Situez la scène : vous êtes à un repas de famille avec Michel, votre oncle, qui n’en est pas à son premier verre de rouge, quand soudain la question fatidique arrive. On l’attendait depuis l’apéro, mais seule la vinasse a rappelé à ce cher moustachu qu’il n’avait aucune idée de ce que vous faites dans la vie.
« Alors toi, (il ne vous appellera pas par votre prénom, par ce que vous avez une sœur, une mère et deux tantes, et qu’en l’occurrence ça fait beaucoup de prénoms féminins et faut-pas-déconner-quand-même.) tu fais quoi comme école, déjà ? »
Pour la majorité des étudiants, répondre « Je suis en fac de droit/médecine/psycho /école d’infirmière/école de commerce » suffira à faire visualiser à toute l’assemblée de quoi on parle. Or, dans mon cas, je sais que lorsque je réponds « Un BTS en design de mode et environnement dans une école d’arts appliqués », j’ai environ 75% de chances de me heurter à un réfractaire. C’est statistique. J’appelle « réfractaire » tout individu qui présente un ou plusieurs des symptômes suivants :
– Désintérêt total pour l’art, du type « oh mais moi aussi j’aurais pu faire ce tableau, si ça c’est de l’art » (Notez que l’individu n’est certainement pas ami avec la philosophie non plus, très cartésien, et que tenter de lui faire comprendre pourquoi un monochrome, c’était révolutionnaire au début du XXème siècle, se résume à faire ses besoins dans un Stradivarius.)
– Schéma primaire encéphalique du type « Mode = défilés = nunuches maigres avec des trucs même pas portables dans la vraie vie » ou alors « Couture = ourlets dans un magasin de retouche chez Auchan = précarité ».
Ma réponse se soldera la plupart du temps sur un « Mais y’a des débouchées ?! » ou bien « Concrètement, tu fais quoi ? » voire même par un merveilleux « Mais on n’a pas besoin de personnes comme vous dans la société, et puis si c’est pour faire des vêtements qui ne ressemblent à rien au nom de l’Art… »
J’ai appris à ne pas en vouloir aux personnes qui ne comprennent pas ma démarche. Après tout, tout le monde n’a pas la même sensibilité. Il me faut fréquemment expliquer que « la mode », ce n’est pas « mettre des jeans troués aux fesses ». Ils n’ont que ce mot à la bouche, « la mode », pour décrire de manière péjorative tous ces phénomènes de masse. Or, la Mode, ce n’est pas ça. Tout d’abord, je pense que « LA Mode » n’existe pas, du moins pas avec le sens populaire qu’on lui donne aujourd’hui. Il n’y a pas UNE mode.
Étudier le design de mode, ce n’est pas créer un énième produit que tout le monde a déjà, avec quelques gadgets de plus, le faire fabriquer outre-mer et le revendre avec une superbe marge de bénéfices. Youpi.
Il s’agit plutôt de comprendre l’être humain de façon globale et individuelle à la fois, en prenant en compte le passé historique de l’humanité, l’environnement dans lequel l’Homme évolue, les enjeux actuels, d’en tirer des conclusions, d’en définir les besoin et d’apporter des solutions. La mode a cette capacité d’être à l’écoute de l’Homme, de son environnement, de son psychisme, et de lui proposer une enveloppe quotidienne (un vêtement) qui allie esthétique, philosophie, besoins fondamentaux, technicité et sens artistique. Et après, j’ose entendre que « le design de mode est une discipline superficielle ».
Réalisation d'un chapeau en papier, sur le thème de la légèreté. Travail d'expression plastique.
