Certaines d’entre vous connaissent déjà François Amoretti, puisque j’en avais parlé à l’occasion de la sortie de ses précédents ouvrages : Gothic Lolita (avec Audrey Alwett aux textes), Alice au Pays des Merveilles (où il illustrait le texte original, re-traduit pour l’occasion) et Le Petit Chaperon Rouge (comptant une première partie de texte illustré, puis une BD). Ces trois titres étaient publiés chez Soleil, mais c’est chez Ankama, sous le label 619 (gage de qualité, je ne cesserai jamais de le répéter, vous pouvez acheter tous les titres les yeux fermés) qu’il revient pour une bande dessinée dans un style très différent.
Violette est une jeune femme bien dans sa peau. Ou plutôt qui s’emploie à faire la paix avec son corps, et à se sentir bien dans sa tête. On la suit alors qu’elle commence tout juste à sortir de sa chrysalide. Sublime, pulpeuse, et tatouée, elle est bassiste dans un groupe de rockabilly et devient également modèle et effeuilleuse. Les opportunités, les rencontres la font évoluer, changer, prendre confiance en elle. Burlesque Girrrl raconte son quotidien, son cheminement.
François Amoretti est plein d’élégance, que ce soit dans ses dessins ou dans son regard sur les choses et, plus encore, sur les femmes. Déjà dans ses travaux précédents, plus proches de l’univers lolita, on sentait chez lui une admiration pleine de respect pour les femmes fortes et passionnées. C’est à nouveau le cas pour son héroïne, en même temps douce et riche d’un caractère fort. Loin de l’univers poudré qu’on lui connaissait, Burlesque Girrrl nous plonge dans un monde plus rock, très années 50 : pin-ups, musique et belles voitures.
Son trait est toujours aussi beau, sublimé encore par la mise en couleur de la talentueuse Nephyla. Si l’on est déjà sensible à cet univers, chacune de ses cases est un vrai délice pour les yeux. Pour ma part ce sont surtout les tatouages des personnages qui m’ont fascinée… Mais l’univers qu’il a créé pour cette série est vraiment génial. Tout est beau, coloré, et saupoudré d’une délicieuse note rétro. Les tenues de l’héroïne sont à tomber (même quand elle n’est pas très habillée), et plus simplement Violette est superbe, fascinante, envoûtante. Elle se promène sur les pages, qui sont parfois de vrais tableaux, et parfois bien au-delà des cases.
L’histoire elle, est universelle, et nous parle forcément.
J’ai posé quelques questions à François Amoretti, pour qu’il vous parle plus en détail de cette BD atypique, qui est pour moi un vrai coup de cœur.
Pouvez-vous raconter en quelques mots l’histoire de Burlesque Girrrl ?
Violette est une pin-up, une muse moderne pour son mec, pour les photographes, pour son groupe de rockabilly. C’est son histoire, un passage de sa vie, à un moment où tout commence vraiment.
Comment est née l’idée de cette bande dessinée ?
De toutes sortes de chemins différents je pense… J’ai plus de copines que de copains et nous parlons souvent du problème de l’image. L’image que l’on dégage, celle que l’on aimerait avoir et surtout ce corps qu’on ne choisit pas. Et puis aussi de la complexité d’être bien dans son corps, dans ses fringues, d’avoir confiance en soi avec les outils que nous possédons. Nous disons souvent que parfois nous pouvons ressembler à notre idéal, mais comment l’assumer dès que l’on sort de chez soi ?
Finalement je ne fais que continuer ce que j’avais commencé avec les lolitas. Mais c’était trop poli, trop enfantin. Et mon intention se perdait. Ma vie vient de prendre un virage inattendu, j’ai pris une grande gifle et je devais me réveiller. Tout ceci m’a fait changer profondément, j’ai grandi je crois. Je me disais, avant, que je n’avais pas vraiment le droit de parler, de dire ce que j’avais sur le coeur. J’ai repensé à ce que j’étais, à ce que je voulais, et Burlesque Girrrl est née comme ça. Un mélange de mes conversations avec les copines, de mon passage à l’âge adulte, avec un décor qui vient de mes premières amours : le rock’n’roll et les pin-ups.
Comment s’est déroulé le travail autour de ce livre ?
