Cette nouvelle a suscité un grand débat au sein de la rédac de Madmoizelle, alors j’ai voulu en savoir plus. Voici l’interview d’Adama Paris, organisatrice de l’évènement !
Bonjour Adama, pouvez-vous présenter en quelques mots qui vous êtes, votre parcours ?
Je suis Sénégalaise, née au Congo. Arrivée en France à l’âge de trois ans, puis en Italie, aux États-Unis… j’ai déménagé un peu partout au gré des mutations de mon père, diplomate.
J’ai d’abord choisi d’étudier les sciences économiques, avant de me tourner vers la mode. J’ai ensuite organisé pendant 10 ans la Dakar Fashion Week, Dakar étant la capitale de la mode en Afrique. J’y ai rencontré des créateurs africains, mais aussi des gens venus de tous les pays, qui souhaitaient s’implanter en Afrique.
Vous avez créé la Black Fashion Week, qui met en avant les créateurs noirs. Pouvez-vous nous en dire plus sur l’origine de ce projet, le sens qu’il a pour vous ?
Quand j’étais aux USA et en Europe je ne voyais pratiquement jamais de créateurs noirs, je n’en entendais pas parler et pour cause : une infime minorité est vue et reconnue en Europe et aux États-Unis. Le monde de la mode donne une impression d’ouverture parce que les gays y sont bien acceptés, mais la tendance est davantage aux mannequins androgynes, aux filles de l’Est blondes : cette mode pénalise les noirs. Un paradoxe qui me fait rire : la mode « ethnique », avec des couleurs et des tissus indiens ou africains, qui défile sur des filles blanches.
Citoyenne du monde, partout chez moi, j’ai eu envie d’abattre les cloisons, d’aller vers les autres pour leur montrer ce qu’on sait faire. Il y a beaucoup de clichés « ethniques » : wax, boubous, ghetto etc. Je voulais éduquer le regard des gens, présenter un savoir-faire « haute-couture » issu du mélange des cultures, loin de tous ces stéréotypes.
J’ai monté la BFW pour offrir un côté « officiel » et ouvrir des portes aux créateurs : trouver des acheteurs, leur présenter une clientèle, faire parler d’eux dans la presse… La mode ça fonctionne beaucoup au « copinage » : issu d’un milieu différent, il est plus difficile de devenir connu, de contacter la presse. Même si on a de l’argent, qu’on a fait de bonnes études, et que la qualité du travail est là. Si le réseau de contacts ne suit pas, on reste chez soi avec ses créations. Nous avons organisé la BWF juste après la Fashion Week parisienne, donc on peut profiter de tous les médias qui seront présents pour couvrir l’évènement.
Tellement plus qu’une histoire de peau, c’est une histoire d’intégration que j’ai voulu mettre en place.
Au début c’était un peu la pêche aux partenaires et aux sponsors. On essaye de s’en sortir comme on peut, avec nos moyens, et ça finit par marcher : le président de la fédération française de la haute couture sera présent à Paris pour la BFW !
Comment recrutez-vous les créateurs et les mannequins qui y défilent ? Comment se fait votre choix ?
Au début, j’ai fait appel à mon propre carnet d’adresse que j’avais constitué ces dix dernières années à Dakar. J’ai commencé à Prague, qui est encore plus fermée que la France au métissage des mannequins et des créateurs. Je voulais garder Paris pour plus tard, car c’est un gros morceau : capitale de la mode mondiale, dans laquelle j’ai tous mes souvenirs d’adolescente…
Avec le succès de la première édition à Prague, la BFW commence à être assez connue, donc les créateurs viennent d’eux-même. Mais la BFW n’a pas un rôle de tremplin : je cherche des créateurs avec une expérience minimum de 2 ans, qui peuvent déjà produire des collections et assurer les commandes potentielles qui suivront leurs défilés.
Pour les mannequins, il n’y a aucune barrière : asiatiques, métisses… c’est juste qu’on ne donne pas la priorité aux mannequins caucasiennes.
N’avez-vous pas peur d’encourager le clivage, en organisant une fashion week « parallèle » plutôt que de proposer une fusion des deux ?
Le terme Black peut prêter à confusion : pour moi, il ne s’agit pas d’une couleur de peau, mais d’un mouvement ouvert à tous. Comme pour « la musique black » ou le rap : on connaît tous Eminem qui est blond aux yeux bleus et pourtant reconnu dans le milieu. La BFW ça ne signifie pas du tout « interdit aux blancs », mais « ouvert aux gens qui prônent la mixité ».
Plein d’amis, y compris des Noires, m’ont dit : « Mais tu es folle, « Black » ça ne passera jamais, n’utilise pas ce terme ! » Un sponsor m’a même proposé de me financer, à condition de changer le nom du projet. Mais j’ai tenu bon : même en Afrique du Sud il n’y a pratiquement que des blanches qui défilent, tout le monde trouve ça normal, donc pourquoi est-ce qu’une fashion week « black » à Paris choquerait ?
J’insiste sur le fait qu’il n’y a aucune rancœur dans la démarche, je refuse le mot « communautarisme ». Non, ce n’est pas un projet sectaire, ce n’est pas « fait par les noirs pour les noirs ». C’est une alternative à la Fashion Week « traditionnelle », pour offrir un truc en plus au public. Je n’y vois pas de barrière, mais une porte ouverte : si demain, ne serait-ce que deux de nos designers sont pris pour la Fashion Week officielle, notre objectif sera atteint.
Que conseilleriez-vous aux jeunes qui veulent se lancer dans la mode mais ont peur de leurs différences, qu’elles soient ethniques ou autres ?
À un moment il faut se secouer pour avoir quelque chose, ça ne vient jamais tout seul : ce qui m’a permis d’arriver là c’est d’être têtue, plus que d’être talentueuse. Battez-vous pour vos projets ! Restez concentrés tout en gardant les yeux grands ouverts. C’est comme voyager : on découvre des choses et on engrange, mais on garde au fond de soi qui on est.
Pour en savoir plus, rendez-vous sur le site de la Black Fashion Week.
Écoutez Laisse-moi kiffer, le podcast de recommandations culturelles de Madmoizelle.
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