Albert Camus avait dit en son temps : « Écrire, c’est vivre deux fois ». Et bien je ne suis pas d’accord (Je sais, je suis une grande malade, je commence une chronique en contredisant Camus…). Et oui, car moi je dirais plutôt : « Écrire, c’est avoir vécu une fois et vouloir vivre de nouveau la même chose mais en mieux ». Parce que créer (Écrire, peindre, jouer la comédie ou même exercer cet art abstrait et exotique que l’on appelle « le tuning »…), c’est un peu comme refaire la vie telle qu’elle ne pourra jamais être totalement : esthétique, palpitante, à mettre sous cadre, en exposition dans un musée ou le salon de mamie.
On a tous déjà vécu l’instant frustrant du « Mais pourquoi j’ai dit ça et pourquoi j’ai pas dit ça ? ». Cet instant, vous savez bien, où la personne pour qui vous nourrissez un certain béguin est en face de vous et que, comble de l’injustice, aucun petit lutin scénariste, auteur ou metteur en scène n’est là, caché dans votre oreille, pour vous souffler le mot juste, le trait d’esprit, la réplique qui fera de cet instant, votre instant, une petite œuvre d’art.
En vérité, c’est même le contraire, car il y a bien un lutin. Oui, un lutin totalement abruti qui vous souffle moult débilités, et vous vous trouvez là, bêta, à dire une chose absurde, à rougir, à voir l’objet de votre tendresse s’éloigner, à vous retrouver face à vous-même et à vous dire « Mais quel(le) con(ne) ! Qu’est-ce qui m’a pris de dire ça ? ». Serait-ce vraiment la faute du petit lutin perturbé et perturbant ? Si ça peut vous aider, disons que oui, un peu. Même si en vérité il n’y a pas de faute, ni de petit lutin (désolée de briser un si bel et crédible alibi) ni de regret à avoir.
Car seuls ceux qui ont des cartes routières peuvent dire s’être trompés de chemin car, sans carte, il n’y a même pas d’itinéraire. Et il ne peut exister de plan pour un endroit qui n’a jamais été visité. Or, chaque nouveau jour que vous vivez est un endroit que vous n’avez jamais visité. Alors c’est quand même normal de se perdre. Pour ne pas dire évident.
[leftquote]Chaque première fois est le brouillon d’une seconde. [/leftquote]Chaque première fois est le brouillon d’une seconde. Malheureusement, il n’existe pas toujours de seconde fois. Les conversations ne se vivent qu’une fois, les journées aussi et les moments uniques qui, par définition, le sont. Uniques. Alors comment avancer dans ce labyrinthe où l’on patine, rature et bégaye ? Peut-être tout simplement en assimilant que le brouillon de l’œuvre, c’est déjà l’œuvre..
Mon voisin d’en face est un homme fascinant, il m’impressionne beaucoup et l’on se connaît un peu, de nom et de réputation. En fait on se connaît juste assez pour un signe de la main poli et mensuel lorsqu’il fait beau et que je suis sur ma terrasse. Or moi, sur un signe de la main, je voudrais être magnifique. Je voudrais avoir le plus joli signe de la main du quartier, un regard qui traverserait sereinement le sien mais aussi tout l’arrondissement, Paris et pourquoi pas le monde entier. Un regard que je décocherais, sûre de moi, qui pourfendrait l’air et qui après un tour de globe s’évanouirait dans mon dos. Tout simplement.
Seulement voilà, à chaque fois que mon voisin d’en face me dit bonjour et bien moi je baisse les yeux et réponds textuellement « ghcnfrhfnkrjdjer… ». Au début j’ai accusé le lutin, comme tout le monde, me promettant, la prochaine fois, d’être superbe. Mais les échecs se succédant, mon voisin étant toujours ce qu’il est et ma maladresse aussi, j’ai décidé d’être fière de mes brouillons, tâches, imperfections en tout genre qu’il ne tient qu’à moi de rendre parfaits, il suffit pour cela de changer les critères d’évaluation.
Il n’y a pas de phrases plus toxiques que celles qui commencent par « J’aurais dû » et il est plus facile de visualiser ce que l’on aurait voulu plutôt que d’assimiler ce que l’on a. Dans mon cas : peut-être que j’ai l’air d’une adolescente empotée à chaque fois que le monsieur d’en face me dit bonjour mais, en attendant, il continue de me dire bonjour. Et s’ il a cru comprendre que j’étais timide, et bien c’est que c’est un peu vrai. Les autres ne s’attendent pas à ce que l’on soit à tous les coups fantastiques puisqu’ils savent que nous sommes comme eux : des êtres humains. Et c’est dans le brouillon que l’artiste donne l’essentiel, le reste n’est qu’une façon habile de le présenter. Oui, moi quand je dis « ghcnfrhfnkrjdjer… », ça sort du cœur, je ne peux pas être plus moi-même. Et l’essentiel est bien là : je dis bonjour. Timidement, mais je le dis, le message passe. En tout cas je suppose. Et si je veux sublimer l’instant, je peux toujours l’écrire, c’est mon métier : « J’étais sur ma terrasse, les cheveux au vent sucré salé des premiers jours d’été quand, surprenant, grisonnant, beau, est apparu le voisin d’en face comme sa main droite charnue et saluante. J’ai répondu et j’étais belle. J’étais même super canon. La plus belle du quartier. Sans déconner, Marion Cotillard pouvait aller se rhabiller… ». Voilà, ça par exemple, c’est du roman, j’en fais ce que je veux, c’est à moi et je note que vous lisez toujours, ce moment vous vous l’êtes visualisé tel que je le voulais : lissé. J’ai vécu le brouillon et je vous l’ai mis au propre. Je l’ai vécu deux fois. Mais le brouillon tient de l’authentique, le propre de la transformation. Entre nous, qu’est-ce que vous préférez ?
[rightquote]J’adore être un brouillon.. J’adore être authentique. [/rightquote]J’adore raturer, bégayer, trébucher et me prendre des pots de fleurs devant des garçons qui me plaisent. J’adore être un brouillon.. J’adore être authentique. Alors, ma chère lectrice, mon cher lecteur, à toi qui t’es dit un jour « Mais quelle con(ne), pourquoi j’ai dit ça ? » et bien, je vais te répondre : parce que tu es « en vrai ». Et que l’on peut plaindre ceux qui sont « pour de faux ». Alors BROUILLONS nos pistes et, pour conclure, moi, je vous le dis comme je le pense : ghcnfrhfnkrjdjer !!!! Et j’ai pas peur.
— Retrouvez deux extraits joués lors de la LOL Session.
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Les Commentaires
Effectivement, je me suis mal faite comprendre. Je voulais dire que l'on réecrit la chose pas forcément en plus positif mais en plus esthétique où en tout cas en toute connaissance des choses. Quand on crée une oeuvre, même si le résultat diffère du projet de départ, on est responsable de la création, on "fait comme on veut". Alors que quand on vit... On fait comme on peut :-)
Quand je raconte quelque chose dans mes chroniques ou dans mes spectacle, je "mets en scène". Et ce, que ce soit drôle ou triste. La vie, j'en fais moins ce que je veux. Dans mes textes c'est "mieux" dans le sens ou c'est "à mon idée". D'où le brouillon que l'on vit sans pouvoir toujours recommencer...
Voilà ce que je voulais dire. J'espère que c'est "mieux" cette fois :-)
Merci de m'avoir lue. Bonne soirée !
Christine Berrou