Il y a quelques jours, à la faveur d’une twit-conversation entre deux êtres (merveilleux, évidemment) que nous ne nommerons pas (@Fab et @BobbyFreckles) sur la décrépitude de l’orthographe de ces sacripants de jeunes actuels, je me suis dit que nous n’avions jamais abordé ce sujet-là : pourquoi pense-t-on que c’était mieux, avant ? Et était-ce vraiment mieux, avant ?
D’où vient l’impression qu’« avant c’était mieux » ?
Ce papier n’aura donc rien à voir avec l’orthographe qui se meurt et n’apportera pas de réponse « objective » – disons que la question n’est pas savoir si vraiment, en mesurant un tas de critères objectifs, c’était mieux jadis, naguère ou autrefois…
Mais plutôt de comprendre ce qui nous amène à penser et à dire que c’était drôlement mieux « avant ».
Figurez-vous que ça tombe hyper bien : vous vous souvenez, l’autre jour, lorsque nous parlions d’amour, d’attraction et d’effet de familiarité ? Nous avions notamment vu que plus nous serions exposé-e-s à quelqu’un, plus il-elle nous serait familier-e, et plus nous pourrions être attiré-e-s.
Eh bien là, le phénomène est similaire – HA, vous ne l’aviez pas vue venir, celle-là, hein ?! L’objectif n’est pas ici de faire du recyclage de théorie, mais plutôt de comprendre la manière dont une même théorie pourrait aider à décrypter des choses différentes.
John et Zeus deviennent BFF
Etait-ce donc si mieux avant ?
Dans son ouvrage Tout ce que vous devez savoir pour mieux comprendre vos semblables (qui est une merveille de savoir vulgarisé, pour celles et ceux qui voudraient en savoir un peu plus sur la psychologie sociale sans mettre les mains dans le cambouis), Serge Ciccotti consacre quelques pages à cette question.
En vérité, ce qui est « mieux », ce serait surtout ce que nous connaissons, ce que nous avons l’habitude de voir, d’expérimenter… Ce serait ce qui nous est familier – ce qu’explique la théorie de l’effet de la simple exposition de Zajonc.
Dans une expérience, le chercheur a présenté à des volontaires 12 mots de 7 lettres sans signification, en leur faisant croire qu’il s’agissait de mots turcs. Les mots étaient diffusés 0, 1, 2, 5, 10 ou 25 fois.
Ensuite, les participants devaient évaluer si les mots étaient positifs ou négatifs. Autrement dit : sans connaître la signification des mots, les sujets ont dû leur attribuer un sens positif ou négatif. A priori, rien ne permet d’orienter leurs décisions…
Et pourtant : les résultats montrent que les sujets attribuent un sens plus positif aux mots présentés un grand nombre de fois (10 et 25) qu’aux mots présentés rarement (0,1 et 2 fois) !
Il y aurait donc un lien entre la fréquence d’exposition aux mots et le sens qu’on leur donne.
Cette constatation a été effectuée maintes fois – dont lors d’une expérience menée par Moreland et Beach (que nous avions abordée dans le précédent article) : 4 étudiantes assistent à un cours 0, 5, 10 ou 15 fois, sans interagir avec les autres étudiant-e-s présents.
Plus tard, lorsque les chercheurs-ses demandent à ces étudiant-e-s d’évaluer la personnalité des 4 étudiantes, il s’avère que les évaluations positives augmentent avec la fréquence d’exposition.
En fin de compte, nous kifferions plus ce que nous avons l’habitude de voir, d’entendre, d’expérimenter, ce qui pourrait donc expliquer que notre tendance à penser que « c’était mieux avant » : « avant », nous avons expérimenté des choses, qui sont donc devenues familières…
Et qui seraient donc plus « positives » pour nous que nos expériences actuelles
. Vous voyez ?
C’est un peu comme l’histoire de la chanson Somebody I used to know de Gotye. A la première écoute, elle pourrait être sacrément agaçante, mais à force de l’entendre… nous pourrions bien nous mettre à la fredonner sans pouvoir nous en empêcher !
La chanson est devenue familière et de moins en moins menaçante – c’est d’ailleurs aussi l’un des objectifs du matraquage publicitaire : nous faire rentrer un truc dans le crâne jusqu’à ce qu’aucune autre option ne nous vienne plus à l’esprit.
« C’était mieux avant » : un ressenti qui s’accentue avec l’âge
On préfère ce que l’on connaît à ce que l’on ne connaît pas (d’où le processus de « résistance au changement », avec des phrases telles que « Ça ne marchera jamais », « Les Français déçus par le nouveau président », etc.).
Bon, wokay, mais pourquoi entendons-nous le « c’était mieux avant » sortir plus souvent de la bouche des personnes plus âgées (ou en tout cas, des bouches des non-jeunes) ? Sommes-nous plus vulnérables aux râleries « jadis-c’était-plus-soin » en vieillissant ?
Selon Serge Ciccotti, un « effet d’effacement » s’accentuerait avec l’âge. Qué, effet d’effacement ?
Dans son livre, l’auteur revient sur une expérience menée par S. Charles (et al.).
Dans celle-ci, la psychologue a divisé des participants en trois groupes (les 18-29 ans, les 41-53 ans et les 56-80 ans), a montré à tous les sujets des images positives, négatives ou neutres et leur a ensuite demandé de se rappeler de ces images.
Pof : les « jeunes » se souviennent plus des images négatives… Alors que les « vieux » se rappellent plus des images positives.
Ce phénomène est expliqué par la théorie de la sélectivité socio-émotionnelle de Carstensen : lorsque nous avons conscience que le temps qui nous reste à vivre est limité, nous choisirions davantage de centrer notre attention sur des souvenirs et expériences positives (sur le sujet… ici et là) – ce qui vaut pour les personnes âgées… mais aussi pour des personnes plus jeunes qui approcheraient de la fin de leur vie (Carstensen et Fredickson, 1998).
Avant, ce n’était donc peut-être pas mieux. Peut-être que ce sont simplement nos prismes qui changent, qui évoluent…
Peut-être qu’en effet, nous préférons ce qui nous est familier et peut-être aussi qu’en réalisant que nous ne sommes pas éternels, nous aurions besoin de nous souvenir de choses positives… Ce qui est sûr, c’est qu’on n’en sait toujours pas plus sur la dégénérescence de l’orthographe des jeunes, hé !
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