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Règlement de comptes

Camélia, 400 € de revenus et 1 190 € d’aides par mois : « j’essaie de ne pas penser à la retraite »

Peut-on vraiment gagner sa vie quand on est auto-entrepreneuse ? Comment la santé mentale peut-elle impacter sa situation professionnelle et financière ? Cette semaine, Camelia décortique avec nous ses revenus.

Parler d’argent, en France, c’est encore tabou. Pourtant, c’est un sujet passionnant… et féministe, par certains aspects ! Dans Règlement de comptes, des personnes en tout genre nous parlent de leur budget, de leur organisation financière en couple ou en solo, et de leur rapport à l’argent. Aujourd’hui, c’est Camélia* qui a accepté de décortiquer ses comptes pour nous.

  • Prénom : Camélia*
  • Âge : 37 ans
  • Profession : Costumière
  • Salaire net avant prélèvement à la source : 1 590 €
  • Salaire net après prélèvement à la source : non imposable
  • Personnes (ou animaux) vivant sous le même toit : 3 chats, en colocation avec mon frère et son chien.
  • Lieu de vie : près de Toulouse (Haute-Garonne)

La situation personnelle de Camelia

Camélia a 37 ans et exerce le métier de costumière historique en tant qu’auto-entrepreneuse. Lors du confinement, on lui a diagnostiqué un trouble de la personnalité borderline, qui a fortement impacté sa carrière professionnelle et sa situation financière. Pendant dix ans, elle a exercé de nombreux « petits boulots » avant de trouver sa voie. 

« J’ai été équipière à McDonald’s, serveuse de restaurant, saisonnière en camping, aide à domicile, femmes de ménage pour l’éducation nationale et enfin animatrice périscolaire en école primaire. J’ai galéré pendant des années, à tous les niveaux. Si je n’avais pas été entourée de mon ex-mari et de mes beaux-parents, je ne sais pas comment les choses auraient fini par tourner pour moi, je me demande si je n’aurai pas finie à la rue. Je leur dois énormément. »

Ce sont ses beaux-parents qui ont financé son CAP de couture floue, la formation destinée à devenir costumière. 

Actuellement divorcée mais de nouveau en couple avec son ex-mari, elle vit en colocation avec son frère dans un logement social qui lui a été attribué en 2021 dans un petit village situé à 20 km de Toulouse, « calme et très vert »

«  J’ai eu la chance d’avoir eu un T3 de 2 chambres tout neuf et avec les nouvelles normes écologiques de 60m² avec une grande terrasse au 3e et dernier étage. Je ne paie donc que 500 € de loyer par mois, que je partage en deux avec mon frère. Il a sa chambre et j’ai la mienne (qui est donc aussi mon atelier de travail). »

Camélia et son mari ont vécu 12 ans ensemble avant de se séparer brièvement en 2023 en raison, selon la jeune femme, « de sa situation financière et de son état mental »

« Je suis restée sans revenu pendant quasiment deux ans et malgré moi aux crochets de mon mari. Je remboursais 150 € de prêt, payais l’assurance, mon site internet et ne pouvait gérer un volume de vente plus important pour rentrer dans mes frais. Je ne dégageais dans les bons mois que 400 € de revenus avec mon entreprise, ce qui n’était clairement pas assez. Il m’était également impossible de monter un dossier d’AAH (allocation adulte handicapé) car celle-ci n’était pas encore déconjugalisée, je n’avais pas le droit au RSA ou au APL pour la même raison. En même temps, il m’était impossible de retourner travailler en milieu classique et je me suis donc retrouvée complètement dépendante de mon conjoint qui ne touchait lui que le SMIC. Cette situation, entre autres choses, a eu raison de notre couple et nous avons décidé de divorcer. »

Mais Camélia est aujourd’hui satisfaite de cette situation relationnelle. « Le fait de vivre séparément et moi d’acquérir mon indépendance financière, de ne plus me sentir un poids pour lui et lui d’avoir sa tranquillité étant une personne très solitaire, a créé une nouvelle dynamique dans notre couple. Nous nous voyons plusieurs fois par semaine, partageons sorties et vacances, mais nous sommes totalement indépendants financièrement. Nous avons notre chez nous respectif et pouvons ainsi respirer tout en cultivant les bons moments passés ensemble. »

Quels sont les revenus de Camélia ?

Pour son job de costumière en auto-entreprise, Camélia perçoit 400 € de revenus. Elle reçoit en complément diverses aides financières : 900 € d’AAH (allocation adulte handicapé), 150 € d’APL (aide personnalisée au logement), 60 € de RSA (revenu de solidarité active) et 80 € de prime d’activité, pour un montant total de 1 190 €. Ce qui lui fait un revenu mensuel total de 1 590 €. 

