L’autre jour, il pleuvait, mes chaussures avaient pris la pluie, je sentais mes orteils, baignant dans l’humidité, devenir tout fripés, j’avais eu droit à des claquements de langue dans la rue et des réflexions à base de « hanhan c’est pas joli une fille qui fume » (comme si j’allais répondre « oh lala vous avez raison c’est vrai c’est pas joli c’est pas comme si c’était une addiction pfff hihi heureusement que vous êtes là pour me donner votre avis »)…
Pour résumer j’avais plutôt très envie de rentrer chez moi pour me foutre sous la couette de la racine des cheveux jusqu’au pied sans chercher à voir la lumière du jour pendant quelques heures et sans avoir à parler à personne.
Tout ceci me rendait d’humeur assez ronchon de type violente et à un moment où je m’y attendais pas du tout, alors que je pensais que je serai d’humeur agressive jusqu’au lendemain matin, bim : l’odeur de la jardinière de légumes et du filet mignon de feue ma mamie m’a sauté au pif.
Je sais pas d’où ça venait, mais ça m’a calmée tout de suite, et à la place de mon envie de tout péter, je me suis radoucie d’un sourire un peu triste que seule l’envie de voir là maintenant tout de suite une personne décédée qui nous est chère et avec qui on a mille beaux souvenirs peut provoquer.
C’était l’odeur que je sentais, parfois, quand mon grand-père me ramenait de l’école pour la pause de midi, et j’aimais beaucoup retrouver le foyer chaleureux et la toile cirée de leur maison, à eux deux. C’était confortable et aimant.
Et mine de rien, quand on y pense, une énorme quantité de souvenirs sont liés à la nourriture, à l’odorat (quand on renifle, mettons l’odeur de la marque de chocolat chaud préféré de mon enfance) et au goût (quand on mange un aliment qu’on avait l’habitude de boulotter quand on était petites).
J’ai eu envie de m’en rappeler quelques-uns, en demandant également ceux de quelques collègues, parce que la nourriture, c’est la vie, et qu’il n’existe probablement pas meilleure comfort food que celle qui nous rappelle notre enfance.
Et qu’il n’existe pas non plus de meilleure remède anti-blues de redécouverte de grisaille automnale que la comfort food. Et comme on est en automne, tout ceci se goupille très bien.
Les dimanches
Le dimanche, c’est souvent la fête de l’estomac dans beaucoup de familles. Parfois avec un plat-type (poulet-frites du marché, ou rôti, ou que sais-je), parfois juste en se retrouvant tous ensemble. Pour Mymy, la tradition, c’était de regarder Ça Cartoon pendant que son père faisait des crêpes, puis de les déguster dans la cuisine en écoutant Les P’tits Bateaux
, l’émission culte de France Inter qui répond à des questions d’enfants. Le tout noyé sous le Nutella, de sirop d’érable ou du combo sucre/jus de citron.
Les repas du dimanche midi, c’est un des trucs qui me manquent le plus, depuis que j’ai quitté le domicile parental pour voler de mon propre loyer.
Parce que le dimanche, c’est une odeur de bonne bouffe – de beurre ou d’huile, d’oignons, de viande, de bouillon – qui m’accueillait quand je descendais l’escalier. Mes deux parents étant tous les deux d’excellents cuisiniers, ils passent souvent au minimum deux bonnes heures aux fourneaux ce jour-là.
Presque toujours pile au moment où le générique de Les Escapades de Petitrenaud commençait, on prenait l’apéro et après c’était le déjeuner, et jamais je n’oublierai la joie que je ressentais à chaque fois que je me retrouvais face à mon assiette d’osso bucco, de couscous, de rôti, de tartiflette ou autres délices.
Certains jours, mes grands-parents venaient avec nous, parfois tous en même temps, parfois par couple, et j’étais toute contente d’entendre leur voiture se garer dans la cour, leur voix se rapprocher et de sentir leurs parfums que j’oublierai jamais même s’ils n’ont plus le même. Je veux dire, des fois je m’ennuyais et je sortais de table pour aller lire ou regarder la télé ailleurs, mais leur présence me réjouissait (même pendant l’adolescence, c’est dire).
Parfois, le dimanche matin, mon père nous faisait les egg & bacon McMuffin de chez McDo, mais maison. C’était une petite tuerie, les meilleurs réveils du palais de toute ma vie. J’en ai refait une fois, et c’est tout simple, en fait. Du coup, je me permets un petit point recette pour celles que ça intéresse.
- des muffins anglais,
- du cheddar en toastinette (j’en mets deux par muffin parce que eh, dis)
- du bacon
- un oeuf par muffin
Tu procèdes de la façon suivante :
- Tu fais préchauffer ton four à 180/200°C, tu y mets tes muffins découpés en deux avec une tranche de cheddar sur chaque
- tu fais griller ton bacon dans une poêle ou au four, comme tu préfères,
- tu casses ton oeuf dans la poêle et lui donnes une forme un peu ronde, soit en utilisant un emporte-pièce, soit en rabattant régulièrement avec une cuillère en bois les bords de l’oeuf vers le centre (tu le remues pas sinon c’est des oeufs brouillés. C’est bon aussi mais c’est pas pareil), puis tu retournes ton oeuf pour faire cuire l’autre face
- tu sors tes muffins du four, tu mets le bacon sur la base, puis l’oeuf, et tu refermes avec le haut, ET C’EST PRÊT !
AGAD COMME C’EST BEAU (si tu manges du fromage et des oeufs et du bacon et du gluten, j’veux dire).
