Il court en ce moment dans les couloirs de l’Union Européenne un grondement qui accuse David Cameron de jouer avec le feu.
« Souhaitez-vous que le Royaume-Uni reste au sein de l’Union Européenne ? » : mercredi dernier, c’est la question que le Premier Ministre britannique a promis de poser aux citoyen-ne-s s’il était réélu dans deux ans.
Une sortie d’autant plus étonnante que David Cameron loue souvent les vertus du marché unique européen, « ce que l’on peut comprendre puisque c’est vers ce dernier que va une bonne moitié des exportations britanniques » note RFI.Reste que le discours du Premier Ministre britannique, portant sur l’avenir du Royaume-Uni, visait moins à remettre en question le cadre européen que tenter de canaliser les revendications du courant anti-européen au sein du parti conservateur. Au fond, David Cameron serait pour le maintien du pays dans l’Union Européenne ; tout juste entendrait-il renégocier les conditions de l’adhésion britannique, notent déjà les commentateurs politiques du pays.
Le Royaume-Uni et le sentiment de ne pas avoir besoin de l’Union Européenne
En attendant, cette déclaration pose définitivement sur la table un débat national toujours plus vif : « Le Royaume-Uni serait-il plus fort sans l’Europe ? ». L’euroscepticisme des conservateurs, qui naît dans les années 1990, est un état d’esprit qui semble gagner tous les jours un peu plus le terrain des idées publiques. Ainsi, en novembre dernier, un sondage révélait que 56% des Britanniques souhaitaient une sortie de leur pays de l’UE.
« Historiquement, le peuple anglais n’a jamais baigné dans une reconnaissance envers l’Union Européenne. L’appartenance à cette communauté ne nous donne pas l’impression d’être plus forts. C’est dans les gènes du pays. », nous confie Joe, 27 ans.
Cette défiance semble s’inscrire dans une tradition d’indépendance qui date de l’adhésion du pays en 1973. Il faut dire qu’au sortir de la Seconde Guerre mondiale, le sentiment nationaliste britannique se trouve largement renforcé : en effet, le Royaume-Uni s’envisage à cette époque comme la seule puissance européenne à avoir résisté aux nazis et considère l’UE comme l’alliance des vaincus.
Sentiment de fierté nationale
« J’ai grandi dans une famille qui m’a toujours présenté l’Europe comme un choix politique opéré à un instant T de notre histoire, pas comme une empreinte importante de notre identité. Quand en plus de ça les médias accusent l’Europe à chaque récession économique dans le pays, c’est dur de se sentir UE-friendly. Au fond, je ne sais pas ce que je pense de ce référendum. Le plus triste, c’est que je m’en fous je crois
», raconte Elisabeth, 23 ans.
Outre-Manche, l’idée que le Royaume-Uni se porterait mieux s’il n’avait pas à consentir aux dépenses de l’UE est très commune. Nulle surprise alors que la phrase la plus connue de Margaret Thatcher soit « I want my money back! » À l’époque, la Première Ministre britannique réclamait le remboursement des deux tiers de la contribution de son pays au budget européen. Selon Maggie, 31 ans, le constat est évident :
« Le peuple anglais n’est pas dupe : l’UE est le parfait bouc émissaire pour notre gouvernement en place. Crise économique ? C’est l’UE qui restreint nos échanges internationaux. Plus de budget pour les infrastructures sociales ? C’est l’UE qui nous a ponctionné de l’argent pour la Grèce. Et ainsi de suite. Au fond, on est en droit de se demander ce qu’il se passera quand on sortira vraiment de l’UE. Le pays n’aura plus personne à qui en vouloir. Et les pouvoirs en place traverseront une vraie crise de légitimité. »
Autre facteur qui n’est pas sans brosser l’indépendance britannique dans le sens du poil : son insularité. Cette situation géographique génère beaucoup de mythe dans la perception européenne du pays. Pauline Schnapper, auteure de l’ouvrage Le Royaume-Uni et l’Europe, démonte cependant très vite cet argument en évoquant le cas de l’Irlande, pays dont l’insularité n’a pas empêché son intégration à l’UE en tant que « partenaire fiable ».
« L’histoire, plus que la géographie, semble déterminante pour apprécier la construction de l’identité nationale et justifier l’isolement consenti de la Grande-Bretagne vis-à-vis du continent. La religion par exemple, avec la création en 1530 de l’Église anglicane en rupture avec l’Église catholique, a favorisé, outre la consolidation du pouvoir royal, la formation d’une conscience nationale en opposition au continent. Au moment où les Anglais adoptent la démocratie parlementaire (XVIe siècle), ils considèrent le modèle français comme rétrograde, ultra-catholique et despotique. »
Par ailleurs, la « relation spéciale » entre Britanniques et Américains est elle aussi historique, bien que souvent perçue, à tort, comme naturelle par les pays européens.
« Ainsi, pendant les deux siècles et demi qui précèdent la Seconde Guerre Mondiale, la relation intercontinentale est davantage privilégiée entre la France et les États-Unis. Ce n’est qu’à partir des années 1940 que se noue cette « relation spéciale » qui, avec des hauts et des bas, se maintient encore aujourd’hui.»
Une Europe qui ne fait pas assez rêver
Néanmoins, il faut noter que si l’euroscepticisme britannique jouit d’un fort pouvoir de médiatisation, la défiance anti-européenne semble reculer. Ainsi, selon un sondage YouGov réalisé le 21 janvier dernier, 40% des Britanniques souhaiteraient rester dans l’Union Européenne, contre 56% à vouloir la quitter en novembre 2012.
« Je crois que le problème est plus systémique encore et ne concerne pas uniquement le Royaume-Uni : je veux dire, oui les Britanniques sont une majorité à se dire insatisfait-e-s de l’adhésion à l’UE, mais ça ne veut peut-être pas dire qu’ils souhaitent carrément un retrait. Je pense que ce qu’ils veulent, c’est surtout revoir les conditions de cette adhésion. Le problème systémique dont je parle, c’est le fait qu’aujourd’hui l’Europe ne parvient pas à se rendre sympathique auprès de la jeunesse. Et ça, c’est un constat valable dans tous les pays membres : à part le programme Erasmus qui permet aux étudiants de se cuiter au-delà des frontières, que nous vend réellement l’idéal européen ? Y a qu’à voir notre faible connaissance des institutions ! L’Europe nous apparaît comme une entité indépassable, qui nous domine sans qu’on ne la comprenne réellement. », commente Tom, 28 ans.
Au delà de la possible sortie du Royaume-Uni de l’UE, l’euroscepticisme poserait donc surtout la question du sentiment d’appartenance et de la capacité des instances gouvernementales européennes à vendre un idéal de communauté. Alors, l’Europe, pas assez sexy ?
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