Camélia a conscience que son « métier passion » comme elle le décrit ne lui permet pas de se dégager un revenu convenable, malgré les heures passées à confectionner des costumes. 

« Je me paye très mal avec mon entreprise. Je ne me sens pas légitime à facturer toutes les heures passées sur une confection, tout d’abord par peur de faire trop gonfler les prix et de ne plus avoir de clients. Mais aussi car je me fustige beaucoup par rapport à mon état mental. Si je n’avais pas l’AAH, j’aurais dû fermer mon entreprise. »

Aujourd’hui, la jeune femme a conscience que le cumul de ses revenus la « placent au-dessus du seuil de pauvreté, mais couvre à peine ses dépenses »

« C’est énormément de privations et de sacrifices. J’ai peu de vacances voire pas du tout, je n’ai pas les moyens d’acheter et d’entretenir une voiture sans faire exploser mon budget, et je m’improvise des loisirs pas ou peu coûteux. »

RDC

Comment Camélia gère son argent

Camélia a grandi dans « une famille très pauvre », qui l’ont « habituée aux fins de mois difficiles »

«  J’ai été habituée très jeune à voir l’argent s’envoler dès le début du mois pour régler les factures et le loyer. Il n’y a jamais eu de dépenses pour les vacances ou pour des loisirs. »

Elle a donc, malgré, reproduit ce schéma une fois arrivée à l’âge adulte. Camélia utilise l’argent qui rentre pour payer ses dépenses courantes, « parfois des loisirs ou un petit plaisir », mais elle « ne dépense pas ce qu’elle n’a pas »

« Ce qui veut dire que rester plusieurs mois sans faire de sorties ou d’achats, c’est ma normalité. »

Elle dispose d’un compte courant d’où sont prélevées toutes ses dépenses mensuelles, ainsi que d’un compte professionnel pour son entreprise, depuis lequel elle se fait un virement de « 400 € les bons mois, 200 € les mois un peu plus difficiles », lorsqu’elle a des charges à payer. Son frère, avec qui elle vit en colocation, lui fait chaque mois un virement pour sa part du loyer. Pour les courses, ils les font à tour de rôle, avec leur budget personnel. 

Les dépenses de Camélia

Parce qu’elle dispose d’un logement social qu’elle partage en colocation avec son frère, Camélia n’a qu’une moitié de loyer à payer chaque mois : 250 €. Si on exclut la nourriture, c’est son poste de dépenses le plus important. Elle rembourse chaque mois 150 € pour un emprunt réalisé pour son auto-entreprise

Ses autres dépenses fixes comprennent le règlement de la moitié des factures (gaz, électricité et eau pour 75 € par mois), 70 € pour les télécommunications (sa part d’internet, son abonnement pour le téléphone portable, Netflix, Disney +, Amazon Prime) et 55 € pour les assurances (habitation et mutuelle). 

Comme elle n’est pas véhiculée, Camélia utilise régulièrement le service Uber, et se fait livrer les courses et ses repas, ce qui lui revient à 100 € par mois en moyenne

« C’est la dépense qui est pour moi la plus frustrante : je n’ai pas les moyens d’acheter une voiture et encore moins de l’entretenir, mais je vis dans un petit village très mal desservi en termes de transport en commun. Ainsi je suis parfois obligée de prendre un Uber pour me rendre à un rendez-vous médical et de me faire livrer mes courses. Il m’arrive également en grande phase dépressive de ne plus arriver à bouger de mon lit pendant plusieurs jours et de ne pas pouvoir cuisiner. Je n’ai pas de famille aux alentours pour m’aider alors je m’accorde dans ces moments une livraison de repas à domicile pour pouvoir me nourrir. C’est une dépense que j’aimerai réduire, mais là tout de suite, vu que je suis assez isolée et que j’ai un handicap, je n’ai pas de solution. »

Elle est aussi suivie pour son trouble borderline et cela a un coût : 150 € par mois pour sa thérapie

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« La plus grosse dépense du foyer, ce sont mes chats »

Le budget alimentaire pèse lourd dans le budget de Camélia : elle y consacre 280 € en moyenne par mois, essentiellement dépensés en courses depuis chez Leclerc, qu’elle se fait livrer à domicile. Parce qu’elle est végane et son frère aussi, ils complètent leurs achats avec des produits de chez Biocoop et du marché local. 

« J’étais à 250 € de frais de nourriture mensuel en 2022, j’en suis maintenant presque à 300 € depuis l’inflation. Mais il m’est impossible de réduire ces dépenses car manger équilibré et varié est vital pour ma santé physique et mentale. »

Concernant les dépenses dites « féminines », Camélia les chiffre à environ 90 € par mois : 40 € de crèmes, masques et lotions hydratantes, 30 € pour l’entretien de sa couleur rose et 20 € pour les serviettes menstruelles. 

