C’est le trailer du dernier tour de piste : la bande annonce de celle qui s’annonce comme la dernière saison de Brooklyn Nine-Nine est enfin visible et présage son lot d’émotions, d’adieux larmoyants, mais forcément aussi quelques fous rires.
Ce sera la huitième saison… et il est peut-être temps, en effet, pour la série comique de Dan Goor et Michael Schur de tirer sa révérence.
Car oui, certaines choses ont changé depuis les débuts de la série en 2013 : Gina est partie, et avec elle un petit bout de l’esprit du Nine-Nine. Hitchcock et Scully ont désormais plus de place (et à titre personnel, je ne suis toujours pas convaincue par leurs personnages). Jake et Amy sont maintenant parents. Il s’en est passé, des choses !
Si on est restées jusqu’ici, c’est aussi parce qu’on s’est bien attachées à des running gags de haute volée : Cheddar, la traditionnelle Halloween Heist, les multiples rebondissements de l’amitié entre Jake Peralta et Doug Judy, pour n’en citer que quelques-uns.
L’impossibilité d’éluder les violences policières dans Brooklyn Nine-Nine
Mais s’il est aussi peut-être temps de dire au revoir à Brooklyn Nine-Nine (avec un final, on l’espère, en beauté), ce n’est pas seulement parce que les bonnes choses doivent avoir une fin, et qu’on ne compte plus les séries qui n’ont pas su s’arrêter à temps, jusqu’à perdre toute leur saveur à force de se répéter.
Vu son sujet, c’est une autre question au sujet de Brooklyn Nine-Nine qui nous taraude.
Comment faire durer un show comique sur des policiers alors que les violences policières et le racisme systémique de la police n’ont jamais été autant abordés dans les médias ? Comment continuer à rire avec cette version d’un commissariat new-yorkais pas toujours à cheval sur le règlement, alors que la police américaine continue de tuer, notamment des hommes noirs, en toute impunité ?
Cette question, les créateurs de la série et le casting se la sont posée. Dès l’an dernier, après le meurtre de George Floyd, Terry Crews, qui joue le capitaine Terry Jeffords, a notamment affirmé que la série allait saisir cette opportunité de parler des violences policières dans la saison 8.
Cet engagement s’est même accompagné d’un don de 100.000$ au National Bail Fund Network, une organisation d’aide aux personnes en détention.
L’enjeu des violences policières n’est d’ailleurs pas arrivé sur la table avec le meurtre de George Floyd : en 2017 déjà, Dan Goor se posait les bonnes questions… mais ne trouvait pas comment aborder ce sujet avec les personnages de la série.
« Ce qui est délicat, c’est que ce sont des flics et nous les représentons comme les gentils de l’histoire, alors c’est très complexe. Je ne voulais pas compromettre nos flics, et j’ai aussi senti que quelque chose comme arrêter et fouiller quelqu’un, ou faire du profilage racial, n’était pas dans leur caractère.
Dans l’épisode Moo Moo diffusé en 2017 (saison 4), considéré comme un des meilleurs épisodes de la série, Brooklyn Nine-Nine parvient néanmoins à aborder avec une grande justesse le contrôle au faciès et le racisme au sein de l’institution policière.
Brooklyn Nine-Nine, la copaganda par la comédie ?
Brooklyn Nine-Nine montre des policiers maladroits, excessifs, un brin névrosés, mais quand même doués quand ils font leur boulot, leur boulot de flic : arrêter les méchants, rendre service à la communauté, protéger et servir, comme le dit la devise de la police américaine.
Ils sont aussi droits et intègres, ouverts d’esprit sur bien des sujets, plutôt sympathiques et attachants, ils ont construits des liens forts d’amitié, s’entraident au-delà du cadre du travail.
En somme, les flics qui sont les héros et les héroïnes de Brooklyn Nine-Nine ont tout des « bons flics ».
Alors il s’agit de se poser une question : Brooklyn Nine-Nine tombe-t-il dans la copaganda, ce néologisme qui sert à qualifier la façon dont une image positive de la police est construite, alimentée et véhiculée dans les médias, et notamment dans les films et les séries, et plus globalement la pop culture ?
Dans de nombreuses productions, les policiers sont glorifiés, montrés comme des héros. Si certains harcèlent les personnes racisées et commettent des « bavures », si certains ont des comportements violents, racistes, cela est considéré comme marginal, le fait de quelques moutons noirs, mais en rien un phénomène systémique, les conséquences d’une institution encore empreinte d’idéologie suprémaciste blanche.
Bad Boys, L’Arme Fatale, les séries New York Unité Spéciale ou Police Criminelle, 21 Jump Street, Rizzoli & Isles… les exemples récents et moins récents de copaganda sont légion.
Série comique devenue culte, Brooklyn Nine-Nine semble prendre le parti du rire et du gag plutôt que celui de la glorification… mais n’est-ce pas encore plus pernicieux ?
Alex Edwards a un avis bien tranché sur la question, bien qu’il soit toujours très attaché à la série :
« La série peut montrer 99% de la NYPD [la police new-yorkaise, ndlr] comme les méchants de l’histoire, mais 99% du temps d’écran est dédié aux personnages principaux, qui eux sont les gentils. Si on regarde très attentivement la série, peut-être qu’on peut avoir l’impression que la police de New York est irrécupérable, mais si on la regarde pour le fun, presque tout ce qu’on voit, ce sont des détectives de la NYPD résoudre des crimes et aider des gens. Rien que ça, ça fait de Brooklyn Nine-Nine de la copaganda.
Les attitudes des personnages rendent les choses encore pires. Ils sont alignés avec la série – ils voient les défauts de l’institution mais voient aussi comment la réparer. Elle est sérieusement défectueuse mais mérite qu’on se batte pour elle.
Je sais que cela peut sembler idéaliste, mais c’est comme dire que les prisons secrètes de la CIA devraient avoir des équipes de tortures paritaires : au mieux, c’est mettre un pansement sur une jambe de bois. Il y a un moment où l’idéalisme devient néfaste. »
Ce qu’il nous restera de Brooklyn Nine-Nine
Alors doit-on attendre de la dernière saison de Brooklyn Nine-Nine qu’elle questionne l’institution policière ? Le peut-elle réellement ? Peut-on la regarder sans arrières-pensées, tant la réalité des violences policières et de l’impunité de ceux qui les commettent ne peut plus être mise de côté ?
Si finalement, on apprécie Peralta, Diaz, Boyle et toute la clique, c’est parce qu’il nous font rire, pas parce qu’ils sont flics. Tous ces personnages auraient pu tout aussi bien être assureurs, agents des pompes funèbres ou conseillers en électro-ménager. Il aurait été possible de déplacer l’humour et les situations du Nine-Nine n’importe où ailleurs.
D’ailleurs, comme le souligne très justement la journaliste Delphine Rivet sur Konbini, la série peut tout aussi bien tomber dans le genre de la « comédie de bureau », tant les intrigues liées aux enquêtes et aux arrestations sont très secondaires.
On regardera sans nul doute avec plaisir cette dernière saison, pour profiter encore un peu de cette série qui nous a mine de rien accompagnées — et fait beaucoup rire — pendant quasi une décennie, et que les fans ont même sauvé in extremis alors qu’elle était menacée.
Et qui sait si dans quelques années, certains gags de Brooklyn Nine-Nine n’auront pas un peu vieilli, et que cette vision fantasmée de la police, diverse, déconstruite, consciente de ses privilèges, ne nous paraitra pas complètement à côté de la plaque. Ce sera l’occasion d’un nouvel article !
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Crédit photo : John P. Fleenor/NBC via Allociné
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