La bourse au mérite avait été mise en place en 2009 par Valérie Pécresse, alors ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Elle visait à récompenser les élèves déjà boursiers sur critères sociaux ayant décroché une mention très bien au baccalauréat.
C’est la fin de ce coup de pouce aux élèves les plus méritants. Annoncée au début de l’été 2013, la suppression de la bourse au mérite est confirmée. Les bacheliers éligibles à une bourse du CROUS qui ont obtenu une mention très bien lors de la session 2014 n’obtiendront pas les 1 800 € d’aides par an, versés jusqu’à lors sur 9 mois, pendant 3 ans (durée d’une licence).
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La bourse au mérite représentait un budget de 39 millions d’euros par an. En contrepartie de cette suppression, les bourses attribuées sur critères sociaux seront revalorisées. Le nombre de bénéficiaires des bourses au mérite était en baisse ; par cette mesure, le gouvernement entend privilégier la distribution des aides sur critères sociaux uniquement.
« Je crois au mérite »
Invitée politique de Bruce Toussaint dans la matinale du 11 septembre, Najat Vallaud-Belkacem a défendu la suppression de la bourse au mérite, au profit de « la réussite du plus grand nombre » (le passage en question se situe dans les 2 dernières minutes) :
« Je crois au mérite, je crois à la valeur travail, je crois à l’effort. Mais justement parce que je crois au mérite, je pense que notre devoir, c’est de permettre au plus grand nombre d’étudiants de démontrer le leur, de mérite. Et c’est précisément ce que nous faisons maintenant depuis trois rentrées.
450 millions d’euros de plus pour les bourses, avec beaucoup plus de boursiers, venant notamment des classes moyennes, 130 000 nouveaux boursiers qui viennent des classes moyennes pour pouvoir poursuivre leurs études dans de bonnes conditions.
Donc dans un cadre budgétaire contraint, tout le monde comprendra très bien qu’on fait des choix, et que les dispositifs qui semblent moins efficaces que d’autres pour la réussite du plus grand nombre, on les mette de côté pour favoriser ceux qui vont dans le sens du plus grand nombre . »
Le problème avec cette intention, c’est qu’il ne suffit pas de revaloriser les bourses pour augmenter les chances de réussite. Il faudrait d’une part, revaloriser suffisamment ces bourses, et d’autre part, que la réussite des études garantisse une insertion professionnelle. Et ces deux conditions sont loin d’être réunies.
Précarité « du plus grand nombre » ?
Les nouvelles mesures annoncées sont insuffisantes pour permettre à un•e étudiant•e boursier•e de se loger et s’alimenter pendant toute une année scolaire (surtout en région parisienne, Lyon et Marseille) :
La suppression de la bourse au mérite ne passe pas pour les bacheliers boursiers qui ont décroché une mention très bien. Ils ont créé un collectif, « Touche pas à ma bourse, je la mérite ! »
et cherchent à se faire entendre. À l’heure où nous publions cet article, leur groupe compte 1 934 membres.
Un dizaine d’entre eux sont allés manifester devant l’Assemblée Nationale, le 9 septembre. Leur collectif conteste les motivations budgétaires de cette mesure, dans un communiqué publié sur leur site :
« Nous prenons acte du fait que la suppression de l’aide au mérite n’est pas motivée par des raisons économiques. En 2013, l’Etat a dépensé 42,3 millions d’euros pour soutenir les bénéficiaires de cette aide. Mis en perspective avec les 1,86 milliards d’euros que coûte chaque année les bourses sur critères sociaux, sa suppression conduit à une économie infinitésimale.
Jamais l’Etat n’a autant investi dans les bourses sur critères sociaux. Depuis 2012, le budget total des aides aux étudiants a bénéficié de 450 millions d’euros supplémentaires. Cette suppression ne répond effectivement pas à un impératif budgétaire. »
Favoriser « la réussite du plus grand nombre », l’intention est louable, elle est d’ailleurs saluée par le collectif :
« L’égalité, c’est donner à chacun sa juste part, géométriquement ; c’est-à-dire en fonction de ses besoins, de ses revenus et de ses dépenses, […] donner à chacun la possibilité d’entreprendre des études sans que celles-ci soient mises en danger par des contraintes financières, et sans devoir se salarier ou s’endetter lourdement.
Nous aspirons nous aussi à cette société où la seule mesure de la réussite sera le mérite, c’est à dire les qualités individuelles et l’effort fourni, et non le pouvoir financier. Ainsi chacun doit être poussé vers la réussite ; c’est la finalité des études. Un potentiel n’est rien s’il n’est pas encouragé, reconnu et exploité. »
Alors que le cumul de leur bourse et d’une bourse au mérite pouvait permettre de financer sereinement ses études, la suppression de cette dernière entame sérieusement le budget des étudiants en difficulté financière, comme en témoigne Aurore dans ce reportage :
Le sujet est loin d’être anecdotique. D’une part, le système universitaire français n’est pas vraiment fait pour accommoder des obligations professionnelles en parallèle : entre les horaires d’ouverture des bibliothèques (à peine plus arrangeantes que celles de La Poste) et les cours où la présence est obligatoire (les TD notamment), difficile de mener de front ses études et un travail.
