Pour celles et ceux qui ont un peu suivi mes tribulations teutonnes, vous n’êtes pas sans savoir que j’ai eu l’immense joie d’avoir trouvé un job étudiant dans un call-center.
Le call-center (centre d’appel en VF), on se l’imagine souvent comme un endroit merveilleux, (un peu) bruyant, à la décoration bucolique grâce à ses murs blancs (ou gris pour les plus funky), une belle ambiance austère, avec des hommes-robots cloîtrés dans leurs boxes répétant à longueur de journée les mêmes choses… …et c’est un peu ca. Mais pas tout à fait. Reprenons depuis le début.
(Les marques citées ci-dessous sont des exemples pris au hasard.)
Le call-center, piège à pigeons (comme moi)…
Novembre de l’année 2010. Je suis fraîchement installée dans une ville d’ex-Allemagne de l’Est pour y effectuer mon Master et épluche les petites annonces à la recherche d’un job étudiant pas trop prise de tête qui pourrait financer mes beuveries du week end et (accessoirement) payer mes factures. BINGO. Je tombe un jour sur cette annonce :
Votre mission si vous l’acceptez
- Communication professionnelle avec un large panel de clients
- Traitement des demandes client (par écrit et par téléphone)
Votre profil
- Très bonnes connaissances (à l’écrit et à l’oral) de l’allemand, anglais, italien, russe ou français
- Très bonnes connaissances informatiques
- Précis, autonome, aimable, fiable, appréciant le travail d’équipe
Exactement (à peu près) moi. Motivée comme jamais, je déposai le lendemain mon CV à l’accueil du grand bâtiment en verre et quelques jours plus tard j’étais convoquée pour un entretien en groupe dans les bureaux de la boîte. Pendant cette étape qui dura environ 1h30, le futur chef (potentiel) nous présenta l’entreprise de manière complètement objective (soit une boîte plus que merveilleuse), les tâches qui nous attendraient, le pourquoi du comment du warum (oui je le rappelle que tout était en VO allemand) et enfin, les candidats devaient passer un test de connaisances avec des questions du genre: « Quelle est la capitale de l’Italie ? » ou encore « 35 + 20 + 100 = ? ». Faciiiiiiiiiiile.
Jusqu’à présent les (gros) mots « call-center » ou encore « hotline » n’avaient pas encore été prononcés (certainement l’équivalent de « Voldemort » dans Harry Potter) et moi je n’avais toujours pas très bien compris ce qui m’attendait réellement.
Quelques jours plus tard j’étais à nouveau convoquée, mais cette fois pour un entretien personnel avec le chef du département. Ce jour-ci on me présenta ce qui serait mon futur environnement de travail : des ordinateurs et des téléphones alignés, et derrière des agents répondant aux appels. Rien de bien compliqué en soit. Je compris dès lors que j’avais atteri dans un centre d’appel et que j’avais passé un entretien pour devenir agent 007 (mieux vaut tard que jamais). Ce qui n’était pas clairement précisé dans l’annonce et lors du premier entretien. Adieu, monde de Bisounours…
Phase 1 : l’enthousiasme du débutant
Après avoir vendu mon âme au diable pour 6,57€ de l’heure signé mon contrat de travail étudiant, (OUI, j’avais vraiment besoin d’argent, j’aurais fait n’importe quoi pour voir le solde de compte sans un « moins » devant), j’étais donc partie pour une période d’essai de 6 mois.
Au début, c’est à dire pendant environ 3-4 semaines, tout semble merveilleeeeeux
(certainement l’euphorie de voir del’argent rentrer dans les caisses), les nouveaux élus reçoivent une formation de 2 semaines : une semaine théorique et une pratique. Dans les premiers temps on ne voit que les avantages du métier, enfin L’avantage de ce job parce qu’il y en avait qu’un seul en fait (mais pas des moindres) : celui de pouvoir choisir ses horaires de travail (avantage réservé uniquement aux étudiants).
Ouvrons maintenant une petite parenthèse relou et entrons un peu dans les détails des tâches (ingrates) de l’agent de call-center. Tout d’abord, en quoi consiste ce job ? Il existe principalement deux différents types de call-center : ceux dont les appels sont sortants, c’est à dire les agents appellent chez toi, toujours à des moments très propices, et te posent moultes questions passionnantes (souvent pour te vendre un truc au final) ou bien ceux dont les appels sont entrants, du type hotline ou numéro vert que tu appelles lorsque tu as un problème avec ton opérateur, ou ta machine à laver par exemple. FORT HEUREUSEMENT, mon job consistait à prendre des appels entrants dans 98% des cas (il m’est arrivé de faire de l’appel sortant, Dieu merci très rarement – non seulement c’est épuisant pour la voix, mais en plus j’ai personnellement détesté ce sentiment de « débarquer » téléphoniquement chez les gens).
