrui, dans le respect de ses différences. Des différences somme toute compatibles avec les valeurs de la République. Cette campagne, pour lutter contre l’islamophobie, permet de mieux connaître les musulmans, dans leur diversité comme dans leur normalité, pour mieux les respecter. »
Les trois visuels s’attachent à aborder l’Islam de différentes façons. Ce trombinoscope, par exemple, met en avant les interactions dans la vie quotidienne entre les personnes, quelle que soit leur croyance ou leur religion :
Ce second nous montre une famille souriante, heureuse et épanouie et nous rappelle au passage que les musulmans ne sont pas tous maghrébins.
Enfin, l’affiche principale reprend le tableau Le Serment du Jeu de Paume de Jacques-Louis David et l’adapte très librement. Dans la foule, on peut remarquer des individus voilés. Le Serment du Jeu de Paume
est un tableau qui immortalise l’un des évènements fondateurs de la démocratie française. En incluant des citoyen-ne-s musulman-e-s dans ce tableau, « les Françaises musulmanes et les Français musulmans revendiquent leur pleine appartenance à la Nation, la pleine compatibilité de leur citoyenneté et de leur pratique religieuse », peut-on lire dans le descriptif du visuel.
Mais nous apprenions hier que la campagne ne serait pas visible dans les couloirs du métro parisien pour une raison très simple : Metrobus, la régie publicité de la RATP, a refusé d’y afficher les visuels. Le CCIF a rendu public la lettre que Gérard Unger (président directeur général de Metrobus) leur a envoyé. Datée du 18 octobre, on peut y lire :
« L’identité de l’annonceur et l’examen de ces trois visuels nous ont conduits à considérer qu’ils revêtaient un caractère politique et confessionnel, contraires aux dispositions du contrat par lequel la RATP nous a confié l’exploitation publicitaire de ses espaces. En effet, la RATP, en sa qualité d’exploitante de service public des transports, a souhaité réglementer la publicité en ce qui concerne l’expression des opinions politiques et religieuses pour répondre à l’obligation de neutralité et de respect de laïcité qui s’imposent à elle. […]
L’interdiction de toute publicité à caractère confessionnel résulte de l’obligation de neutralité que s’impose l’État vis-à-vis de toutes les religions : principe qui se traduit par l’organisation d’un libre-accès aux cultes mais qui peut également prendre la forme d’une interdiction de toute expression confessionelle publique, interdiction à laquelle sont tenus les usagers des services publics, les agents des services publics et par extension, les messages diffusés par quiconque dans les enceintes affectées aux services publics. […]
Le caractère confessionnel des visuels ne peut être contesté en ce que les trois visuels utilisent des signes religieux tels que le voile, et pour ce qui concerne le second, également les péotes, la soutane, et la croix chrétienne. De même, et de surcroît dans le contexte actuel que nous sommes tenus de prendre en considération, le slogan « Nous sommes la nation » et l’utilisation d’un emblème de la nation française qu’est le drapeau français relève du politique et d’une revendication politique. »
(Une lettre à lire dans son intégralité par ici).
Mais Marwan Muhammad, porte-parole du CCIF, juge les arguments de Gérard Unger irrecevables. Joint au téléphone par les Inrocks, il leur explique :
« Leur lettre est traversée de clichés. Montrer les musulmans sur une affiche pour Gerard Unger c’est un geste religieux, comme si la lutte contre l’antisémitisme était par exemple le seul fait des rabbins ! Le CCIF est une organisation non religieuse et non politique. Le fait qu’il identifie cette campagne comme un geste politique et religieux, ça montre que notre société est traversée par les préjugés. »
Que penses-tu de cette justification ? La trouves-tu cohérente, ou te ranges-tu derrière l’avis de Marwan Muhammad ?
(À lire également pour déconstruire les clichés autour de l’Islam : Pourquoi je veux me convertir à l’Islam, fantastique témoignage d’une de nos lectrices.)
Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
Les Commentaires
@Lamina
Je ne reproche pas aux gens d'avoir une religion, je leur reproche d'afficher leurs opinions religieuses dans l'espace public. La différence entre ta religion et ta couleur de peau c'est que la seconde est naturelle tandis que l'autre est culturelle. Ta religion n'est pas inscrite sur ton corps, elle ne t'as pas été imposée par la nature dès la naissance (si elle t'as été imposée c'est par ta famille, ton éducation).
Tu as raison de mentionner les signes communistes. Les symboles politiques me gênent tout autant et si on interdit un jour les symboles religieux il faudra appliquer la même interdiction en ce qui concerne la politique.
Je ne doute pas de ta bonne foi lorsque tu dis que tu ne revendiques pas les violences commises par ta religion, tout comme je ne douterai pas de la bonne foi d'un hindouiste qui afficherait une svastika. Seulement le symbole de la svastika, aujourd'hui en Europe rappelle obligatoirement la seconde guerre mondiale et la shoa, même si le détenteur du symbole fait lui référence à autre chose.
Alors évidemment il y a des degrés, certains signes sont mieux tolérés que d'autres.
Je prend l'exemple de l'Islam puisque c'est cette religion qui propose le plus d'étapes et le plus de symboles visibles (j'ouvre une parenthèse pour poser une question: si l'on parle autant de l'islam ne serait-ce pas justement parce que c'est la religion la plus visible de par ses signes?) et je vous renvoie vers le travail photographique de l'artiste Bouchra Almutawakel (je précise que je n'ai pas fait de recherches pour savoir qui est cette personne et quelles sont ses opinions. J'ai simplement trouvé cette image parlante).
Aujourd'hui en France, un voile est mieux perçu qu'une burka car la burka est le signe d'une pratique religieuse intègre et forcément, si l'on adopte la totalité d'une religion, on adopte également sa violence.
Ce que je reproche à la loi actuelle, c'est d'être floue. On autorise certains symboles qu'ils soient religieux ou politiques, mais on en interdit d'autres. On interdit la burka avec l'excuse un peu hypocrite que cela cache le visage mais on autorise le voile. Il me semble plutôt que les politiciens ont ainsi délimités ce qui est acceptable ou non en matière de signes ostentatoires sans pour autant trop se mouiller. Or, je pense qu'il vaut mieux être justes et carrés: soit l'interdiction s'applique à tous, soit elle ne s'applique à personne et personnellement je crois qu'aujourd'hui en France, il vaut mieux qu'elle s'applique à tous. Je suis persuadée que ne pas savoir quelles sont les pratiques religieuses des autres éviterait bien des tensions.