Je ne suis pas quelqu’un qui aime les gros effets et je déteste qu’on m’en mette plein la vue. L’idée que certains films puissent être jouissifs m’inquiète toujours. J’étais donc plutôt sceptique quant à l’énergumène Aronofsky. La délicatesse, voyez-vous, n’est pas son genre. Darren aime les gros plans, l’indécence, il aime qu’on se plante une perceuse dans le crâne et qu’on regarde un homme usé rendre son quatre-heure sous les spotlights. Et moi, je n’aime pas trop ça.
Imaginer un film signé Darren Aronofsky sur le ballet me laissait comme qui dirait dubitative. D’autant que je savais que ce ne serait pas une histoire banale, tant il affectionne les entourloupes du corps et de l’esprit.
L’histoire ? Une jeune danseuse, perfectionniste jusqu’à la froideur, rêve de décrocher le rôle star du ballet Le Lac des cygnes. Le défi ? Elle doit être à la fois le white swan, qu’elle mérite d’être sans aucun doute, et le black swan, qui nécessite une capacité de séduction et une spontanéité qu’elle n’a pas. Rongée par ses ambitions si élevées, ravagée par une mère qui lui offre tantôt le confort de son affection, tantôt l’horreur de sa présence constante et dévorante, Nina se laisse entraîner dans un tourbillon – paranoïaque, destructeur, fantasmatique.
Voulez-vous que je vous dise ? Certaines scènes de Black Swan m’ont éblouie. Confronter un monstre (le cinéma de Darren Aronofsky et de son acolyte compositeur Clint Mansell) au monde de la délicatesse est peut-être un moyen d’en mettre plein la vue. Mais de façon positive, s’il-vous-plait.
Le scénario semble assez traditionnel et, c’est vrai, il le reste à mesure qu’il se déroule. Dans les grandes lignes, en tout cas : celles qu’on peut résumer. La prouesse, l’éclat qu’est Black Swan ne vient même pas de la tension, de l’alternance entre fantasme et réalité – ou plutôt de la difficulté (en mode subjectif, c’est-à-dire vu par Nina) de les distinguer. Là où Black Swan est intéressant, c’est justement dans cette plongée totale – et depuis la première scène – dans l’esprit de la protagoniste. Elle ne se fait pas, heureusement, par montage coup de poing et excès écœurant ; mais en créant un monde instable et déroutant en soi. Le désarroi est dû : au talent de Natalie Portman (chapeau), à l’absence de temporalité définie (on ne sait jamais vraiment où on en est – le film semble s’écouler en trois jours, et même s’ouvrir un matin quand Nina se réveille et se terminer un soir après la tombée du rideau). Et aussi – oui ! – à une certaine délicatesse.
Je ne vous dis pas que Black Swan n’a pas l’ampleur qu’ont les autres films de D. Aronofsky (ils sont toujours immenses, par la taille et non la qualité) – mais il a la subtilité de son sujet, l’audace de ne pas dupliquer son propos ; de la légèreté, donc. L’audace, en somme, de laisser les choses se dire à l’image – les sentiments, les projets, les désirs.
Black Swan est un film d’images et de résonances. Le classique du genre bourdonne à l’esprit depuis la première scène dans les coulisses (Les Chaussons rouges, de Michael Powell). Le film se plonge dans la symbolique d’un ballet composé il y a plus de cent ans. Spectacle troublant, mise en abyme, adaptation d’une vieille histoire aux obsessions d’un cinéaste. L’excès du ballet (perfectionnisme, travail acharné, rivalités, autorité, destruction) colle aux formes du cinéma d’Aronofsky. Ca y est, semble-t-il : il a trouvé le sujet qui lui va.
http://www.youtube.com/watch?v=b0O5cehYV0U
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