Concrètement, les gens qui appellent sont souvent des personnes ayant rencontrés un/des problème(s) et qui attendent de toi que tu leur fournisses une réponse rapidement rapport aux 15 centimes la minute. L’être humain se divise dès lors en deux catégories bien distinctes : il y a ceux qui restent aimables (la plupart quand même, l’humanité n’est pas si nulle que ça) et ceux qui à l’opposé sont complètement odieux. Et bien entendu, le parfait agent n’a pas le droit de raccrocher au nez de ces derniers et doit parfois se laisser insulter copieusement pendant quelques minutes et mettre son ego de côté.
Autre détail qui a son importance concernant le fonctionnement du centre d’appel : ne croyez pas que les grosses sociétés ont leurs propres centres d’appel/hotline à eux tout seul ! Que nenni ! Ces services sont sous-traités par d’autres sociétés (mes employeurs), elles-mêmes sous contrat avec plusieurs boîtes. Ce qui fait que, concrètement, le gentil petit agent est compétent non seulement pour la hotline SFR, mais également pour Leerdamer ou Freebox et reçoit quotidiennement les appels des clients de ces dernières. Mon cerveau mono-tasking a perdu quelques neurones en chemin.
L’enfer c’est les autres …. Phase 2 : la désillusion.
Qu’on se le dise, personne sur terre n’a pour vocation de devenir agent en centre d’appel. Personne. (Du moins je crois)
Du coup, côté employés, le vent de la motivation ne soufflait pas trop sur les plaines de la Bretagne armoricaine dans les locaux. L’environnement et les conditions de travail sont assez pourris et le job, passé 3 semaines, tape très rapidement sur le système, tout ça pour un salaire microscopique. Il faut savoir qu’en Allemagne il n’existe pas de salaire minimum à la française et les salaires des régions situées dans l’ancienne RDA, fortement touchées par le chômage, sont assez bas. On assiste là-bas à un certain essor de la branche call-center qui profite d’une main-d’oeuvre à moindre coût.
Le plus dur pour moi n’a pas été le boulot en soi (il ne s’agit pas de tâches intellectuellement très stimulantes, donc tout à fait ok pour un petit job à côté des études), mais plutôt le fonctionnement de l’immense « machine » ; là bas le personnel se compte par milliers, et tu n’es qu’une minuscule pièce du puzzle facilement remplaçable. Ta rentabilité passe devant ton humanité.
Voici quelques règles à la con propres aux centres d’appel, prises au hasard parmi tant d’autres, histoires de te mettre un peu dans l’ambiance. Elles sont là pour augmenter la productivité (et faire entre plus de $$$$ dans les caisses), normal c’est un peu le but du jeu, offrir le meilleur service possible aux clients, (prendre le maximum d’appels par jour) mais bon, pour le bien-être de l’employé on repassera.
- Big Brother is watching you : généralement on ne peut pas dire que la confiance règne. Tous les faits et gestes des employés sont contrôlés et scrutés grâce à de maléfiques ordinateurs qui savent constamment ce que l’agent est en train de faire : il est au téléphone, il est en pause depuis 21 minutes, il n’a pas pris d’appel depuis trois minutes, il fait pipi (si, si), etc. Et bien entendu il y a toujours quelqu’un pour te rappeler à l’ordre. Ambiance un peu pesante.
- La pause très important : impossible de prendre ta pause avec un de tes collègues. Comme il doit toujours y avoir au moins une personne en ligne, tu peux faire une croix sur le déj’ sympa à plusieurs. La pause, tu la fais seule dans une somptueuse salle avec machine à café et dessins de palmiers au mur semi-déprimant. Le temps est compté à la minute près : quand tu as une pause de 15 minutes, c’est 15 minutes, pas 16 (faut pas déconner non plus)
- La règle que « j’ai jamais trop compris ce qu’elle faisait là » : cette règle m’a rappelé la bonne époque du collège où le CPE et les surveillants te traquaient dans la cour, les couloirs, ou la salle de perm’ pour te demander de ranger éteindre ton portable. Dans le call-center on te demande de ne rien avoir sur ta table hormis le téléphone qui te permet de prendre les appels. Pas de manteau, pas de téléphone, pas de nourriture (tristesse), pas de sac. Le carnet de correspondance pour écrire un mot à tes parents n’y a pas encore été introduit, mais ça ne saurait tarder.
Ces règles sont évidemment nécessaires pour que l’immense machine soit parfaitement huilée, et pour que le maximum d’appels entrent, mais on en vient parfois à des situations WTF où des employés sont là à demander la permission d’ aller deux minutes aux toilettes parce que l’envie est pressante bien que ce soit le rush au téléphone, ou voir des chefs venir te chercher en salle de pause parce que ça fait déjà 32’07 minutes que tu y es alors que tu n’as droit qu’à une demi-heure.