Mon parcours est simple : après mon bac (scientifique), j’ai intégré une MANAA (mise à niveau aux arts appliqués). C’est une année qui permet, après un bac général ou technique (autre qu’un bac STI arts appliqués qui lui, ne nécessite pas cette mise à niveau), de recevoir une formation aux domaines des arts appliqués. C’est une année très enrichissante. Elle se pratique dans des écoles publiques ou privées, et est accessible après le bac sur dossier et lettre de motivation. Durant cette année, on vous apprend à mener une démarche créative de A à Z, c’est une toute autre façon de travailler, très différente du lycée. Les professeurs sont là pour vous accompagner dans vos projets personnels, et non plus pour vous dicter une façon de faire, comme au lycée. Vous êtes réellement acteur de votre formation. Comme la MANAA a pour vocation de vous préparer à un des BTS d’arts appliqués (mais pas seulement), les cours sont les suivants : design d’objet, design d’espace, croquis, modèle vivant, expression plastique, design de mode, communication visuelle, histoire de l’art, mathématiques-sciences, français, langues étrangères. Cette année est essentielle dans le sens où l’on découvre différents domaines, pour lesquels on n’aurait jamais imaginé développer un intérêt.
Beaucoup d’élèves ont peur d’arriver en MANAA sans savoir dessiner. En réalité, ce n’est pas un problème en soi. Les cours sont là pour ça, et les progrès sont incroyables durant l’année.
Maquette d'expression plastique sur le thème "déception amoureuse"
L’essentiel lorsque l’on rentre dans ce cursus n’est pas d’être vraiment doué en dessin, mais d’être réellement créatif, de pouvoir pousser sa réflexion très loin, de savoir se remettre en questions, d’accepter les critiques, de rebondir, et… d’être très travailleur. Les soirées passées à travailler sont longues, très longues. Le travail demandé est conséquent et les heures de cours importantes (environ 36 heures hebdomadaires).
Suite à cette MANAA (qui, en France, ne compte pas comme bac+1, il faut le savoir), on peut intégrer plus facilement de grandes écoles, les écoles d’architecture, ou bien les beaux-arts (qui est une formation radicalement différente de celle des BTS en arts appliqués). Pour ma part, j’ai choisi de faire un BTS en design de mode et environnement. Je suis dans une école privée qui possède grand nombre de détracteurs, à Condé Nancy, mais l’enseignement me convient parfaitement, et je tiens à rassurer certains réfractaires : ce n’est pas par ce qu’on a fait une MANAA dans le privée que l’on n’a été pris nulle part ailleurs dans le public, et c’est encore moins un signe que l’on ne sera pas accepté dans le public par la suite. J’en suis la preuve vivante, et cette école est un choix pour moi, puisque j’avais été sélectionnée dans le public. La seule différence touche à votre porte-monnaie. Pour le reste, c’est à chacun de se forger une opinion. Pour cela, il est important de visiter les écoles, de parler aux élèves/anciens élèves. Il est dangereux de se fier à des rumeurs, qu’elles soient très bonnes ou mauvaises. Chaque école a ses axes de travail, certaines sont plus axées « créatif » et d’autres plus « technique » ou « commercialisable ». Il faut trouver ce qui nous convient. A noter qu’un BTS suit le programme national, qu’il soit préparé dans une école privée ou publique, ce qui n’est pas forcément le cas pour l’année de MANAA. A la fin, l’examen du BTS est le même en école privée ou publique.
Travail de recherche puis d'exploitation de motif. Le motif à gauche a été réalisé à la machine à coudre, puis scanné pour être interprété.
Pour ma part, j’ai choisi cette école car elle ne me pousse pas à créer des choses forcément commercialisables. J’ai besoin d’une large marge de manœuvre pour ma créativité, et je ne supporterais pas qu’on me pose des contraintes. En BTS design de mode et environnement, les matières suivies sont les suivantes : Laboratoire de création, construction du vêtement, impression textile, expression plastique, technologie, histoire du costume et culture-design, sciences physiques et chimie, français, langues étrangères, PAO (tout ce qui est informatique, utilisation de Photoshop, Illustrator, etc.).
Série de croquis sur le thème de la mort. Vêtement pour enfant partant de la structure des côtes et des os du bassin.