« Ce sont des dépenses que certains pourraient qualifier de superflues, mais ce sont mes petites plaisirs. »

Elle a par ailleurs « la chance d’avoir un chéri qui prend la charge financière et mentale de la contraception »

Enfin, de l’aveu même de Camélia, « la plus grosse dépense du foyer, ce sont ses chats » : 220 € par mois pour les croquettes spéciales, la litière, les frais vétérinaires et « l’épargne pour les frais de véto imprévus de 100 € » quand elle peut se le permettre. 

Les dépenses loisirs de Camélia

Pour se détendre, s’aérer l’esprit et se faire plaisir, Camélia dépense en moyenne 100 € par mois en couture et en sorties au restaurant ou au cinéma

« Mon principal loisir était le cosplay, mais j’ai plus ou moins arrêté il y a quatre ans par lassitude mais aussi pour une question de budget. De même pour le costume historique, extrêmement coûteux. Maintenant,  je réussis tout de même à me faire quelques créations de temps en temps avec des chutes de tissus ou de matériel. Sinon j’ai un reflex et je fais un peu de photographie. »

Camélia estime acheter peu de vêtements à l’année : 600 € d’achats vêtements sur l’année (200 € en été et 400 € en hiver, pendant les soldes), soit 50 € par mois environ

« Vu le budget alloué, j’avoue j’achète cheap dans les enseignes de fast fashion (Bershka, Stradivarius…) et pas forcément très écolo (parce que les fripes ne me sont pas accessibles et restent souvent hors de mon budget). Mais je ne surconsomme pas, j’achète l’essentiel, et je garde mes vêtements pendant des années, je les rapièce souvent (l’avantage d’être couturière). Je ne jette rien. »

Elle ne confectionne en revanche pas elle-même ses vêtements car cela coûte cher, en temps et en argent. 

L’épargne et les projets d’avenir de Camélia

Une fois toutes ces dépenses réglées, il doit rester à Camélia environ 460 €. Mais elle ne les épargne pas. 

« Je n’ai pas d’assurance vie, pas de PEL, pas de compte épargne. Je ne compte pas devenir propriétaire, et je ne mets de côté que pour des dépenses urgentes (vétérinaires, factures etc.).

Avec mes faibles revenus, j’ai dû très vite faire un choix simple : soit je ne sors pas du tout de chez moi, je n’ai pas d’animaux, je n’ai pas de loisirs, je suis dans la constante frustration, mais je remplis (à peine) un compte épargne à hauteur de 100 € par mois environ quand je le peux, soit je m’octroie des loisirs et des sorties ponctuelles.

Vivre toute une vie de frustration est déjà risqué pour ma santé mentale, mais ça ne correspond tout simplement pas à ma philosophie de vie. Je peux mourir demain, tomber malade jeune, je n’ai pas envie de me retrouver sur mon lit de mort avec une vie vide de sens derrière moi. »

Camélia reconnaît néanmoins essayer de « ne pas penser à sa retraite ». « De toute façon, en tant qu’auto-entrepreneur, on ne cotise quasiment pas. J’ai aussi fait le choix de ne pas avoir d’enfant car je ne pense pas pouvoir lui offrir une vie décente sans m’oublier totalement au passage. »

À terme, son souhait est de pouvoir, grâce à sa thérapie et aux traitements qu’elle suit, de pouvoir prendre davantage de commandes afin d’augmenter ses revenus et ainsi ne plus toucher l’AAH.

Merci à Camélia* de nous avoir ouvert ses comptes.

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Les Commentaires

46
Avatar de LavraiLilith
24 juillet 2024 à 22h07
LavraiLilith
J'ai écrit sous le témoignage d'un couple qui semblait galèrer avec 3000 € mensuels. Ils payaient 3 abonnements de streaming, ce me paraissait comportement hors sol compte tenu de leurs soit-disant galères financières.
On est ici pas du tout dans ce cas. Ces 2 personnes semblent faire ce qu'elles peuvent pour joindre les 2 bouts, avec pas forcément de perspectives d'avenir bien réjouissantes. Elles devraient faire quoi ? Ne rien dépenser en attendant la faucheuse ?? Économiser encore plus sur leurs sources de joies, (pourtant somme toutes assez simples), comme se débarrasser de leurs chats onéreux et de leur abonnement Netflix ? J'ai l'impression que les bonnes âmes prodiguant ces conseils ne connaissent pas le besoin, ou ne l'ont connu que périodiquement. Là, Camélia a près de 40 ans, elle a le droit d'avoir quand même des menus plaisirs non ? Vous savez, une vie à tout compter et à se priver de tout, ce n'est vraiment pas rigolo et je suis contente pour camélia et horion qu'eilles s'octroyer quant même des petits plaisirs.
Ps : un chat, aussi malade est onéreux soit il, apporte beaucoup de joie.
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