« C’était une évidence, je ne me voyais pas faire autrement que transmettre ma foi à ma fille. C’est quelque chose qui me fait vivre. »
Claire est maman d’une fille de 6 ans et a elle-même grandi dans la foi catholique. Elle pratique plutôt à la maison :
« On prie en famille, on prépare le carême avec des bouquins, l’avent avec des calendriers religieux… Pour moi, il faut que ça reste vivant, ludique et joyeux ! Si on n’a que le côté formel avec les enfants, ça ne marche pas. »
Pour la psychologue Valérie Naeye, ces moments autour de la religion peuvent aussi être un « prétexte pour passer du temps ensemble », par exemple autour d’une histoire du soir, autour de livres pour enfants qui évoquent la religion. Et hériter d’une foi, c’est hériter d’une culture familiale, d’habitudes, de valeurs communes :
« Certains font de la musique sur des générations, d’autres du sport, et d’autres vont aller à la messe et chez les scouts ! »
Les valeurs que souhaitaient transmettre Maëlle, membre d’une paroisse protestante à Strasbourg et mère de trois jeunes enfants, ce sont celles de partage, de vivre ensemble et de bienveillance. Et pour elle, « la Bible, c’est un bon support ! ». Valérie Naeye estime effectivement que les religions peuvent être un outil utile pour « la question des règles et des limites, et pour donner des repères ».
Même Henriette, une jeune maman non pratiquante, pense qu’il y aura du bon à ce que son mari engagé dans l’église emmène son enfant à la messe, plus tard :
« Même s’il y a des sujets problématiques dans l’Eglise catholique — au hasard, il n’y a jamais aucune femme nulle part — tout n’est pas à jeter : “aimez-vous les uns les autres“, c’est un précepte qui est aussi important dans une vie laïque. »
Des valeurs « structurantes »
Adeline, qui élève deux enfants de 4 et 5 ans dans la religion juive, se met à hauteur d’enfant pour diffuser ses principes humanistes :
« Je leur dis que Dieu est content si on aide quelqu’un dans le besoin, ou si on prête ses affaires, si on n’est pas égoïste. »
Danya, maman blogueuse de confession musulmane essaye de « donner un cadre » à ses enfants de 4, 6 et 8 ans et de les éduquer « aux bonnes manières, aux valeurs d’empathie, de solidarité et de respect ». Elle estime comme Claire qu’il ne s’agit plus d’imposer une autorité à travers la religion, mais « d’être davantage dans le partage ».
Un équilibre a priori bénéfique, d’après Valérie Naeye :
« Si les valeurs portées par la famille font écho au jeune, si elles sont structurantes, si elles rassurent, il n’y a pas de raison d’aller contre. Mais quand ces principes n’ont plus trop de sens pour lui, s’il est allé se confronter à autre chose, il va peut-être remettre en cause cette éducation religieuse. Après, la croyance, c’est propre à chacun·e. »
Bruno Michon, sociologue dont la thèse portait sur la culture religieuse des ados en France et en Allemagne, explique que la famille et les institutions religieuses ne sont plus « les premières pourvoyeuses » de cette culture religieuse.
« Les enfants qui grandissent dans une famille croyante pratiquante sont une minorité en France (moins de 1 sur 10), et ceux-là doivent faire le tri entre ce que leur transmet leur famille et ce qu’ils voient de la religion dans la culture populaire, les films, les séries, et ce que leurs amis d’autres obédiences ou athées leur renvoient. »
Pour l’instant, Danya a constaté que ses enfants s’approprient la foi à leur manière, et que cela la fait réfléchir sur sa propre spiritualité :
« Les voir grandir et s’interroger me pousse à approfondir mes connaissances à moi, et à explorer différentes problématiques du point de vue de la foi. Comme les enfants ont besoin de comprendre pourquoi on fait ci ou ça, on cherche à donner du sens à ce qu’on fait. »
Parfois, leur façon de comprendre les choses peut faire sourire : Marie, catholique mère de deux jeunes enfants, raconte que son aîné de 4 ans s’est demandé : « Si c’est Jésus qui apporte de l’amour et de la joie, comment ils faisaient les gens, avant, pour être heureux ? »
Valérie Naeye explique que jusqu’à 6 ans, la compréhension de l’enfant est de l’ordre de « la pensée magique » :
« Il n’a pas encore accès au raisonnement et est centré sur son imaginaire. A ce stade, qu’on parle de Dieu ou du père Noël, c’est pareil : l’enfant va s’inventer sa petite histoire ».