Déclinaisons
Le but général de la matière la plus importante, Laboratoire de création : on nous lance sur un thème plus ou moins vague, auquel nous devons réfléchir pour en dégager un parti pris, c’est-à-dire un axe de réflexion personnel. Des exemples de sujets sur lesquels j’ai travaillé : « Effet de surprise », « Articuler/Désarticuler » etc.… On va ensuite faire des recherches sur les notions que l’on a choisies, qui découlent de notre phase de réflexion à partir du sujet, aussi bien en terme de mode que d’art contemporain, d’architecture, d’histoire, de musique, graphisme, littérature, cinéma, sciences etc.… Le but étant de définir notre parti-pris par un maximum de choses, sources d’inspirations. Il s’agit, en quelque sorte, d’un immense brainstorming visuel qui doit illustrer notre axe de recherche, notre philosophie concernant le sujet. Une fois cette phase de recherches faite, on en dégage une problématique que l’on va gérer en faisant une phase de recherches. Les recherches seront plastiques (l’expression plastique est une matière très importante et liée), graphiques. On en déduira ensuite une recherche de formes de vêtement, liée à la phase d’analyse ainsi qu’à la phase de recherches plastiques. Sur toutes ces recherches de formes, on développera celles qui tiennent le plus la route, qui répondent le mieux à notre problématique. On pourra ensuite, si c’est demandé, réaliser nos propositions finales.
Exemple d'un carnet de recherches
Croquis d'un poncho, que l'on peut voir dans l'image précédente.
Ce que j’aime, c’est le fait qu’à partir du même sujet, tout le monde puisse partir dans des directions très différentes et développer sa propre sensibilité, son propre style. Chaque démarche est très personnelle et suivie par les professeurs, qui sont là pour nous guider.
Les matières comme la technologie, construction du vêtement ou encore l’impression textile, sont là pour nous apporter les outils techniques au service de notre créativité.
Il est très stimulant d’avoir autant de liberté dans nos démarches et nos projets. Au début, à la lecture d’un nouveau sujet, tout fourmille dans la tête, je griffonne des pages entières avec des idées, des flèches dans tous les sens. Ensuite, je file à la bibliothèque et sur mon ordinateur faire des recherches en tous genres. Je pars dans tous les sens, je trouve de nouvelles idées auxquelles je n’avais pas pensé avant… A la fin, la satisfaction de voir son projet terminé est grande. On se rend compte que toute cette démarche intellectuelle, graphique, toutes ces recherches sont vraiment visibles dans le résultat.
Croquis d'une veste sur le thème de l'Absurdité, inspirée du goûter de non-anniversaire, dans Alice au Pays des Merveilles
Certaines écoles, comme la mienne, organise chaque année un défilé. Le notre est dans trois mois et j’ai vraiment hâte d’y être. La scénographie et les décors sont pris en charge par la section « design d’espace » de mon école. Nous sommes 23 dans ma classe et l’on doit réaliser environ 50 tenues sur le thème « Habit habité ». L’an dernier, j’ai participé en temps que modèle, et cette fois ci, ce sera à moi d’en trouver un pour porter au mieux le projet totalement loufoque que je vais réaliser. Le défilé nous permet de nous projeter dans la réalité. C’est du concret !
En parlant de concret, nous avons également des stages en entreprise à réaliser. C’est assez difficile de trouver son bonheur, car le monde de la mode est impitoyable, je ne l’apprends à personne.
Croquis de sacs fonctionnels
Ma formation débouche sur des métiers comme styliste, modéliste, journaliste de mode, créateur, styliste-tendance… En réalité, l’éventail des possibilités est très varié. Pour ma part, je pense faire une année à l’étranger… J’ai envie de voyager, de découvrir de nouvelles choses, de nouvelles cultures et inspirations… J’ai une réelle soif de connaissances, une curiosité qui me pousse à voir le monde d’une façon un peu différente. Chaque détail compte, tout est source d’inspiration.
Travail d'expression plastique sur le thème de la perturbation du visage
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Les Commentaires
Je suis en train de postuler dans des écoles pour faire un BTS design de mode, mais je voudrais quelques conseils, surtout à propos du book.
Que mettre ?
Comment l'organiser ?
... ?
Pouvez-vous m'aider SVP
Merci beaucoup !