Si je n’ai jamais vraiment remarqué la disparition de la publicité sur le service public, c’est peut-être parce que j’ai délaissé le 13h de France 3 au profit d’émissions culturelles présentées par Matthieu Delormeau sur NRJ12.
Quoi qu’il en soit, en cette période pré-festive, je bénis la réforme de l’audiovisuel qui nous dispense du martelage saisonnier abêtissant destiné aux enfants. Ainsi qu’aux parents naïfs pensant réellement qu’offrir à leur môme un nouveau gadget électronique à cinquante balles feront d’eux des géniteurs d’exception.
Tout le monde sait pourtant que les enfants, à l’instar des chats, préfèrent jouer avec un bout de carton plutôt qu’avec n’importe quoi d’autre et que ces rennes joyeux chantant aux côtés du Père Noël dans les publicités font effroyablement peur.
Cette année j’échappe donc (un peu) aux publicités pour les petites voitures télécommandées, les nouveaux poupons tellement réalistes que si tu l’oublies au supermarché une alerte enlèvement se déclenche immédiatement sur toutes les radios de France, les jeux de société auxquels toute la famille participe dans l’allégresse (alors que dans la vraie vie personne ne veut se lancer dans une partie de Trivial Pursuit de trois heures) ?
Je savoure le luxe de ne plus avoir dans le crâne ces refrains obsédants dignes des pires pubs Mercurochrome, mais ça ne suffit pas à me faire oublier la pression psychologique et sociale qui entoure ces foutus cadeaux de Noël.
Je viens d’une famille où on ne se fait pas vraiment de cadeaux en cette sainte occasion – on ne fait rien de très catholique non plus, c’est-à-dire qu’on bouffe et qu’on se couche en attendant la crise de foie du lendemain – en bref, on a compris l’essentiel des festivités.
Je suis tombée dans la circonspection la plus totale en découvrant que certaines personnes pensent à leurs achats de Noël dès octobre et claquent leur treizième mois en frivolités qui ne font même pas vraiment plaisir.
Car qui peut réellement se réjouir en subissant le choix arbitraire d’un coffret de parfum (« Pendant huit mois, Miss Dior Chérie tu porteras
»), le pull-over Benetton en laine-qui- pique, les romans de Katherine Pancol qu’on avait jamais eu l’intention de lire ou les coffrets de cuisine pour apprendre à faire des macarons sans poche à douille mais avec des empreintes en silicone ?
L’intention ne compte pas, je me bats contre cette maxime qui sert de paravent aux lâchetés (ex-aequo avec « L’important c’est de participer » et « Ça a le mérite d’exister »). Je préfère que mes proches s’offrent des choses qui leur feront plaisir à eux, pour eux, entre eux, plutôt que de saigner leur carte bleue en essayant de deviner mes désirs. (digression tout a fait désintéressée – : je préfère les marrons glacés aux truffes en chocolat, le foie gras aux calendriers de l’avent, le tanin du St Emilion aux rouge à lèvres Yves St Laurent, je prépare des gâteaux 35h par semaine mais je ne veux pas de livres de recettes pour apprendre à faire des Cheesecakes ou des Panna Cotta).
?Donc, le Noël des adultes, c’est une affaire réglée de mon côté, je ne passerai pas trois ans à me creuser la cervelle pour trouver une idée – une clémentine, un bisou et au lit. Ce qui m’étonne un peu plus, c’est de constater que mon intransigeance faiblit face à la candeur enfantine.
Chat attendant patiemment de crouler sous une pile de cartons vides, ludiques, économiques et modulables.
Pourquoi est-ce que je regarde les catalogues de jouets pour enfants aux abords des fêtes ? Je n’ai pas de réponse rationnelle à cette question, cela appartient à la métaphysique, ce sont les mêmes raisons qui me poussent à m’offrir un calendrier de l’avent Kinder alors que j’ai vingt-quatre ans et que je n’aime pas particulièrement le chocolat, c’est pour ça que je fréquente les marchés de Noël alors que je n’y achète rien puisque tout y est hors de prix, c’est pour cela que j’ai quinze paires de chaussures pour seulement deux pieds : Je ne sais pas quelles motivations se cachent derrière ces actes irraisonnés, probablement est-ce une tradition de l’absurde que l’on se plaît tous à perpétuer – aussi je n’y réfléchirais pas davantage.