Si l’on ne peut, « dans un cadre budgétaire contraint », épargner à tou•tes les étudiant•e•s en difficulté financière la nécessité de travailler, on pourrait, on pouvait donner davantage de chances de réussite à celles et ceux dont les capacités, le sérieux et la détermination étaient déjà démontrés par l’obtention de la mention très bien.
Il ne s’agit pas uniquement de récompenser les meilleur•e•s élèves, il s’agit pour certain•e•s d’entre eux d’échapper à la précarité.
Méritocratie contre égalitarisme
La volonté de supprimer la bourse au mérite au profit d’une revalorisation (insuffisante) des bourses attribuées sur critères sociaux uniquement est symptomatique d’une vision de l’école française, qui vise à promouvoir l’accès à l’éducation « du plus grand nombre », selon les mots de la ministre.
L’école n’encourage pas la réussite individuelle, elle promeut un modèle à suivre. On préfère verser plus de bourses, envoyer davantage d’élèves sur les bancs de la fac, sans se préoccuper de savoir s’ils tireront profit de cette opportunité, plutôt que d’encourager la réussite de celles et ceux qui ont déjà démontré de bonnes prédispositions.
C’est précisément ce que déplorait cette lectrice en 2013, en apprenant la suppression prochaine de la bourse au mérite :
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Or suivre des études universitaires ne tient plus la promesse d’ascension sociale qu’elle présentait autrefois. Sortir diplômé ne garantit pas de trouver un emploi, encore moins d’accéder à un statut social plus élevé que celui de ses parents.
En octobre 2013, le documentaire de Génération Quoi, bien nommé « Master chômage et master classe » soulignait l’incertitude qui pesait sur l’insertion professionnelle de millions d’étudiants, enrôlés dans des cursus universitaires aux débouchés insuffisants.
Le dernier volet, intitulé « La vie, ça commence quand ? », montrait qu’il ne suffit plus de décrocher un travail pour réussir à prendre son indépendance financière.
Dès lors, on s’interroge sur la pertinence de favoriser « la réussite du plus grand nombre » au détriment de celle des quelques 7 000 élèves les plus méritant•e•s. Et surtout, on s’interroge sur la nature et la réalité de cette « réussite », notamment dans le contexte actuel de « cadre budgétaire contraint », et pas seulement pour l’État.
Le collectif Touche pas à ma bourse, je la mérite ! a lancé une pétition sur change.org, espérant pousser le gouvernement à revenir sur cette mesure :
Et toi, qu’en penses-tu ? Es-tu boursière ? Comment finances-tu tes études ? Viens en parler sur le forum !
Pour aller plus loin :
- Pourquoi le gouvernement supprime les bourses au mérite, Libération
- Les étudiants privés de bourse au mérite en appellent aux députés, Libération
- Vallaud-Belkacem défend la fin de la bourse au mérite, Libération
- « L’emploi des jeunes, une urgence politique », L’Express
- La fin de la bourse au mérite, nouvelle bataille de Najat Vallaud-Belkacem, Le Nouvel Obs
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
Les Commentaires
Yay, retour sur un débat après une grosse privation d'Internet! (HS, pardon)
Alors quand je disais que j'étais partagée sur la bourse au mérite, c'est pas en raison de sa suppression, ni même de son existence, enfin pour dire les choses crûment c'était un pansement sur une jambe de bois. D'un côté on a plus de sous pour les élèves les plus méritants, donc plus susceptibles de faire des études chères. De l'autre, des étudiants qui galèrent et qui ont du mal à faire des études quelles qu'elles soient, et qui ne cracheraient pas sur quelques euros de plus. Qu'on doive choisir entre les deux pour raisons budgétaires, mouuuuuuaiss.
Gauche ou pas gauche, j'aimerais bien parler du système complètement bizarre de l'enseignement supérieur en France: facs vs. grandes écoles (et les diplômes d'études courtes comme les BTS ou les CAP dont je ne parle pas parce que j'ignore tout de leur fonctionnement). En plis il y a des écoles très mal cotées qui ne valent pas la fac la plus mal foutue du pays et inversement (je caricature volontairement). Le gros bordel. A côté de ça, les facs n'ont pas de budget (car publiques, crise, etc), les écoles en ont trop (si. Jetez un œil à leur budget pub si vous le pouvez, mais pour avoir passé les concours des écoles de commerce, elles dépensent des milliers d'euros rien que pour impressionner les candidats aux oraux) et ne font pas beaucoup de recherche. C'est d'ailleurs pour ça qu'on est si mal cotés aux classements internationaux des facs/écoles (qui se fondent sur le côté recherche donc) par rapport à la qualité de l'enseignement. A côté de ça, on a des organismes qui se chargent, eux, exclusivement de la recherche (l'institut Pasteur, le CNRS, etc). Alors je ne dis pas DU TOUT que c'est mieux ailleurs où ils raquent comme pas possible ou se suspendent l'épée de Damoclès du prêt étudiant au-dessus de la tête (et encore, même ça c'est pas pour tout le monde). Je pense, personnellement, qu'il faudrait déblayer tout ce bazar, voir ce qu'on peut en tirer comme budget et comme dépenses, et si c'est souhaitable réformer tout l'enseignement supérieur. Ca prendrait des années mais je pense que ça vaut le coup.