Une nouvelle MST débarque sur Terre : couchez avec un malade et il vous poussera une queue, votre peau se détachera de votre corps comme de la cellophane ou votre visage se recouvrira de pustules… Le remède ? Aucun. Seuls les regards dégoûtés, méprisants et effrayés de ceux qui ne sont pas malades si vous trainez en ville sans cacher votre difformité. Ils vous prennent pour un monstre et vous incitent en ce sens à quitter la ville pour trouver refuge, dans les bois autour d’un feu, auprès de ceux qui sont désormais vos semblables et qui il y a peu encore vous dégoûtaient autant qu’ils vous faisaient peur.
Telle est l’intrigue de ce roman graphique de Charles Burns, célèbre auteur dont les dessins semblent toujours hantés par les mutations corporelles. Est-ce qu’on est pour autant dans la science-fiction avec Black Hole ? Pas nécessairement. Comme l’explique l’Américain dans une sorte d’avertissement qu’on trouve dans toute édition, ces bizarreries, cette maladie qui se répand sans remède est comme une métaphore de la situation perdue de la jeunesse des années 1970. Métaphore, on peut le dire, franchement originale et d’une inventivité qui fait froid dans le dos. Pas du tout quelque chose d’alambiqué mais bien une façon de jeter un souffle de vie sur un thème déjà vu et revu. Conçue dans la deuxième moitié des années 1990, cette maladie bien qu’elle renvoie aux années 1970 se présente clairement dans nos esprits comme une prémonition du SIDA.
© Charles Burns
Black Hole adopte une narration originale : les points de vue se mélangent, on suit divers personnages. Tous jeunes, tous issus du même lycée dans lequel ils sont livrés à un désarroi propre à l’adolescence, image de l’époque peut-être. Ce n’est pas un hasard si cette maladie ne touchent que les ados. Entre drogues et parties de jambes en l’air, Black Hole s’attache à deux, trois de ces jeunes, certains en couple, d’autres secrètement amoureux, se croisant ou se déchirant les uns les autres. On ne peut rien raconter. Les thèmes, aussi noirs que l’image, plongent Seattle – où se déroule l’action – dans l’angoisse, la maladie, peuplent la ville de personnages défigurés.
Ce roman graphique, parmi les plus connus et reconnus du genre, n’est donc pas une histoire d’amour bien qu’il en soit plein ; pas non plus du genre policier bien qu’il regorge de meurtres, flingues et fuites. Il est d’un autre genre, le sien propre, captivant.
Black Hole se lit comme un roman et comme un film. Les temps et les personnages se mélangent avec les corps, la vie paisible de ces jeunes perdus se dégrade en même temps que leurs corps se décomposent. Ce sont des vies en parallèle, qui se croisent et se séparent, à cent lieues de notre monde avec leurs visages mutants et leurs excroissances, et pourtant si proches de nous par leur désarroi.
Les différents tomes de Black Hole ont été publiés entre 1995 et 2005, date à laquelle l’intégrale a été publiée par Panthéon Books. La version française de l’intégrale est parue chez Delcourt en 2006.
© Charles Burns
Ajoutez Madmoizelle à vos favoris sur Google News pour ne rater aucun de nos articles !
Les Commentaires