En partenariat avec UGC (notre Manifeste)
« Frontal », c’est le mot qui me vient, comme une évidence, pour parler de Bonhomme.
Frontal comme le syndrome dont souffre Piotr, bien sûr. Un dérapage, le front qui tape, le pare-brise qui s’étoile, le coma, le basculement.
Frontal comme ce film qui n’a pas peur, ni des émotions ni de la vie, la vraie, sans misérabilisme ni hyper-réalisme.
Frontal comme la galère qui te tombe dessus, littéralement en pleine gueule, et ne te lâche plus, se poste à chaque tournant de ta vie, prête à te faire trébucher.
Frontal comme le full-frontal (nudité face caméra) — car j’ai été surprise, au sens positif du terme, par la nudité dans Bonhomme.
Pas la nudité sublimée et racoleuse du cinéma français tel qu’on l’entend, pas les fesses mutines en noir et blanc de Brigitte Bardot, non, la nudité du quotidien, de la vie, d’un sein qui apparaît dans l’encolure d’un t-shirt, d’un cul qui s’agite, d’un pénis dur à en être douloureux ou reposant, mou et innocent, entre les jambes d’un garçon.
Frontal comme les larmes qui m’ont saisie à la gorge, les gros sanglots que je n’ai jamais au cinéma, et qui sont rares dans ma vraie vie.
Bonhomme, au cinéma le 29 août 2018, est un tour de force.
Bonhomme, de quoi ça parle ?
Bonhomme, c’est l’histoire de Piotr (Nicolas Duvauchelle) et Marilyn (Ana Girardot), en couple depuis quelques années.
Lui est stable, bravache, bien dans ses pompes, son taf et son slip. Elle est plus émotive, jalouse, lunatique.
Mais qu’est-ce qu’ils s’aiment, ces deux-là.
Un jour, un accident de voiture, pas grave, pas sérieux, mais le front de Piotr contre le pare-brise, et après le coma, ce trouble, ce syndrome frontal.
Piotr n’est plus lui-même. « 5 ans dans la tête et 15 ans dans le slip », comme le dit son médecin (François Rollin).
Piotr s’éclate devant des séries télé, Piotr enchaîne les clopes, Piotr trimballe de formidables érections exigeant d’être soulagées.
Mais Piotr ne se souvient plus du prénom de sa maman, Piotr ne sait plus s’habiller, Piotr a oublié le code de son antivol.
Marilyn reste. Une évidence, pour elle ; une folie, pour le reste du monde.
Elle reste, malgré la galère, malgré le manque de thunes, malgré Piotr qui fout littéralement le feu à l’appart pendant qu’elle serre les dents derrière sa caisse pour que le loyer soit payé.
Elle reste, malgré les parents de Piotr qui veulent le récupérer, malgré l’argent de l’assurance maladie qui ne vient pas, malgré les larmes et les cris.
Elle reste, avec ce drôle de grand garçon qu’elle laisse la sauter parce qu’elle ne sait plus comment lui faire du bien autrement. Parce que si Piotr doit guérir, ce sera avec elle.
Une scène à mon sens résume parfaitement Bonhomme : Marilyn marche volontairement quelques mètres derrière Piotr, pour voir s’il se souvient du chemin de leur appartement. Moitié provoc, moitié test, pleine d’espoir.
Elle le perd de vue. Il se perd tout court.
Entre les barres de leur cité HLM, Piotr erre d’un côté, appelant Marilyn, et Marilyn erre du sien, appelant Piotr.
Des deux, on ne sait pas qui ressent le plus de détresse. Car chacun a besoin de l’autre, comme une bouée de sauvetage.
Mais Bonhomme n’est pas un film tragique, même si j’ai beaucoup pleuré ! J’ai sangloté, non pas de détresse, mais d’émotion, de soulagement, d’empathie. Comme un trop-plein d’humanité qui ne demandait qu’à sortir.
