— Publié initialement le 17 novembre 2014
Bon, nous y revoilà. Quoi qu’on fasse et même quand on ferme notre gueule, c’est irrésistible : il faut toujours que quelqu’un s’exprime sur les droits LGBT. Généralement, quelqu’un qui n’est pas LGBT, d’ailleurs.
L’abrogation de la loi Taubira, ça n’arrivera pas, il faut arrêter maintenant
Sarkozy revient. Et après être resté le cul entre deux chaises sur la question du mariage, le voilà désormais clair sur la loi Taubira : il veut l’abroger. Pur coup de com, évidemment, pour rameuter les voix réactionnaires à défaut de se tourner vers les votants plutôt orientés centre droit. Même sans être avocat, on sait qu’abroger la loi serait très difficile, d’autant que l’Europe ferait la gueule si la France revenait sur cette question.
À lire aussi : La Manif Pour Tous piétine, mais la France avance. Et vous, M. le Président ?
Sans compter l’opinion publique en France, qui ne souhaite pas non plus revenir sur la loi. La plupart des gens s’en battent les steaks de savoir si oui ou non les homosexuel•le•s et bisexuel•le•s ont le droit de se marier. En gros, c’est fait, passons à autre chose (en tout cas, si on ne tient pas compte de la PMA et de la GPA qui ne sont de toute manière pas intégrés à la loi Taubira). Curieux d’ailleurs : ce sont ceux et celles qui voulaient absolument qu’on se concentre sur des sujets plus importants que le mariage et l’adoption (le chômage, au hasard) qui en parlent le plus aujourd’hui !
Moi aussi j’en ai marre de tout le temps entendre parler de ça, non seulement parce que oui, le chômage et consorts ça m’intéresse davantage, mais aussi parce que les droits LGBT, ça m’affecte directement.
2012, une année de cauchemar, de douleur et de paranoïa
Je suis une femme et je m’identifie aujourd’hui en tant que bisexuelle. Adolescente, je me suis déjà interrogée sur mon identité de genre du fait de mon attirance pour les femmes ainsi que tout un tas d’autres facteurs.
À lire aussi : Mon genre et moi, une histoire pas si simple
À titre personnel, 2012 a été une année de cauchemar quasi quotidien. Petit à petit, tandis que l’éternel débat sur le mariage pour tous se rallongeait, je sombrais dans la paranoïa. Des personnes qui m’étaient – qui me sont – très proches n’hésitaient à pas à mettre leur grain de sel dans le débat, sans se douter une seconde du mal que cela pouvait me faire, à moi et à d’autres personnes LGBT. Il paraît qu’il fallait s’assumer, comme quoi on avait fait notre choix et qu’il fallait accepter qu’on aurait pas le même mode de vie.
Vous pensez vraiment que si j’avais eu le choix, j’aurais subi ça ?
Ce à quoi je voulais répondre (mais je n’osais jamais)…
Vous pensez sincèrement que si j’avais pu choisir, j’aurais choisi d’être bisexuelle ? Vous croyez que ça me fait marrer d’en être au point de craindre être amoureuse d’une femme, vu que j’ai très envie d’être mère et qu’à l’heure actuelle, c’est super difficile d’avoir un bébé dans un couple de femmes (et encore, j’aurais pu être un homme homosexuel) ? Vous croyez que les insultes homophobes de plus en plus décomplexées, je ne voudrais pas les voir disparaître ?
Si je devais changer quelque chose dans ma vie, ce serait ça. Je voudrais être hétéro. Arrêter de vivre la lesbophobie et la biphobie serait un bonheur indescriptible.
L’homophobie est un choix. L’homosexualité et la bisexualité, non.
À lire aussi : J’étais homophobe, mais je suis guérie
Oui, j’ai gagné des droits cette année-là. Mais ma paranoïa ne s’en ira jamais, et j’ai failli détruire ma relation avec ma mère, que j’aime et qui m’aime malgré tout ce qui a pu se passer. Bien plus que mes vivats sur la place de l’Hôtel de Ville le jour où la loi a été votée, je me souviendrai ma terreur du jour où j’ai fait mon coming out à mon frère (au final, Dieu merci, ça s’est très bien passé avec lui). Je me rappellerai du jour où j’ai appelé mes amis en larmes parce que je n’en pouvais plus de voir un défilé de conneries sur ma sexualité placardé PARTOUT où j’allais.
À lire aussi : Homophobie et stigmatisation, nos lectrices (et lecteurs) témoignent
La Manif Pour Tous n’est pas une blague, malheureusement
Nous voici donc en 2014 : il faut s’occuper de sujets plus importants, du coup. Mais Sarkozy raconte ses conneries sur l’instauration de mariages différents pour les hétéros et les homos. Déjà ça c’est chiant, mais à la rigueur je pourrais l’ignorer. Il ne m’intéresse plus, je n’ai même pas envie de savoir ce qu’il pense, je sais déjà qu’en 2017 il n’aura pas ma voix. Sauf qu’évidemment, les gens ne peuvent pas s’empêcher d’en parler. Les gens n’aiment pas Sarkozy mais relayer ses conneries homophobes c’est marrant apparemment.
Soyons clairs : je n’ai rien contre le fait de relayer une info. Tenir les gens au courant et rappeler la position de Sarkozy sur ces questions, ok, pourquoi pas. Mais ces derniers temps j’ai un peu la même impression que lorsque c’était Halloween et qu’en guise de blague, on balançait des screens de Zemmour, Sarkozy, Dieudonné ou Boutin, ou qu’on proposait de se déguiser en manifestant de la Manif Pour Tous. Désolée, mais ce n’est pas très drôle pour moi. Voir ces pulls roses et ce foutu logo me donne juste envie de me planquer sous ma couette et de m’enfermer dans un RPG pendant dix heures d’affilée, histoire d’oublier que le monde réel existe.