Bref, il existe comme ça une multitude de règles un peu étranges (je ne me souviens plus de toutes) qui déshumanisent complètement l’atmosphère. Je ne comptais plus le nombre de collègues au bord de la crise de nerfs, ou en train d’éclater en sanglots (j’y étais parfois à deux doigts). Triste réalité.
Pour ma part j’y ai travaillé pendant un an et demi et jamais je n’ai entendu quelqu’un dire de son job qu’il lui plaisait (peut-être que je trainais avec la #TeamRâleurs). Je retiens peu de choses de cette expérience, ma mémoire essaie de l’effacer, excepté le fait que très peu de choses m’ont plu durant cette période. C’est ce qu’on appelle dans le langage courant un job alimentaire. Dès que j’ai eu l’occasion de trouver un autre emploi, je me suis fait un plaisir à rédiger ma lettre de démission.
Voilà, je suis sûre que grâce à cet article j’ai fait naître de nombreuses vocations !
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Les Commentaires
Pour ma part, je pète littéralement un câble et je commence à me demander si je ne vais pas rédiger ma lettre de démission.
Toutefois, je pense chercher un autre boulot ou bien encore me reconvertir.
J'ai initialement un Bac+2 en maintenance informatique et réseaux mais je me suis retrouvée en hotline un peu par la force des choses et surtout suite à certains besoins en "attendant".
Comme le Mc Do: je vous le conseille pour connaître au moins une fois cette expérience dans votre vie mais n'y restez surtout pas. Les clients sont odieux la plupart du temps car ils sont pratiquement toujours énervés, agacés et rarement satisfaits de vos services.
D'autres, au contraire, peuvent être sympathiques mais ils représentent un infime pourcentage, malheureusement.
Pour vous mettre dans le contexte:
Mon entreprise vend des logiciels hautes gammes à des grosses entreprises. Nos clients sont très exigeants et il n'est pas rare que notre responsable nous demande de prendre sur nous lorsque le client devient impoli et irrespectueux. L'un de mes collègues s'est ouvertement fait insulté de "petit con" sans avoir pu dire quoi que ce soit. Hors notre responsable lui a demandé de faire comme-ci de rien était et de traiter la demande.
Il faut pouvoir ravaler sa fierté et parfois son intégrité en tant qu'être humain.
Quant à vous, que vous soyez informaticien de base ou bien d'un tout autre secteur, on vous demandera toujours de faire plus et de sortir de votre domaine de compétence. Il faut s'adapter à la demande du client. A tel point qu'il m'est déjà arrivé de faire le travail du client (et je n'exagère pas. J'ai dû remplir des déclarations, faire des recherches en fiscalité, etc.). D'ailleurs j'attends toujours que l'on rajoute certaines lignes dans mon titre Je dois probablement être devenue experte comptable depuis le temps.
Bref, tout ce que vous allez dire et faire compte. Il faut absolument que le client soit heureux. Hors cela n'arrive jamais.
On se sent souvent plus bas que terre mais il faut commencer à faire la part des choses et à se dire que l'on entre dans une sphère où les gens sont étrangement malpolis et capables de vous détruire.
Pour prendre un exemple: j'ai été prise à parti au téléphone par 5 guss en audio call. Ils se sont ouvertement foutus de ma gueule en étant moqueurs et en me posant 36 questions à la fois. A la fin de l'appel, je me suis retrouvée démunie et blasée.
D'ailleurs pour parler des pauses café: oubliez les. Oubliez tout simplement de partager des moments sympas avec vos collègues car chaque minute compte. Si vous n'en prenez pas, c'est encore mieux. Et de toute façon, on ne vous demandera jamais de les prendre pour la simple et bonne raison qu'un hotliner qui reste en poste sans trop se lever: c'est le top. Votre responsable ne viendra jamais vous dire "Prends une pause, tu en as besoin". Ce n'est pas son but de perdre des appels, alors il fera les choses en conséquences tandis que vous exécuterez.
Il m'est déjà arrivé de péter de véritables câbles. Cependant,hormis les collègues avec qui j'ai forgé de véritables liens, personne ne s'est inquiété. Cela est devenu "normal" de s'énerver et de travailler dans un stresse croissant en permanence.
Au bout d'un moment, les collègues se tirent dans les pattes entre eux car la colère d'essuyer moult appels s'intensifie.
"Machin est en pause alors que moi je prends les appels en attendant". Vous saisissez où je veux en venir ?
Bref, je vais probablement démissionner dans les mois à venir et trouver autre chose.
Je me retrouve assez bien dans cet article.