Devant Bonhomme, on rit de bon cœur, on réfléchit, on s’implique, on s’interroge, on se remet en question. Et c’est un tour de force d’en dire autant dans un long-métrage.
Bonhomme, un regard délicat sur le handicap
Le trouble dont souffre Piotr le rend dépourvu de filtre
. « Tu pues », « On baise ? », « C’est moche », autant de paroles prononcées à la légère, sans conscience de leurs conséquences.
Marilyn tente au début de lui expliquer qu’il doit rester à l’appartement quand elle bosse, pour le protéger, puis peu à peu, Piotr se réinsère dans la vie, dans un petit job, parmi ses amis.
Il n’est pas guéri, il a des gestes impulsifs, des paroles crues, des gaules à en faire péter son jogging, des éclats de rire malvenus.
Dans ses yeux, on lit le naturel, l’absence de malveillance, une certaine peur, aussi, la conscience bien enfouie qu’il n’est pas normal, qu’il est cassé, qu’il n’est pas vraiment lui.
Dans les yeux de Marilyn, on lit l’amour, l’amour qui emporte tout et qui s’en fout ; une certaine défiance, aussi, menton relevé, comme pour dire « Laissez-le tranquille ».
La réalisatrice (Marion Vernoux) comme les acteurs de Bonhomme ont bossé avec des personnes atteintes du syndrome frontal, et avec leurs proches, pour retranscrire au mieux leur réalité. Nicolas Duvauchelle confie :
À la sortie d’une projection, 10 personnes concernées m’ont dit « C’est exactement ça ».
Bonhomme, une histoire d’amour à l’état pur
C’est difficile, de faire un bon film d’amour, sans tomber dans le sirupeux, le cliché de comédie romantique, l’intensité impossible.
Bonhomme est de ces rares films qui ressemblent à l’amour, le vrai.
Celui avec des tourmentes et des doutes, avec des engueulades et des mesquineries, avec des évidences et des fous rires.
Marilyn est avec Piotr, Piotr est avec Marilyn.
C’est aussi simple, et aussi compliqué que ça. Et il faudrait bien plus qu’un pare-brise pour briser le lien entre ces deux-là.
Bonhomme, entre ombre et lumière
Tant que Piotr reste à la maison, ça va.
Tant que Piotr sort, mais pas trop loin, ça va.
Tant que Piotr est encadré, ça va.
Tant que Piotr ne déconne pas au boulot, ça va.
Parce qu’alors, Marilyn peut travailler, et tant que l’argent est là, ça va.
Un jour, ça ne va pas.
Je ne veux pas trop vous en révéler sur Bonhomme, mais il y a une partie complexe du film, qui prend aux tripes et pose de vraies questions de société.
Le manichéisme n’est pas de la partie, il n’y a pas de bien ou de mal, il y a des décisions difficiles, des conséquences, des blessures, des cicatrices.
Là encore, bosser avec l’Union Nationale des Associations de Familles de Traumatisés crâniens a permis à la réalisatrice comme à son équipe de toucher au plus juste.
Marilyn ne sait pas s’occuper d’un adulte handicapé, et protège Piotr comme une maman louve, tentant de réinsuffler de la normalité dans leur quotidien éclaté.
Elle fait de mauvais choix, risque tout, jusqu’à sa santé mentale, récompensée seulement par de brefs moments où Piotr est presque, presque, l’homme qu’il était.
Je pense que Bonhomme est essentiel pour comprendre la situation des personnes touchées par ce handicap, mais aussi de leurs proches.
C’est un film qui refuse tout avis trop tranché, qui montre les nuances de gris, celles de la vraie vie. Avec les nuages qui viennent parfois l’assombrir, mais aussi les lumineuses éclaircies qui éclaboussent le quotidien de soleil.
Un film important, peut-être indispensable, à voir au cinéma le 29 août, avec une bonne dose de Kleenex.
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