C’est vers 3-4 ans qu’il commence à poser des questions sur ses origines, sur l’existence, sur la mort et sur la sexualité. « Alors, l’adulte va lui-même apporter sa petite histoire pour lui répondre. Et raconter ce qui le rassure, lui. »
S’assurer de transmettre une foi « fun »
Vers 6-7 ans, « c’est l’aspect cognitif qui prend le dessus », explique-t-elle. « L’enfant va se demander “Mais alors où est Dieu ?“ Il va davantage intellectualiser, se renseigner, apprendre ».
Par exemple, Anne, membre d’une paroisse protestante, raconte que ses filles ont adoré le catéchisme :
« Quand ça s’est arrêté, elles étaient comme orphelines, il leur manquait ce groupe de réflexion. »
Soucieuse de ce que l’institution passe comme message à leurs enfants plein de questionnements, ces mères cherchent le lieu qui correspond à leurs valeurs. Maëlle a fait un tour des paroisses de la ville pour « voir un peu l’ambiance » et choisi la même paroisse qu’Anne, un lieu « vivant », qui proposait un « culte à quatre pattes » pour les tout-petits : « c’était super, on parlait de Dieu et de la Bible en faisant des jeux ». Sinon, le vecteur convivial qu’elle a trouvé, c’est « plutôt le scoutisme », qu’elle s’apprête à faire découvrir à son aîné de 6 ans. Anne a été séduite par les dimanches dédiés aux enfants, une fois par mois. Et ses ados « adorent » les animations du groupe jeunes, notamment les séjours à la montagne avec un pasteur snowboardeur !
Marie, catholique pratiquante, se « retrouve dans la spiritualité de Taizé », une communauté œcuménique très ouverte sur le monde, qui a ses propres célébrations, prières et chants. Elle dit « ne pas du tout se reconnaître dans la frange identitaire de l’Eglise » et cherche plutôt à passer un message d’accueil des plus fragiles et des exclus. D’ailleurs, elle et sa petite famille accueillent des demandeurs d’asile à la maison, dans le cadre d’un programme jésuite.
Adèle, une maman d’une fille de 6 mois, qui se réclame d’un judaïsme « traditionnel », se réjouit que « depuis quelques années des courants de juives orthodoxes féministes voient le jour », notamment avec l’association Kol’elles et Myriam Ackermann : « les choses évoluent bien ! »
La religion comme héritage culturel
Pour elle, la religion, ça imprègne tous les aspects de la vie :
« Les gens ont du mal à comprendre que le judaïsme n’est pas qu’une religion. C’est une culture, c’est un peuple. »
Ainsi, la transmission n’était « pas un sujet », même si elle estime que « chacun·e donne ensuite la place qu’il veut à la religion dans sa vie ». Avec sa famille, elle célèbre shabbat tous les vendredis soirs. « Et ma fille voit son papa prier à la maison avec le phylactère (parchemin avec des versets de la Torah) attaché au bras ! » sourit-elle.
Toute la famille mange casher, et c’est un des premiers défis à gérer, puisque sa fille « commence à manger du solide et passe bientôt à la viande ». C’est une des raisons qui la pousse à envisager de la scolariser dans un gan (école maternelle confessionnelle) : « au moins, on ne se pose pas la question de la nourriture ! » Elle trouve aussi que cela lui donnerait « une bonne base » pour découvrir sa religion et sa culture, avec des chants et des notions sur les fêtes.
Les enfants d’Adeline vont aussi en école confessionnelle, mais pratiquent le sport « en-dehors de la communauté », et « ça leur permet de se confronter à d’autres enfants, de se questionner sur nos pratiques », explique-t-elle.
« Ils demandent : “pourquoi eux ils fêtent Noël et pas nous ? »
« C’est ce qu’il y a de plus intéressant dans la religion », avance Valérie Naeye :
« Elle permet la différenciation entre le moi et l’autrui, et constitue un espace extraordinaire de socialisation. Pourquoi certains ne mangent pas de porc ? Pourquoi d’autres ne viennent pas à l’école le vendredi ? Si la famille ouvre cet espace-là, si elle parle de sa religion tout en expliquant que les petits camarades en ont peut-être une autre, c’est très riche pour l’enfant. Cela l’aide à se construire dans une société comme la nôtre. Cela peut contribuer au vivre-ensemble. »
La fille de Claire a bien compris cela, elle qui « est un jour rentrée de l’école en disant : “j’ai appris une chanson chrétienne à une de mes copines !” », raconte sa mère en riant.