On se cogne suffisamment les relais des politiques qui veulent flatter l’ego de la Manif Pour Tous et autres comparses joyeusement et farouchement opposés à nos droits : je n’ai vraiment pas besoin que mes potes – hétéros la majorité du temps – me mettent une tape sur l’épaule en me montrant des horreurs, en rigolant et en me disant : « T’as vu ces gros cons ? ».
Oui j’ai vu ces gros cons. Je rappelle qu’une partie non négligeable d’entre eux souhaiterait que je n’existe pas. Je suis contente que ça vous fasse marrer, mais j’ai de plus en plus de mal à voir l’humour de la situation, en tant que femme LGBT.
Olivia Wilde, alias « 13 » dans Dr House, l’un des rares personnages bisexuels à la télévision
Je me rappelle très nettement d’un soir où je rentrais du boulot, en 2012. À l’époque, le débat battait son plein et le Petit Journal en parlait énormément : ce soir-là, Civitas en prenait pour son grade et ma cousine, chez qui je vivais à l’époque, s’est tournée vers moi en me voyant rentrer dans la pièce tandis qu’une manifestante parlait d’abominations et d’enfer en mentionnant les LGBT. Elle a eu une réaction à laquelle je ne m’attendais pas et qui pourtant paraissait si naturelle : elle m’a prise dans ses bras et m’a demandé « Ça va ? ».
Oui, tout bêtement. La Manif Pour tous fait peut-être rire (même moi, parfois, j’arrive à en rire), mais s’il vous plaît, rappelez-vous qu’il existe encore pas mal de monde qui ne saisit pas l’humour de la situation : les gens concernés.
Ma sexualité n’est pas au service de votre image médiatique
À lire aussi : Adoption Pour Tous : remettre l’intérêt de l’enfant au centre du débat [MÀJ]
Pour en revenir à Sarkozy et à son coup médiatique ô combien évident, je n’ai pas grand-chose à dire de plus. J’aimerais qu’on arrête d’utiliser ma sexualité comme un coup de com, sans jamais se poser la question de l’impact que ça peut avoir sur les personnes LGBT. Que ce soit lui ou un autre.
Voilà plusieurs années que j’aime sans espoir la même femme, et presque autant d’années que j’en ai honte et que j’en souffre. Parce que curieusement, se voir répéter encore et encore, parfois par des personnes que j’aime profondément, que mon amour est sale et illégitime, ça fait mal et ça pousse à l’introspection. Au fond je sais que je n’ai pas à avoir honte, que c’est comme ça, que mon amour ne souille pas la personne que j’aime parce que je suis une fille et elle aussi. Y a juste des jours où la discrimination est trop insidieuse, et où elle te bouffe. Je ne veux plus avoir honte en regardant mon amie et en admettant que je l’aime. D’autant qu’elle, elle le respecte totalement et elle me l’a dit plusieurs fois.
Mais encore, j’ai envie de dire, moi ça va. J’ai bientôt 25 ans, j’en ai vu d’autres, et a priori, je ne me foutrai pas en l’air à cause de la biphobie ou de l’homophobie. Je trébucherai de temps à autre, mais je m’en sortirai, et j’ose espérer qu’un jour, je serai pleinement épanouie par rapport à ma sexualité et mes relations amoureuses.
Ramona Flowers, bisexuelle et badass, dans Scott Pilgrim VS The World
Sauf que je me rappelle comment j’étais, adolescente. Je me rappelle que j’étais fan du groupe russe t.A.T.u parce que je retrouvais quelque chose en elles – même si cela s’est avéré faux par la suite – que je portais en moi. J’aimais les femmes. La Manif Pour Tous dirait aujourd’hui que j’ai été mangée par le djendeur. Que j’ai trébuché en route. Peu importe : c’est faux, j’aime les femmes depuis mon enfance. Ado, j’ai déjà douillé sévère et il y a eu des moments très noirs que je ne détaillerai pas ici.
Du coup, je pense aux gens de cet âge qui se sont bouffé 2012 dans les dents, une année qui semble vouloir faire son come-back. Je pense à leur détresse, à leurs repères qu’ils cherchent à construire dans une société beaucoup trop hétérocentrée et j’ai mal au ventre. J’ai mal au ventre parce qu’il n’est pas dit que j’aurais survécu si j’avais subi ce que ces gamins ont subi en 2012, et ce qu’ils vont encore devoir affronter maintenant. J’ai peur pour eux et je me sens désemparée parce que je sais l’effet monstrueux que les propos décomplexés d’une bande d’homophobes peuvent avoir sur de jeunes LGBT. Je ne sais plus quoi faire pour les protéger.
À lire aussi : Le Refuge aide les jeunes LGBT et a besoin de dons
Nous sommes LGBT, nous avons le droit de nous marier et d’adopter nos enfants. La route est encore longue, mais sur ces points-là, par pitié… Foutez-nous la paix. Et si vous tenez tant que ça à vous exprimer sur ces questions, réfléchissez posément à la façon dont vous allez le faire, en particulier si vous n’êtes pas concerné•e•s.
Pour témoigner sur Madmoizelle, écrivez-nous à :
[email protected]
On a hâte de vous lire !
Vous aimez nos articles ? Vous adorerez nos podcasts. Toutes nos séries, à écouter d’urgence ici.
Les Commentaires