Les jours de flemme
Même si certains de nos parents ont la cuillère en bois magique, ils n’ont pas toujours le temps ou le courage de cuisiner. Ça veut pas pour autant dire qu’on mangeait pas des trucs bons.
Quand j’étais à la maternelle, il arrivait que ma mère puisse s’éclipser du travail pendant deux heures et venait me chercher pour qu’on mange ensemble à la maison le vendredi midi. Le reste du temps, j’étais à la cantine alors j’attendais ce jour avec impatience, parce qu’on allait chercher des nems et des beignets aux crevettes chez le traiteur chinois itinérant du marché.
C’était mes toutes premières expériences de nourriture asiatique et j’avais chaque fois l’impression de manger un truc complètement dingue, complètement nouveau. Ça croustillait, ça graissait les doigts et la bouche, et c’était tout moelleux à l’intérieur… Et puis j’étais avec ma mère et même si j’aimais bien l’ambiance de la cantine, c’était pas pareil.
Les déjeuners de semaine vite-fait d’EffyGray, eux, étaient composés de coquillettes et de jambon, « on écoutait le jeu des mille francs dans notre appart minus et on était que toutes les deux et c’était le bonheur ». Un bonheur à peine un peu tâché par le fait que sa mère mangeait la couenne du jambon et que ça l’intriguait un peu.
Lorsque les parents de Mymy avaient la flemme de cuisiner, ils faisaient des omelettes magiques. Intriguant, hein ? J’veux dire, « magique », ça envoie du pâté comme terme mais pas d’angoisse, tu peux le reproduire chez toi : « en fait c’est des oeufs brouillés tout con mais mon Papa mettait un peu de lait dedans et ça devenait MAGIQUE. Je le fais encore parce que c’est super bon ».
Les traditions saisonnières
Dès que les premiers signes de l’été et de la fin de l’année scolaire pointaient le bout de leur nez, toute la classe courait à la boulangerie après la sonnerie pour s’acheter un Mister Freeze, et j’imagine que cette tradition n’est pas cantonnée à mon école.
On avait tous nos couleurs et goûts préférés, et c’est limite si on trinquait pas ensemble de joie (mais on le faisait pas parce que l’hygiène, tout ça). Ça rappelle des souvenirs assez distincts :
- la frustration quand le boulanger/la boulangère ne coupait pas le plastique assez près de la glace et qu’on aspirait dans le vide
- quand on l’écrasait entre nos mains à travers l’emballage pour qu’il soit bien mou et qu’on ait l’impression de manger de l’eau au sirop très très fraîche
- les petites lésions aux coins des lèvres, légèrement blessées par le plastique.
Plus tard, quand les vacances étaient arrivées, il y avait le goût graisseux des beignets chauffés à la chaleur ambiante qu’on avait parfois le droit d’acheter sur la plage (je m’étonne encore de ne pas avoir développé un problème intestinal d’en avoir mangé quelques uns dans mon enfance dont, pas de chance, la fraîcheur était vraiment limite), et les barbecues sur la terrasse (les miens sentaient la bougie à la citronnelle, pour éloigner les moustiques. Depuis, la citronnelle me donne toujours envie de côtes à l’os et/ou légumes grillés).
Et puis après l’été vient l’automne et avec cette nouvelle saison, la tradition annuelle de la cueillette des myrtilles de Marie.Charlotte : « on passait la journée entière en bottes en caoutchouc, manches longues les mains dans les ronces. On récoltait comme ça plusieurs seaux, pour faire de l’alcool et des confitures. ET. DES. TARTES ! La tarte aux myrtilles des Vosges, c’est tout simplement mon premier orgasme. »
Mais les myrtilles ne sont pas éternelles et l’hiver déboule très vite après le début de l’automne (l’hémisphère nord, les fesses qui claquent de froid, tout ça tout ça). Pour se remonter le moral après une journée beaucoup trop fraîche, j’avais droit de temps en temps à une bonne grosse raclette des familles avec mes parents (même si, petite, j’aimais pas trop ça parce que l’appareil allumé chauffait l’eau dans mon verre (après quoi j’ai enfin eu le réflexe de mettre mon verre plus loin du bouzin (j’ai pas souvent été un génie, tu sais))) ou à un écrasé de pommes de terre à l’huile d’olive et au gros sel.
Juliette Von Geschenk, elle, se souvient encore des soupes maison que lui faisait sa mère. Du coup, parce qu’il s’agirait pas de rester nostalgique de l’estomac sans rien faire, elle en fait elle-même. Sa préférée, aux poireaux et aux pommes de terre, a l’air toute simple à reproduire (sauf pour les gens qui repeignent leur cuisine chaque fois qu’ils essaient de se servir d’un mixeur plongeur (si j’en suis ? OUI J’EN SUIS)) :
- Des poireaux
- Des PATATES
- De la crème fraîche
- Du sel du poivre
- Les herbes de ton choix (elle a jeté son dévolu sur de la ciboulette)
- Un bouillon de légumes Kubor.
Et alors pour la faire, rien de plus simple :
- Tu fais chauffer tes pommes de terre épluchées et tes poireaux coupés en rondelle dans de l’eau avec un bouillon de légumes
- Une fois que tes pommes de terre sont cuites, tu passes le tout à la passoire en conservant un peu d’eau au bouillon
- Tu mixes tes légumes dans ta casserole
- Si c’est trop épais, tu rajoutes un peu de bouillon de cuisson
- Tu mets de la crème fraîche, du sel, du poivre et des herbes à ta convenance…
Et pouf : une madeleine de Proust liquide et onctueuse.
Et toi alors, c’est quoi, tes souvenirs les plus marquants liés à la nourriture dans ton enfance ?
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