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Humeurs & Humours

Lettre ouverte à ces enfoirées de cabines d’essayage

Chère cabine d’essayage : hier, je suis allée faire les soldes mais je n’ai rien trouvé. Je pense que c’est en grande partie ta faute. Maintenant il faut vraiment qu’on parle.

Publié le 25 juillet 2013

Chère cabine d’essayage,

Tu n’es qu’une sale chienne.

Je suis éplorée de devoir te mettre ça dans la face mais c’en est trop. Comme diraient les jeunes, tu m’as saoulée.

truth

Tout à fait, et ça va faire mal. 

Vingt-et-un ans que tu m’empoisonnes la vie avec tes manières de bouchère du Moyen-âge.

J’ai l’impression que tu fais tout pour me traiter comme le pire des étrons. Peut-être ne t’en rends-tu pas compte ; laisse-moi éclairer ton plafonnier.

Cachez ce slip que je ne saurais voir

Déjà, je te somme de te vêtir un peu plus et surtout un peu mieux. Parce que tes rideaux qui se coincent au milieu de la tringle, y en a assez. Je ne parle même pas de ceux beaucoup trop courts et du phénomène de « je tire d’un côté pour mieux découvrir l’autre ».

Certes, la crise est là, mais tu sais IKEA vend le tissu au mètre : tu devrais aller y faire un tour. Parce que c’est pas toujours agréable de passer un quart d’heure à se mettre bien en place, alors que la vendeuse vient d’implorer les clients de se diriger vers les caisses et que je dois absolument passer acheter du Paic Citron avant la fin de la journée.

Je n’ai jamais été pudique. Mais faut pas pousser : pour essayer un pantalon passe encore, ça me met presque en joie de dévoiler mon slip à motif liberty. Mais toi, tu en fais toujours trop.

Et voilà que tu pousses le vice à toujours t’entrouvrir, rien qu’un peu, alors que c’est quasiment nue comme un ver que j’enfile un joli caraco en soie de Chine. Bien que ma callipygité extrême me porte loin de toutes critiques (non), tu joues de ma faible confiance en toi ET en moi. C’est pas vraiment très cool.

Le mieux est l’ami du bien

Laisse-moi te dire que chez toi c’est vraiment pourri. C’est une chose que de ne disposer que du strict minimum, mais, lorsqu’on décide d’inviter des gens chez soi il est pour moi impératif de faire un effort. Si un candidat d’Un dîner presque parfait décidait d’accueillir ses convives au coin d’une table d’appoint LACK et assis sur des cageots de Chouffe, je ne suis pas sûr qu’il rafle beaucoup de points. Et toi… c’est un peu pareil.

Si j’avais un conseil à te donner : investis ! Devoir poser ma potentielle petite robe en tulle préférée par terre faute de crochet, c’est pas cool. Pire, quand je suis aussi riche que Bill Gates et que je veux me la jouer Massimo Gargia en achetant un dixième du magasin je fais comment ? Je ne fais pas. C’est ta faute.

Déjà tu devrais changer de personnel : ils m’enquiquinent avec leur règles de six articles maximum à la noix. Et même : admettons que j’ai réussi à passer la barrière faisant office de douane du temple de la désillusion.

Admettons que j’ai caché dix pulls, deux jupes longues, trois écharpes et une paire de santiags dans mon arrière-train.

Admettons que je me suis présentée à la dame en articulant difficilement « UUUUUUNNN » et que je me suis traînée vers toi comme un orvet à H-1 de la mort (et pourtant ça dure trente ans ces trucs). Admettons.*

J’en fais quoi, moi, de mes dix-sept précieux articles, avec tes deux pauvres crochets ? Je me les mets dans le fion, c’est le cas de le dire.

Pour tout te dire, je crois que tu me fais un peu pitié. Tu as l’air un peu triste, lasse, morne et stoïque. Je me doute qu’à force de voir les tronches des gens passer, et de devoir supporter tout ce ballet artistique, tu dois être un peu blasée.

Mais tu devrais quand même faire un effort, et surtout arrêter de te venger sur les personnes qui veulent bien te rendre visite. Ce qui m’amène au troisième point.

* Toute ressemblance avec un sketch de Bigard serait fortuite et totalement déplacée.