Au début, c’était comme faire un saut sans parachute et à devoir apprendre à voler en plein vol, suffisamment vite pour éviter de s’écraser au sol. J’ai rédigé le pitch et le scénario en trois heures, le séquentiel en trois jours. Les dialogues, eux, se sont écrits au fil des planches. Je les avais préparés à l’avance mais ils n’avaient aucun intérêt, ils n’étaient pas assez vivants, alors j’ai changé de méthode : j’ai commencé à les écrire au moment de faire le storyboard, pour obtenir une vraie spontanéité. Au début, c’était vraiment nul et d’ailleurs Run (directeur du label 619 chez Ankama et auteur de Mutafukaz) a réécrit toute la première partie. Puis j’ai pris mon rythme, et il n’a presque plus rien changé sur la dernière partie de l’album.
J’ai travaillé seul sur le scénario et le dessin, mais je suis allé chercher toutes sortes de gens pour me parler de leurs expériences. Vous vous en êtes rendue compte : à la fin du bouquin, il y a toutes sortes de gens qui apportent leur pierre à l’édifice. Deux rockeuses, une effeuilleuse, un tatoueur, des illustratrices et illustrateurs pro et amateur. Je me suis complètement plongé dans l’histoire et je vivais au rythme de mon héroïne et de sa musique. Mais je n’ai pas fini : je viens de commencer le tome deux et il est bien plus centré sur Violette qui prend le contrôle de l’histoire.
Émotivement, c’était très étrange. J’ai mis beaucoup de moi-même dans ce livre et j’en laisse une partie de mon être… que j’espère y abandonner définitivement. J’espère que vous comprenez ce que j’essaye de dire…
Quelles ont été vos inspirations pour l’univers de la BD, et surtout pour le personnage de Violette ?
Pour l’univers, c’est celui de mon enfance et de mes premiers pas dans la vie adulte : du rockabilly et des pin-ups. Mais aussi des fragments de ce que j’ai vu, lu, écouté ces dernières années. Je n’ai pas donné de dates ni de lieu précis pour cette histoire qui se trouve entre les années cinquante et maintenant, située certainement quelque part au milieu de l’Atlantique. Je ne suis pas un nostalgique, j’ai toujours préféré l’époque dans laquelle je vis mais le rock’nroll, les pin-ups, les hot-rods ont des codes bien précis et j’ai très envie que les gens qui aiment ces thèmes s’y retrouvent. J’ai donc fait en sorte de mélanger tout ça avec mes propres sujets favoris.
En ce qui concerne Violette, cela va vous paraître étrange, mais je me suis identifié à elle, complètement. Je me disais « Si j’étais Violette, qu’est ce que je ferais dans cette situation ? » ! Bon certes, je ne suis pas une fille… mais Violette c’est un peu moi. Si je pouvais être une femme, je voudrais être Violette. J’ai choisi de la dessiner avec des formes gynoïdes presque exagérées pour soutenir le propos de l’histoire, pour provoquer les mauvaises langues. Un jour j’étais avec des gens à la terrasse d’un café et en voyant passer une jeune femme en mini-jupe, une fille du groupe s’est écriée « Regardez moi ça ! Faudra pas qu’elle s’étonne si on la viole« . J’ai été très choqué, me disant en plus que c’était une référence machiste.
Je pense que Violette, telle qu’elle est, avec ses formes généreuses, est plus qu’apte à parler de ces choses, de par ses atouts féminins : ses hanches, ses seins, ses talons hauts, ses robes volantes, ses bas, son maquillage. Ainsi elle suscite l’envie, le désir mais aussi la jalousie et l’agressivité. Violette est timide, effacée, au début de l’histoire et même tout au long du tome un, puis change et devient forte, finira par ne plus craindre ni rien ni personne. Il est là, finalement, le thème du bouquin : la confiance en soi, peu importe ce que nous sommes.
Avez-vous lu récemment une BD qui vous a particulièrement marqué ?
J’ai beaucoup aimé The Grocery de Guillaume Singelin et Aurélien Ducoudray. Mais j’ai vraiment adoré Milady de Winter d’Agnès Maupré ! Cette dernière revisite les Trois Mousquetaires de manière très originale. Le scénario est formidable, les dialogues merveilleux, succulents ! Et puis Milady est délicieuse ! Une BD à part. Agnès est une auteure à suivre de très près!
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