Quand je me suis installée pour découvrir les deux premiers épisodes de Blue Eyes, en direct de la 6e édition de Série Mania, je m’attendais à voir une version suédoise de House of Cards. Ce qui n’était pas un problème en soi, puisque j’aime beaucoup House of Cards.
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Il faut dire que je partais pour deux heures de visionnage (deux épisodes d’environ 1h chacun) sans beaucoup d’éléments sur cette série télévisée. La première saison, composée de dix épisodes, n’a encore été diffusée que sur la chaîne suédoise SVT1 à partir de novembre 2014, et le peu d’informations que j’ai pu glaner à son sujet, je l’ai obtenu en cherchant avec son titre original, Blå ögon.
J’ai ainsi découvert que Blue Eyes a été produite par la même chaîne que Real Humans (Akta Manniskor), une excellente série, intelligente et pertinente qui n’a laissé personne indifférent. Et qu’elle s’attaque au sujet difficile et controversé de la montée du fascisme et de l’extrême-droite…
Quand je me suis installée pour découvrir les deux premiers épisodes de Blue Eyes, j’étais surtout très intriguée.
Blue Eyes, un véritable thriller politique…
Première observation : le générique rappelle celui de House of Cards, mais c’est tout. Pour le reste, il s’agit bien d’une série politique, mais ce sont principalement deux partis qui se disputent le pouvoir, dans une Suède parallèle où les tensions et la frustration sociale grondent à l’approche des élections.
D’un côté, on a le gouvernement en place, le parti socialiste de gauche, qui aimerait bien rester au pouvoir. Sauf que tout n’a pas l’air bien net dans les coulisses, et Elin Hammar, qui vient d’être engagée pour remplacer la directrice de cabinet du ministre de la Justice, partie en congé maladie, découvre que cette dernière a tout simplement… disparu.
Et d’un autre côté, on a le principal adversaire de ces élections : le parti d’extrême-droite. Enfin, principal, peut-être pas, mais ses militants sont ambitieux, le bon vieux « Les étrangers dehors, on est ici chez nous » semble prendre, et ils ont gagné énormément de terrain tout au long des dernières années. Par ailleurs, si Annika Nilsson, mère de famille et candidate sur une liste du parti, reçoit des menaces, ils savent s’en servir.
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Et puis un jour, les menaces se font plus pesantes, et par un terrible concours de circonstances, les chemins des deux femmes vont se croiser de façon déterminante — pour elles, pour leurs proches, et pour leurs partis. Dès le premier épisode, le ton est donné, et intrigues politiques et trames de fond à l’échelle individuelle se croisent sans cesse pour donner l’image d’une société au sein de laquelle grossissent les affrontements, la violence et l’extrémisme.
On dirait une dystopie, dit comme ça, non ? Et pourtant…
…et une série bien ancrée dans son temps
Blue Eyes a beau être une fiction qui réussit à rendre passionnantes les coulisses de la politique en Suède, ses thématiques sont frappantes de réalisme et ne peuvent que nous être familières. La fiction dépasse la réalité en ce qu’elle va un peu plus loin pour imaginer une société dans laquelle l’extrême-droite gagne des voix et du terrain. Une sorte de tolérance s’installe vis-à-vis du racisme, de l’antisémitisme et du fascisme, donnant naissance à un climat social tendu… et un groupuscule très radical.
En revanche, les discours politiques sont loin d’être nouveaux. Et c’est là selon moi la plus grande force de ce début de série : rien n’est tout blanc ni tout noir. Les partisans d’extrême-droite ressassent leurs éternels discours sur l’immigration et la nécessité de mettre les étrangers (et les Musulmans) qui viennent manger le pain des Français Suédois à la porte… et d’un autre côté, on a Annika, cette mère de famille aimante pour laquelle on s’est pris d’affection avant de réaliser qu’elle est militante d’extrême-droite, et ne recherche que justice « pour ses petits vieux » de maisons de retraite mis en difficulté par le système.
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Quant au parti socialiste, il a beau faire face à l’extrémisme, rappeler que ce parti n’en est pas un puisqu’il rejette les valeurs de la démocratie… On se demande parfois ce qu’il peut bien faire d’autre, à part avoir l’air de conduire des activités louches qui intriguent Elin.
Au-delà de l’intrigue prenante d’un thriller qui ne souffle jamais, on a une réflexion et une prise de recul intelligente sur des débats qui nous concernent tou•te•s aujourd’hui : le radicalisme face à la crise, la peur de la montée de l’extrémisme, et l’impuissance politique. On va plus loin en tentant la compréhension, voire la compassion, comme pour chercher la source du problème.
Qui est-elle, cette personne qui discrimine une minorité pour son appartenance religieuse, culturelle, ou sa couleur de peau ? Est-elle un monstre, ou une Suédoise lambda ? Comment ses proches perçoivent-ils ses convictions politiques, comment vivent-ils le fait qu’elle est fasciste ? Mérite-t-elle de mourir ? Et si de l’autre côté, nous ne faisons que dire « ce n’est pas bien » sans rien faire… sommes-nous tous coupables ?
Pour l’arrivée de Blue Eyes en France !
Vous l’aurez compris, cette série m’enthousiasme pas mal, et j’espère que la suite ne me décevra pas. Mais pour en avoir le coeur net, il faudrait qu’elle soit disponible en France. Or, non, ce n’est pas le cas, et je le vis assez mal. Pourquoi tant de haine ? ARTE a bien fait un carton en diffusant Real Humans, et je suis à peu près certaine que la chaîne s’en sortirait aussi bien en diffusant Blue Eyes.
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Parce que c’est un sujet important qui nous parle et nous fascine à la fois, mais aussi parce que une série bien rythmée, avec un scénario intelligent et des personnages complexes. Ah et puis disons-le, parce que les personnages féminins sont nombreux, réalistes, et ils cassent les dents aux clichés : bon sang qu’est-ce que ça fait du bien ! (Oui je l’avoue, j’ai déjà un faible pour Elin.)
Alors, d’accord, il reste à voir si la série garde ce cap. Mais tout à fait entre nous, si House of Cards s’en sort toujours aussi bien arrivée à sa troisième saison, je vois mal Blue Eyes se foirer dès la première saison… surtout en partant aussi bien.
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