All of the lights in here baby

Comment as-tu pu oser te doter de ce type d’éclairage ? Pourquoi ? À la base, tu as été créée pour glorifier nos cuissots dans cette mini-jupe en satin. Tu es censée faire vendre cette foutue paire de cuissardes en simili-cuir qui font pourtant une jambe d’hippopotame. Tu devrais nous flatter, nous caresser dans le sens du poil. Mais non.

Je ne sais vraiment pas si tu le fais exprès, ou juste que tu es complètement teubé, mais je le répète : qu’est-ce que c’est que cet éclairage ? Cette lumière blafarde qui fait un teint bien pire encore que ce cher Billy dans Hocus Pocus ?

Mes cernes ressemblent à deux sillons creux d’où on entrevoit les ténèbres. Mon visage est constellé de rougeurs et d’imperfections, un peu comme le ciel, mais en très moche.

morning

Et que dire de la manière dont tu traites mon corps ? Alors que ce matin il me semblait normal, me voici devant une bouée vivante avec la peau aussi tendue que celle d’un Sharpei.

Tu sais, mettre en place une ampoule qui fait autant ressortir la peau d’orange est presque un crime. Tu arrives même à en créer là où il n’y en a pas, tout le monde en parle, pas besoin de te voiler la face.

Et que dire de ce miroir ? Il aurait pu être emprunté par la maison du rire de la fête foraine de Bar-le-Duc, ne nie pas.

En fait, tu n’es rien qu’un poison de deux mètres carrés.

Au fond, on t’aime bien quand même. Enfin, un peu.

C’est peut-être pour ça que tu t’évertues à monter le volume de la musique du magasin : ainsi les gens n’entendent pas les plaintes morbides des victimes à qui tu voles estime d’elles-mêmes et argent durement gagné.

Heureusement pour tes fesses en bois, je ne peux pas t’en vouloir longtemps. Je suis rancunière mais jamais quand il s’agit de faire des affaires. Et parfois, j’ai l’impression que tu te transformes soudainement. D’une morgue défraîchie, tu mutes en catwalk. L’orgasme vestimentaire, c’est un peu à cause de toi aussi.

Aujourd’hui je crois que je te hais autant que je t’aime d’amour. T’écrire c’était l’occasion de te remettre les tringles bien droites mais aussi de te faire part de ma dévotion.

love

Parce qu’on a quand même passé des bons moments, toutes les deux. Parfois j’ai même eu l’impression que tu brillais un peu plus, pour faire scintiller ce petit top à sequins (et ma rétine en même temps).

Parfois tu as la bonne idée d’ajouter un miroir qui me permet de me voir sous toutes les coutures — même le grain de beauté sur ma fesse droite, que j’imaginais beaucoup plus gros. Tu me fais vivre des expériences incomparables, et continues à me faire kiffer la fripe.

Tu sais te faire incomparable : que je te croise chez H&M, Mango ou Noze, tu as toujours ton empreinte à toi, et ne ressembles à aucune autre. Tant d’expériences visuelles à toucher du doigt !

Et puis je te comprends finalement : à force de croiser des gamines pré-pubères t’adresser leurs plus belles tronches de canard, c’est normal que tu fasses un peu la gueule. Mais la vie continue : tu devrais la voir du bon côté.

D’ailleurs, je pense que c’est à moi de me modérer. Je ne devrais pas prendre trop à coeur tes vilaines piques, et faire plus confiance à ma cellulite. Si j’ai décidé que ce combi-short me va, il me va, c’est tout.

J’espère que je ne t’ai pas trop secoué le plexiglas, que tu n’es pas trop choquée et que tu m’accepteras derrière ton paravent encore quelques fois. Surtout que j’ai prévu de venir lorgner les devantures. À 18h30, ça te va ?

Sans rancune, love.


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Les Commentaires

14
Avatar de Endless
12 avril 2017 à 20h04
Endless
Les portes c'est tellement mieux, je ne compte plus le nombre de fois où des enfants en bas âge sont venus tirer violemment le rideau de ma cabine... (me laissant à moitié nue et hurlante au regard de tous). C'est ma plus grande hantise dès que j'entends un enfant dans le coin, ça et le fait de marcher en chaussettes sur le sol poussiéreux (du coup je me contorsionne pour mettre le moins possible le pied par terre, et je manque de tomber). Toute une poésie !
Cependant les double miroirs m'ont fait prendre conscience que mon dos est un véritable chantier tordu dans tous les sens, souvent je passe un bon moment à me reluquer la colonne vertébrale .
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