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Moi, moi et moi

Le cafard de la rentrée — Chroniques de l’Intranquillité

Cette semaine, Ophélie est triste et a le blues : c’est la fin du mois d’août et avec elle, la rentrée qui pointe son nez.

— Publié initialement le 26 août 2012

Les vacances sont terminées, t’as acheté ton cartable Chipie ? Moi j’ai toujours rêvé d’un Eastpak qui me dégoulinerait dans le dos, à porter d’une seule épaule comme un titan écrasé sous le poids des douze travaux de ses livres de physique-chimie. Un sac-a-dos cradingue à trente balles que j’aurai pu customiser de citations crypto-marxiste au blanco afin de régner dans le cercle très fermé des fumeurs-de-clopes-sous-l’amphi aux récréations. Mais mes parents n’ont jamais voulu que je possède un Eastpack véritable, j’ai hérité d’une vague copie chinoise et j’ai raté ma vie sociale lycéenne à cause de détails comme celui-là.

Photo cc flickr Firesam!

Photo cc flickr Firesam!

J’ai toujours détesté la rentrée, même quand j’ai été assez grande pour décider que cette année-là – et pourquoi pas la suivante – je ne rentrerai nulle part, je resterai en dehors de tout. Là encore j’ai détesté septembre, même lorsque la fac commençait mi-octobre à cause des amphithéâtres bloqués et des cours à rattraper; je n’aimais pas ce mois-là.

Ces derniers temps lorsque je fais mes courses j’évite avec soin le dédale des stylos plumes qui tâchent les doigts, celui des cartouches Parker qui coûtent une blinde et qui s’explosent au fond de la trousse en tissu enduit et rugueux. Au rayon des fournitures scolaires les familles se disloquent « Maman, tu ne m’aimes pas si tu ne m’achètes pas un cahier Oxford à gros carreaux, marge peinte en rouge, couverture cartonnée et papier doux doux doux pour y recopier des mots et des concepts bien durs. Tu veux que je rate mon année ? Ma vie ? Hein, c’est ça ? »

Et l’agenda dans lequel les copines vont nous écrire des mots d’amour qui ne dureront qu’une année ou trois et auxquels on repensera quelques siècles plus tard en regardant leurs photographies Facebook de femmes épanouies, mariées et primipares ou sur le point de l’être. C’est essentiel, le choix de l’agenda, le cahier sur lequel on notera toutes les choses que l’on ne fera pas.

Bon sang, qu’est-ce que je déteste la rentrée. Moi je reprends des vacances en septembre, je pars avec les retraités faire le tour des plages que vous avez cruellement abandonnées, je rends des visites de courtoisie aux vendeurs de churros qui pleurent dans l’huile de leur friture, je fais tourner le petit commerce des échoppes de cartes postales qui ne voyagent vers nulle part.

Dans la ville c’est partout qu’on se retrouve en prenant un air un peu surpris et qu’on échange sur nos souvenirs de vacances « Vous êtes parti où ? Ton mélanome est au top, plutôt côte Basque ou Méditerranée ? Ah oui, je suis bien d’accord, la Côte d’Azur c’est pour les ploucs, les derniers prolos que la classe ouvrière n’a pas eu le temps d’assassiner. Moi j’ai fait du surf à Hossegor, entre deux boutiques Quicksilver j’ai pas eu le temps de m’ennuyer ! »

Si tu n’as rien fait de ton été tu es socialement inexistant car en vacances il faut travailler du ciboulot, il faut se reconstruire, arriver en septembre en homme nouveau, plein de projets, d’idées et d’ambitions.

Car c’est le mois maudit des inscriptions aux cours de gym, aux cours de dessin, aux cours de poney, aux cours de macramé-scrapbooking, aux cours de cuisine-moléculaire-sans-gluten, aux cours de langues scandinaviques, aux cours d’accomplissement de soi-même, aux cours de gens au courant de tout qui trouvent qu’ils n’en font pas assez et se rajoutent des activités épanouissantes pour sortir du quotidien.

Moi je ne critique pas, mais les activités j’ai toujours détesté ça aussi. Les « Et toi tu fais quoi en dehors ? (du travail, des cours) » et autres « c’est quoi tes hobbies ? »; mes hobbies c’est de hurler des « CHUT » aux spectateurs bruyants pendant les bandes annonces du cinéma et de lire des livres dans les bistrots en surlignant en ROUGE les passages importants; jamais eu besoin de prendre de cours pour ça. Alors aux yeux du monde je passe pour celle qui ne fait rien d’épanouissant, à la rentrée. C’est un comble, parce que c’est évidemment eux qui en font trop. Ces multi-tâches, multi-occupés qui passeront le reste de l’année à râler parce qu’ils n’auront jamais le temps de ne rien faire entre le yoga, le boulot et l’ameublement du quatre-pièces chez Maisons du Monde.

Non décidément, septembre est un mois très emmerdant. Il me pose problème, il faudrait voir à le sacrifier sur le calendrier, ou à l’alléger, je n’en sais rien; mais il y a beaucoup trop de méchants enjeux et de souvenirs traumatiques qui se ravivent pendant ces trente jours.

Le plaisir de la nouveauté et du changement est sans cesse gâché par l’évocation du passé, le souvenir des premiers jours d’école dans une classe où l’on ne connaissait personne, à user toute son énergie en essayant de passer pour quelqu’un de sympathique avec qui on aurait envie de partager des paupiettes de veau à la cantine le midi. Le souvenir des enfants qui hurlent aux portes des écoles, les pieds serrés dans des chaussures propres et notre désarroi devant le changement obligatoire que tout le monde semble s’imposer.

Oserais-je dire qu’à la fin de cet été je suis encore exactement la même qu’avant le mois de juin (en faisant abstraction de mes traces de maillot de bain que personne ne voit de toute manière – et qui s’estompent inéluctablement mais néanmoins tristement) et que cette monotonie existentielle va probablement durer encore un peu ?

On va essayer de me contredire, je le sais bien. Il paraît qu’il y a des gens qui attendent IMPATIEMMENT la rentrée, pour eux c’est synonyme de renouveau, de rythme et d’amitiés retrouvées, de changements prometteurs, d’automne confortable et de feuilles mortes qui craquent sous les pieds.

Moi aussi j’aime l’engouement de la rentrée littéraire, le changement d’une Miss météo que tout le monde trouvait mauvaise par une nouvelle Miss météo que tout le monde s’accordera à trouver encore plus mauvaise sur Canal+.

grandjournal

Je voudrais aimer le mois de septembre mais il y a ce cafard qui se glisse insidieusement en moi lorsque je vois le soleil se coucher chaque soir un peu plus tôt et qui m’empêche d’apprécier l’amplitude du renouveau qui s’offre à moi. Septembre aura toujours cette odeur de colle Cléopâtre à l’amande amère et de plastique neuf qui me pèse sur l’estomac.


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Les Commentaires

37
Avatar de laura421
28 août 2014 à 11h08
laura421
(du coup BIM 2 fois...) Blague à part, moi je pars en septembre. Comme ça, j'ai en plus le plaisir de partir guillerette quand les autres reprennent. Autour de moi les gens sont plutôt pas enthousiastes quant à la rentrée en fait...
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