J’ai l’impression qu’il est encore plus difficile de choisir un cadeau pour un enfant que pour un adulte car les faux pas sont encore plus nombreux et connotés, et qu’un gosse ne se privera jamais pour vous dire que votre cadeau est naze. Petit florilège de bourdes :
- Le cadeau sexiste : offrir une poupée à une petite fille – pire, offrir un chariot de ménage avec serpillères à paillettes inclues. Par extension, offrir n’importe quoi de socialement genré à un enfant fait naître d’intenses questionnements et des remises en question sans fin sur sa propre vision du monde.
- Le cadeau – projection : c’est l’histoire d’une mère qui avait offert à sa fille une « tête à coiffer » parce qu’elle avait toujours voulu en posséder une lorsqu’elle était enfant. Sa fille, elle, ne nourrissait pas les mêmes rêves capillaires et ne voyait dans ce jouet qu’une tête guillotinée et hirsute. De longues nuits cauchemardesques s’ensuivirent.
- Le cadeau pédagogique : tellement pointu qu’il en a oublié d’être réellement ludique, il est aujourd’hui nécessaire d’affirmer que n’importe quel jouet possède une caution intello. Autrement dit on ne fait pas que s’amuser, on apprend également : la dimension éducative est absolument essentielle, même lorsqu’on achète un sac de billes il faut pouvoir assurer qu’il s’agira d’en faire une leçon de géométrie.
- Le cadeau nuisible : c’est-à-dire le cadeau bruyant. Le cadeau qui promet une initiation à la musique en appuyant sur trois boutons et en jouant les quatre mêmes refrains jusqu’à ce que mort s’ensuive. Le cadeau qu’aucun parent n’achèterait mais qu’un oncle finira forcément par offrir.
Moi, je suis partagée entre la crainte du faux pas sexiste et l’abus du politiquement correct lorsque je feuillette ces catalogues divisés entre les jouets chiants pour filles parés de rose pastel et les tracteurs ou les nécessaires de petit chimiste destinés aux garçons.
On ne s’improvise pas Père Noël du jour au lendemain. J’ai abondemment joué avec ma Barbie biatch cabriolet lorsque j’étais enfant et pourtant aujourd’hui je n’ai toujours pas passé le permis – je ne fantasme même pas particulièrement sur les Ken possédant une décapotable, c’est dire si j’ai vite oublié mes projections enfantines. Je pense même que dans mon cas, la frustration de ne pas avoir eu le jouet tant convoité aurait eu davantage de conséquences sur la durée plutôt que l’obtention immédiate de ce jouet sexiste… Preuve ?s’il en faut que ce sont les projections et les croyances plutôt que les objets en eux-même qui sont problématiques.
Mais puisque je ne sais pas dans quelle mesure les jouets qu’on propose aux petits vont les conditionner dans leur vie future, je n’offrirai qu’un bout de carton à Noël – en espérant qu’une Dolto de comptoir ne viendra pas me dire que je suis en train de les transformer en futurs SDF. Moi je veux seulement les préparer au vrai sens des fêtes de fin d’année – le plaisir d’être ensemble.
(Ou le foie gras et les marrons glacés, selon le déplaisir observé dans l’assemblée.)
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
Les Commentaires
Je suis vraiment contente qu'on fasse ça comme ça, car souvent (mais pas toujours effectivement), quand je regarde dans les familles qui s'offrent des cadeaux les uns les autres, ce sont des cadeaux qui ont été cherchés en rush et qui ne font pas plus plaisir que ça. Je regrette vraiment le côté commerciale de Noël. Après ce n'est que mon avis, si vous offrez des cadeaux chaque année et que vous aimez ça, je comprends tout à fait et tant mieux si ça vous rend heureux. Je passe juste pour dire qu'il y a des familles qui n'en ont jamais ressenti le besoin ni l'intérêt et chez qui ça se passe toujours très bien.