Le sociologue Bruno Michon ajoute qu’avoir des fréquentations en-dehors de sa communauté religieuse permet de se confronter à sa propre « dissonance cognitive » : « la pluralité religieuse oblige à s’interroger », analyse-t-il en donnant l’exemple d’un jeune chrétien à qui son ami musulman lui avait dit que « Jésus n’était pas mort sur la croix ».
La différence, c’est une des réflexions qui ont aussi traversé Danya :
« Quand ma fille était toute petite, elle voulait porter le foulard pour sortir, comme moi, parce qu’elle “trouvait ça très joli”. J’ai dû lui dire qu’on faisait attention, que ça pouvait être mal perçu. »
« Cela pose la question de la transmission dans un contexte spécifique, dans une société donnée », étaye Bruno Michon. « Dans les familles pieuses, où l’on porte le voile par exemple, le regard de l’autre va jouer sur la façon dont les jeunes définissent leur rapport à la foi. Une foi qui, en France, est soumise au soupçon ».
C’est pour cela qu’Adèle espère protéger un peu sa fille de l’antisémitisme en la scolarisant en école juive :
« Quand j’étais enceinte et qu’il y avait des périodes où ça “chauffait” sur les réseaux sociaux au moment de tensions en Israël, je me suis dit qu’elle irait en école juive. Avec d’autres enfants juifs, elle aura une conscience collective de la minorité, au lieu de l’expérimenter seule face à des ados éventuellement hostiles. »
Danya a aussi décidé de mettre ses trois enfants dans une école privée musulmane, pour qu’ils s’imprègnent de sa culture :
« J’ai conscience que la foi, c’est personnel. Mais nous sommes d’origine comorienne, une culture très marquée par la religion musulmane. »
À l’école, ils ont eu « une scolarité classique » avec, en plus, des cours axés sur les valeurs de l’islam, des notions d’histoire, etc. Et puis, ils ont rejoint le secteur public, parce que Danya trouvait « important qu’ils fassent l’expérience de la mixité sociale ». Ses trois bambins continuent d’apprendre les traditions et rites à la maison, lors des fêtes et du ramadan par exemple : « ce sont des moments festifs en famille, et les enfants se réjouissent des cadeaux à l’Aïd et des gourmandises du ramadan ! », rit-elle. Quand vient Noël, elle partage ce moment avec sa belle-famille, d’héritage chrétien.
Quand les grands-parents s’en mêlent
C’est ce à quoi aspire une autre maman en couple « mixte », Sanela. Elle est d’origine bosniaque et de culture musulmane, mais agnostique, comme son compagnon de culture chrétienne. Leur bébé a à peine trois mois, mais son éducation a déjà fait l’objet de discussions houleuses :
« Mes parents m’ont posé la question de la circoncision, j’ai dit non. Et ses parents à lui voulaient qu’on le baptise. Ça a été très compliqué quand on a refusé. »
Pour les parents de culture différente, la psychologue Valérie Naeye conseille tout simplement d’être raccord, comme pour n’importe quelle question d’éducation :
« Chaque parent vient avec son bagage, mais ce qui est intéressant pour l’enfant, c’est quand on ne vient pas plaquer un modèle en étouffant un autre. Choisir l’équilibre, rester dans l’ouverture, lui laisser la possibilité de choisir, c’est cela qui lui permettra de s’épanouir. »
Sanela a « envie de lui transmettre des traditions, mais de lui laisser le choix de croire et pratiquer ». Elle se réjouit d’avoir facilement trouvé un terrain d’entente avec son compagnon :
« Je crois que je n’aurais pas pu composer avec quelqu’un de pratiquant, d’une autre culture que moi. Je n’aurais pas pu accepter qu’il veuille baptiser mon fils. »
Très proche de ses parents, elle leur avait fait part de ses idées de prénom, et compris que cela soulevait une question sensible, qui touche à l’identité. Alors, ils ont trouvé un prénom qui « passe dans les deux cultures, simple à prononcer ». C’est ce côté caméléon qui va guider leur vie : « on va lui transmettre ses deux cultures, beaucoup lui parler, marquer tous les moments importants : l’Aïd, Noël… C’est toujours une occasion de se retrouver et de bien manger. Il aura le double de fêtes et le double de cadeaux ! »
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Merci pour cette discussion intéressante !